Un entrepreneur qui se désintéresserait aujourd'hui de la transition écologique serait aussi fou qu'un entrepreneur qui n'aurait que faire d'internet. En vingt-huit années d'exercice dans les PME, j'ai connu l'époque où l'on s'interrogeait sur la pertinence de la transformation numérique des entreprises. Aujourd'hui, on ne se pose plus la question. Je peux donc vous rassurer, mesdames, messieurs les députés, vous avez en face de vous des acteurs totalement persuadés que ne pas inclure dans le modèle économique et la stratégie de son entreprise, quelle que soit sa taille, la transformation écologique, c'est tout simplement mourir ! Il s'agit d'une question majeure et donc, ne vous inquiétez pas, nous partageons les mêmes objectifs.
Je me permets d'évoquer mon cas personnel, car il me semble illustratif. Je dirige une entreprise de charpente et de menuiserie bois spécialisée dans la restauration du patrimoine. Il y a une vingtaine d'années, d'une manière volontaire, nous nous sommes engagés, avec une trentaine de PME, dans deux démarches de labellisation, Charpentes 21 et Menuiseries 21, garantissant la transformation de bois écocertifiés. À l'époque, cette démarche était très novatrice, avec également la valorisation et le traçage des déchets et, du point de vue social, l'amélioration des conditions de travail, en atelier comme en chantier, de l'ensemble de nos collaborateurs. En vingt ans, jamais un seul de mes clients, privés ou publics, ne m'a interrogé sur ces démarches. Le seul retour que j'ai eu est que j'étais toujours trop cher – ce qui ne m'a pas empêché de rester vivant économiquement. Le jour où les critères de RSE prendront la première place, surtout dans la commande publique, alors s'installera une chaîne vertueuse qui, du fournisseur au client, en passant évidemment par l'entreprise, participera à décarboner notre économie. Car cela demande une vision globale de l'entreprise.
Vous nous demandez des propositions. La délibération commune sur la RSE dans les TPE-PME, que la CPME a signée avec les partenaires sociaux en 2017, affirme que la RSE doit être une démarche volontaire et sectorielle. Nous travaillons actuellement avec une trentaine de branches professionnelles pour faire en sorte que la RSE soit solide, reconnue par le comité français d'accréditation (COFRAC), qui est lui-même reconnu par l'État. Dans l'idéal, puisque les critères RSE des entreprises sont vérifiés tous les ans, le simple fait de s'en prévaloir sur un champ référentiel particulier aux directions régionales du territoire – direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) ou DREAL –, devrait éviter le déclenchement d'un second contrôle. Outre que cela ne coûterait pas un euro à l'État, cela serait une reconnaissance pour les entreprises vertueuses et encouragerait les entreprises qui le sont moins à s'engager dans ces démarches vertueuses. Voilà comment la CPME conçoit l'engagement d'une entreprise, en confiance, dans sa transformation écologique et sociale. C'est une proposition très concrète : si cette loi réaffirmait la position de labels sectoriels RSE solides, ce serait un signal tout à fait positif envoyé aux acteurs économiques.
La commande publique est effectivement incontournable. L'acheteur public doit examiner la démarche globale de l'entreprise. S'il la regarde à travers un seul prisme, il évaluera mal la qualité de l'acteur économique. Encore faut-il que l'acheteur, qu'il soit privé ou public, ait cette compétence d'évaluation. L'allotissement est essentiel, car il favorise l'accès des TPE et PME à la commande publique. La massification des achats est catastrophique dans le temps. On a vu comment de grands services de l'État avaient massifié des opérations de maintenance qui ont abouti à ce que des agents parcourent 200 kilomètres pour entretenir un bâtiment public. C'est une ineptie écologique : non seulement cela coûte très cher, mais le service n'est pas de qualité et l'impact carbone est très mauvais.
