Intervention de Barbara Pompili

Réunion du lundi 8 mars 2021 à 16h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets

Barbara Pompili, ministre de la transition écologique :

Je tiens tout d'abord à saluer la mémoire d'Olivier Dassault. Nous partageons toutes et tous, au-delà des clivages politiques, le souvenir d'un collègue engagé, d'un député exigeant, d'un homme qui avait plusieurs cordes à son arc. Comme vous, j'ai une pensée particulière pour sa famille et pour ses proches.

Olivier Dassault était aussi un « bosseur » infatigable qui ne se laissait pas détourner des dossiers ni de l'ordre du jour. Je crois qu'il n'aurait pas voulu qu'une ministre diffère plus longtemps son propos devant les représentants de la nation.

Nous nous apprêtons à écrire une nouvelle page de l'histoire de notre pays. Oui, ce qui nous rassemble ici, vous et moi, est tout simplement inédit, comme l'a été l'exercice démocratique dont résulte ce projet de loi.

Pendant dix-sept mois, cent-cinquante citoyens tirés au sort – employés, agriculteurs, retraités, lycéens, infirmiers, médecins, professeurs, chefs d'entreprises et, même, publicitaire et pilote de ligne – ont été mis devant les faits : les principaux constats scientifiques sur le réchauffement climatique ont été partagés avec eux ; les mécanismes qui le sous-tendent leur ont été expliqués par des experts reconnus. On a donné à cent-cinquante citoyens, en peu de temps, les clefs nécessaires à la compréhension d'un phénomène complexe, d'un processus qui place une hypothèque sérieuse sur l'avenir de nos enfants et de notre propre espèce et dont, paradoxalement, nous sommes les principaux acteurs.

Avec le mandat qui leur était confié – proposer les mesures permettant de réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre dans notre pays d'ici 2030 dans un esprit de justice sociale – on leur a en quelque sorte demandé de définir ce que la philosophe Corine Pelluchon décrit comme « une nouvelle manière d'exister », c'est-à-dire, d'intégrer les limites de la planète dans un nouveau projet de société.

On pourra débattre à l'envi sur le besoin de faire appel à cette Convention, les modalités d'organisation, le choix de faire voter les citoyens… N'est-ce pas là une dangereuse remise en cause de la démocratie représentative ? Clairement, non ! Nous pouvons être collectivement fiers de la Convention citoyenne pour le climat car former des citoyens pour leur permettre de mieux prendre part à la vie de la cité, c'est la vocation émancipatrice de la République. La beauté, la puissance de la République, c'est aussi offrir un cadre qui permet de répondre par le débat, par le consensus, aux principales questions qui travaillent notre société. Soyons clairs, cette expérience de démocratie participative ne peut en aucun cas se substituer aux institutions de notre République, ni au Parlement, ni au Gouvernement. C'est ici que la nation se retrouve pour décider de son être. C'est ici que naissent les grandes lois qui changent le pays et c'est ici que nous construisons la République écologique de demain.

Par l'ampleur des enjeux qu'il recouvre, par son esprit visant à changer concrètement la vie quotidienne des Françaises et des Français, ce projet sera, j'en suis certaine, une pierre majeure de cet édifice. Il ne s'agit plus seulement d'embarquer cent-cinquante citoyens dans la transition écologique mais 67 millions de Françaises et de Français. Qui plus est, nous devons le faire dans un cadre contraint car le moindre recul nous éloignera de la trajectoire de l'Accord de Paris.

Je sais que nous partageons toutes et tous les mêmes sens de l'urgence, l'urgence d'aller au-delà des grandes règles, des grands principes proclamés puis oubliés, des grands objectifs, l'urgence pour que l'écologie s'incarne dans la vie quotidienne des Françaises et des Français, pour dessiner un chemin où la somme des actions individuelles et collectives, des transformations, petites ou grandes, construira une France écologique et résiliente. Telle est précisément l'ambition de ce projet de loi, celle-là même dont nous témoignons depuis le premier jour du quinquennat.

Certains diront que l'on pourrait aller plus vite, plus loin ; d'autres, au contraire, qu'il faut arrêter d'em…bêter les Français. Moi, je ne crois pas à l'écologie du tout ou rien : je crois à ce qui est concret, à la construction d'un changement durable, à une écologie qui transforme le pays en profondeur pour le plus grand bien et la santé des Français, pour notre cadre de vie, pour des activités économiques renouvelées. Lorsque je relis une nouvelle fois ce projet, je trouve que la volonté de transformer la vie des Français, l'ambition écologique, l'esprit de la Convention y sont bien présents.

Avec cette loi, l'école de la République formera les éco-citoyens du XXIe siècle. Chacun aura accès à une information sérieuse pour faire des choix de consommation éclairés. C'est tout le sens du titre I, « Consommer ».

Avec cette loi, notre économie accélérera sa décarbonation. La transition écologique entrera au cœur des entreprises à travers les instances de représentation des salariés. La commande publique prendra une nouvelle dimension pour accroître le verdissement de l'économie. Le développement des énergies renouvelables s'inscrira mieux à l'échelle de chaque territoire pour renforcer l'acceptabilité des projets. Voilà les enjeux du titre II, « Produire et travailler ».

