Monsieur Cazeneuve, je vous trouve sévère avec les entreprises françaises. Il suffit de lever le nez et de les comparer aux entreprises des autres pays pour constater que les entreprises françaises en particulier, et européennes en général, sont plutôt en pointe dans leurs engagements pour le climat. Certes, on peut toujours faire plus, mieux et plus vite, mais en attendant, la Chine, l'Inde et la Turquie continuent à ouvrir des centrales à charbon. Nous devons nous assurer de ne pas être les seuls à agir.
Le MEDEF a lancé deux coalitions sur des engagements volontaires d'investissements pour le climat. Lors de la REF 2020, ex-université d'été du MEDEF, qui s'est tenue fin août, nous avons annoncé plus de 60 milliards d'euros d'investissement de la part de 100 grandes entreprises. Nous espérons, en août 2021, augmenter substantiellement les montants investis et le nombre d'entreprises parties prenantes. La deuxième coalition, act4nature, porte sur la biodiversité. Elle est plus large, inclut plus de pays et de PME, également sur le modèle de l'engagement volontaire.
Je pensais avoir fait des propositions. Au risque de me répéter, j'insiste : la mère de toutes les propositions est le mécanisme d'ajustement carbone. Si, en Europe, nous n'arrivons pas à taxer les produits entrants plus polluants, nous n'y arriverons pas. Par exemple, le ciment est l'une des industries les plus émettrices de CO2. On peut désormais produire des ciments avec moins de 50 % d'émissions de CO2, qui coûtent entre 20 % et 25 % plus cher. Or toute entreprise du bâtiment ne peut pas augmenter ses prix de 30 % ; elle ne peut pas dire au consommateur final, à l'acheteur d'un bien immobilier, que, le ciment étant plus vert, la maison est plus chère. Si les cimentiers se lancent dans une telle production, les entreprises se fourniront en ciments produits ailleurs, dans des conditions de production et d'émission de CO2 plus mauvaises au regard de l'environnement.
J'ai pris mon bâton de pèlerin, mais pour le moment, en Europe, c'est business, d'un côté, et climat, de l'autre. Quelques petits pays moins industrialisés et importateurs bloquent le système. Nous avons besoin de vous, de l'ensemble des groupes parlementaires, notamment au Parlement européen, pour que les députés européens agissent. Ce mécanisme est vital pour l'industrie française. J'assume ce côté monomaniaque et j'insiste : c'est la seule condition nécessaire pour encourager la transition écologique.
Concernant l'artificialisation des sols, la densification est en marche dans l'industrie, mais pas encore dans le commerce, le problème principal étant le logement. On aurait besoin de schémas régionaux d'allocation des surfaces foncières. C'est un travail qu'on ne peut pas faire de manière centralisée et qui demande de définir la bonne granularité – au niveau des établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) ou plus large ? En tout cas, on ne peut pas décider depuis Paris des pourcentages de surfaces supplémentaires disponibles pour chacun des domaines d'activité, du commerce, de l'industrie et du logement. Cela ne fonctionnerait pas.
Beaucoup d'efforts ont été consentis par les annonceurs en matière d'engagements volontaires à diminuer les publicités pour les produits les plus polluants, notamment dans l'automobile. Nous sommes favorables à cette diminution : c'est la bonne méthode. Cependant, la confiance n'excluant pas le contrôle, les organismes pertinents doivent effectuer des vérifications, et non les entreprises elles-mêmes. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a, me semble-t-il, un rôle à jouer pour mesurer chaque année cette réduction.
L'article 7 sur la publicité dans les vitrines nous pose un problème un peu philosophique. Si l'on peut comprendre qu'il n'est pas forcément judicieux de voir des publicités lumineuses dans les vitrines vingt-quatre heures sur vingt-quatre, l'interdiction à l'intérieur d'un magasin va à l'encontre de la liberté d'entreprendre. La mesure ne nous paraît pas pertinente.
Quant à la consigne sur le verre, la filière a pris un engagement volontaire pour atteindre 100 % de verre recyclé dans dix ans – on en est actuellement à 87 %. Je parle avec précaution, car je ne suis pas un spécialiste de la question, mais peut-être serait-il possible d'accélérer le mouvement. En tout cas, il faudra s'appuyer sur la filière.
En matière de formation, nous sommes face à d'immenses changements dont nous ne mesurons certainement pas tous l'ampleur. La difficulté n'est pas tant d'établir une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) nationale de manière macroéconomique. Un cabinet de conseil saurait facilement établir avec PowerPoint, par exemple, que 200 000 emplois disparaîtront dans le domaine de la sous-traitance automobile et que 200 000 seront créés dans la filière du recyclage. La difficulté se trouve au plus près du terrain. Les 200 salariés des Fonderies du Poitou, à Ingrandes près de Châtellerault, qui fabriquent des carters pour moteurs diesel, ont-ils une chance de se reconvertir dans des nouveaux métiers pas trop loin de leur lieu de vie, alors que leur deuxième partie de carrière est déjà entamée ? C'est là la vraie difficulté à laquelle nous sommes collectivement confrontés. Sans doute ne sommes-nous pas, aujourd'hui, à la hauteur des exigences. Il s'agit d'un défi collectif, autant pour les collectivités locales, que pour l'État, les entreprises et les organismes de formation. Les filières sont certes impliquées, mais le travail ne peut pas se faire à ce seul niveau, puisque certaines, comme la filière automobile, seront destructrices nettes d'emplois et que d'autres seront créatrices nettes – en espérant que le solde de cette transition soit bien positif avec des créations nettes d'emplois.