La CAPEB et l'U2P veulent faire une proposition sur les groupements momentanés d'entreprises (GEM) solidaires. Je me permets de sonner l'alerte. Dans le bâtiment, les clients demandent à voir un responsable. Si, demain, il n'y en a plus ou si la responsabilité est complètement diluée entre les acteurs, la tentation de l'acheteur, privé ou public, sera de se tourner vers l'entreprise générale. De facto, toutes les PME seront exclues. La qualité d'un GME tient au choix des bons partenaires, et ce choix nous appartient. Si on veut éviter la clause de solidarité, l'acheteur préférera s'orienter vers une entreprise générale qui assumera complètement la prise de risque.
Pour ce qui est de la formation, effectivement, les employés des Fonderies du Poitou risquent de se trouver dans une situation très compliquée. Cette mutation industrielle ne sera ni la première ni la dernière, mais elle ira plus vite que par le passé. Reste que, dans l'exercice classique de notre activité, nous avons déjà entamé nos mutations. Dans mon bureau d'études de menuiserie, j'ai commencé à recruter des personnels compétents pour réaliser des calculs énergétiques, car mes clients demandaient non seulement des renseignements sur les essences et la qualité de mes menuiseries bois, mais exigeaient aussi des garanties sur leur performance énergétique. En tant que menuisier, si je n'élargissais pas ma compétence à la capacité énergétique du matériau bois, je passais à côté d'un marché. Les entreprises s'adaptent en fonction de la demande du marché ; en amont, dans les filières de formation, les évolutions de la transformation énergétique sont déjà prises en compte, et les entrepreneurs savent que s'ils ne tiennent pas compte de ces évolutions, ils passeront à côté de nouveaux marchés. Il ne faut donc pas être trop inquiet.
En revanche, je vous signale un vrai problème, que je rencontre dans toutes les PME de 50 à 300 salariés. J'ai fait évoluer mes salariés vers de nouvelles techniques, je leur ai fait passer des sauts technologiques grâce à des plans de formation. Or, depuis la dernière réforme de la formation professionnelle continue, la mutualisation des fonds pour les PME de 50 à 300 salariés a disparu. Nous continuons à payer la formation, mais nous avons perdu le retour sur investissement, car il a été orienté vers le plan d'investissement dans les compétences (PIC). Ce plan est certes utile, mais moi, patron de PME, je n'ai plus ce levier à disposition pour engager des plans de formation. C'est là un problème majeur, notamment eu égard aux défis de transformation des métiers qui nous attendent.
Monsieur Balanant, mettre en place une justice spécialisée ne me rassure pas tellement. Dans notre beau pays de France, l'administration est formée pour contrôler et sanctionner, très peu pour accompagner. Dans le champ environnemental, nous, patrons de PME, sommes livrés à nous-mêmes. Dans tous les domaines, la réglementation est foisonnante – en matière d'environnement, n'en parlons pas ! En l'espèce, la situation ne risque pas de s'améliorer. Qui va nous accompagner pour savoir si nous respectons la loi ou la bonne réglementation ? Le pays compte 1,8 million de TPE-PME d'au moins un salarié ; ce ne sont ni l'ADEME ni les services régionaux qui pourront s'adresser à l'ensemble de ces entreprises. Nous-mêmes, CPME et organisations professionnelles patronales, essayons de jouer notre rôle. Cependant, le droit à l'erreur ne s'applique pas en matière de sécurité et de santé. Je ne vois pas pourquoi, en matière environnementale, il en irait autrement. Voilà ce qui m'inquiète, tout en étant tout à fait d'accord avec vous : celui qui abîme l'environnement de manière délibérée doit être sanctionné. Pour autant, n'allons pas exposer à des risques juridiques ceux qui ne demandent qu'à bien faire.
La question environnementale doit évidemment être abordée au sein du CSE. Une démarche RSE implique nécessairement toutes les parties prenantes, y compris les représentants du personnel, par le biais du CSE. Il n'y a donc pas de problème. Toutefois, n'allons pas ajouter au CSE une mission qui dépasserait ses capacités.