Je n'ai pas tout à fait compris la question de Mme Motin sur les moyens financiers. Je peux dire que les investissements en faveur de la transition énergétique vont croissant dans les entreprises, mais certainement pas assez rapidement. Produire vert et de manière décarbonée coûte souvent plus cher. L'investissement n'est donc pas immédiatement rentable, du moins aux bornes de l'entreprise, même s'il l'est au regard de la société. Cela nous ramène aux discussions sur les signaux prix, et comment faire pour qu'une entreprise soit récompensée de son investissement par les externalités positives qu'elle va créer en produisant de manière décarbonée.
Concernant l'écocide, la part d'émotion est effectivement très grande et, malheureusement, les chefs d'entreprise ne liront pas le texte. Je ne suis pas sûr, du reste, que les citoyens lisent beaucoup les lois. J'espère que nous trouverons collectivement un compromis pour montrer qu'il s'agit non pas d'une chasse aux sorcières contre les industriels, mais bien de punir seulement le délit intentionnel de pollution. Il est très important de conserver la mise en demeure dans le texte : il s'agit moins d'un droit à l'erreur que d'un droit à rectification en cas de mise en demeure.
La densification dans l'e-commerce est difficile avec la multiplication des entrepôts logistiques. On ne peut empêcher le développement de l'e-commerce. D'ailleurs, les mêmes citoyens qui prônent le verdissement de l'économie commandent aussi sur internet. Les externalités négatives de l'e-commerce sur l'écologie sont bien réelles, à commencer par le carton non recyclé et les transports générés. Il faut trouver les moyens de les compenser.
S'agissant des ZFE-m, je suis un peu dans une situation de conflit d'intérêts, car j'ai une entreprise qui fabrique des triporteurs électriques : j'aurais presque intérêt à encourager à fond le développement des ZFE-m ! Il s'agit à nouveau d'une question de vitesse. Pour les livraisons en ville, on ne peut pas simplement passer du blanc au noir, comme l'a très bien dit Mme Basili.
Nous sommes favorables au rôle du CSE. Dans le courrier que j'ai adressé aux organisations syndicales et patronales, j'ai proposé que les CSE abordent les questions de nutrition et de mobilité.
Je suis d'accord avec M. Sermier concernant l'article 30 : on peut toujours taxer les poids lourds – on le fait d'ailleurs depuis longtemps –, et pourtant la part du trafic routier dans le trafic total de marchandises augmente. C'est bien que cela ne fonctionne pas ! Nous ne développons pas notre fret ferroviaire parce que l'offre de la SNCF est très mal adaptée aux besoins des entreprises. Vous nous demandez tous des propositions, mais ce n'est pas aux entreprises privées de s'immiscer dans la gestion de la SNCF. L'offre de celle-ci est inadaptée, en conséquence de quoi les entreprises surutilisent le transport routier.
La recherche et développement dans les technologies vertes n'est certainement pas suffisante. Le sera-t-elle jamais ? Un mouvement important est clairement engagé. Voyez Total, qui bascule d'un modèle d'énergéticien fossile à celui d'énergéticien pluri-énergie. C'est bien la technologie qui rendra possible la transition énergétique, car c'est la technologie qui permet de produire autant avec une moindre consommation d'énergie. Je vous dis cela sans être pour autant un partisan de la décroissance. Je suis partisan d'une croissance sobre, c'est-à-dire d'une croissance raisonnée, modérée dans sa consommation de ressources limitées, qu'il s'agisse des sources d'énergie ou des métaux rares. La technologie rend cela possible.
À propos de l'Europe, je suis sérieusement inquiet. Mme Ursula von der Leyen a inscrit un Green Deal à son programme, et voyez mes homologues européens ! En France, on se plaint beaucoup du MEDEF, mais vous pourriez avoir bien pire ! Il en va de même pour les gouvernements de certains petits pays. L'Europe va rencontrer une grande difficulté collective à lancer cette transition.
Madame Jourdan, vous avez raison d'employer le terme de « transformation », car cette transition va au-delà des changements qui accompagnent habituellement le développement de nouvelles filières, avec leurs destructions ou créations d'emplois. Les changements en question sont plus structurels. Dans dix ou quinze ans, il n'y aura plus de sous-traitants automobiles de moteurs thermiques, et cela concerne des centaines de milliers d'emplois. Pour des transformations aussi fondamentales, nos outils ne sont certainement pas à la hauteur.
Concernant les mécanismes de compensation, je ne peux pas commenter vos propositions, Madame Petit : je ne les ai pas lues, je vous prie de m'en excuser. Néanmoins, tout ce qui consiste à donner un signal prix intelligent aux consommateurs et aux producteurs, qui est à la fois prévisible et raisonné, va dans le bon sens. Les signaux prix ne peuvent pas changer constamment, et c'est une des difficultés de la politique environnementale. Un chef d'entreprise raisonne sur des périodes d'investissements de trois, quatre ou cinq ans, il a donc besoin de visibilité. À cet égard, l'exemple suédois est très intéressant. La Suède est le pays qui a le plus décarboné son industrie grâce à une trajectoire du prix du carbone pertinente et quasiment inchangée depuis 1993 – elle a dû être modifiée seulement une fois. Cette stabilité permet aux industriels et aux acteurs économiques de prévoir leurs investissements dans le temps long, car ces derniers ne deviennent rentables qu'au bout de cinq ou dix ans. Voilà le type de démarche que nous soutenons.