Avec cette loi, la transition vers les nouvelles mobilités sera encore plus rapide. Les zones à faibles émissions pour les villes de plus de 150 000 habitants permettront enfin de mettre un terme au modèle du « tout voiture » au profit d'une bonne articulation entre parkings relais, transports en commun et vélo. Avec bons sens, nous arrêterons de prendre l'avion lorsqu'il existe une alternative ferroviaire en moins de 2 heures 30. Ce sont les objectifs du titre III, « Se déplacer ».

Avec cette loi, nous mettrons enfin un terme à une aberration en divisant par deux le rythme d'artificialisation des terres. Chaque année, 20 000 à 30 000 hectares disparaissent. Nous éradiquerons également les passoires thermiques d'ici 2028 et leur mise en location en accompagnant les propriétaires. Ce sont deux caractéristiques essentielles du titre IV, « Se loger ».

Avec cette loi, notre modèle agricole et alimentaire se transformera plus rapidement au profit d'une agroécologie qui irriguera nos territoires. Nous réduirons notre utilisation d'engrais azotés. Nous nous donnerons les moyens de renforcer la lutte contre ce que l'on appelle la déforestation importée. Une alimentation plus saine et plus équilibrée sera encouragée. C'est le projet du titre V, « Se nourrir ».

Avec cette loi, ceux qui porteront atteinte à l'environnement seront punis plus sévèrement, c'est le cap que dessine le titre VI.

Oui, nous enclenchons un bouleversement culturel !

J'entends bien la « petite musique »… Telle proposition ne devrait pas être intégralement appliquée ou pas comme ceci, pas comme cela ; mais gouverner, c'est faire des choix, c'est assumer en responsabilité les enjeux divers, complexes, d'une société moderne, c'est construire un chemin pour transformer le pays, c'est aller vers un objectif mais en garantissant toujours l'acceptabilité et l'application des mesures proposées. C'est peu dire que la tâche est difficile mais je pense que nous y sommes arrivés, que nous avons trouvé ce chemin de crête. Au-delà des notes, des moyennes, des barèmes, c'est bien ce qu'il faut voir.

Bien sûr, cette loi ne peut pas être prise isolément et s'inscrit dans la dynamique de ce que nous avons réalisé à l'échelle de ce quinquennat avec des textes qui font évoluer notre modèle de société – loi énergie-climat, loi d'orientation des mobilités, loi anti-gaspillage et pour une économie circulaire, loi agriculture et alimentation – avec des actions sur le plan réglementaire – interdiction des nouvelles chaudières au fioul en 2022 – avec des décisions courageuses pour renoncer à de grands projets dépassés – Notre-Dame des Landes, Europa City ou Montagne d'Or – avec la mobilisation de moyens financiers – je songe aux 30 milliards du plan de relance spécifiquement consacrés au verdissement de notre économie – en menant un combat encore plus vigoureux sur le plan européen et international pour être à l'heure aux grands rendez-vous de cette année afin de renforcer le marché carbone européen et de promouvoir un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'Union.

Ce projet de loi complète l'arsenal écologique de la France, amplifie nos efforts et, surtout, créera un « effet boule de neige » catalyseur.

Une partie des effets d'un texte aussi ambitieux peut certes être quantifiée. Des zones à faibles émissions ? 4,5 millions de tonnes de CO2 en moins d'ici la fin de la décennie. La fin des passoires thermiques ? 2 millions de tonnes de CO2 en moins. Je pourrais continuer… Néanmoins, l'écologie, c'est beaucoup plus qu'une affaire d'additions et de tableaux. Qui peut quantifier la transformation profonde de la vie de nos concitoyens que nous cherchons à engager ? Combien de tonnes de CO2 en moins grâce à des publicités promouvant le covoiturage ou la réparation ou grâce à l'éducation à l'environnement, qui influence durablement les choix de consommation de millions de Français ?

Je crois profondément que cette loi remet la France en cohérence avec elle-même, avec ce que nos concitoyens ressentent, avec ce que nous ressentons. Vous le savez comme moi, vous le voyez dans vos circonscriptions : depuis des décennies, notre pays vit sur une idée fausse : on construit toujours plus, toujours plus loin, en éliminant toujours plus de terres agricoles et d'espaces naturels ; on étend les villes, on éloigne les Français les uns des autres, on allonge les distances, on enferme nos concitoyens dans la dépendance à la voiture pour leur dire, après, qu'elle pollue. Bref : on crée consciencieusement les conditions pour distendre et rompre le lien social.

Alors, regardons la réalité en face ! Donner aux consommateurs les informations nécessaires pour qu'ils puissent faire un choix éclairé, pour choisir ce qu'ils veulent manger : c'est du bon sens ! Ne pas prendre l'avion quand une alternative ferroviaire existe : c'est du bon sens ! Ne plus faire de centres commerciaux au milieu des champs : c'est du bon sens ! Punir plus fermement ceux qui attentent gravement à l'environnement et pénalisent l'avenir de nos enfants : c'est du bon sens ! Alors, oui, cette loi nous donne les éléments qui permettront enfin de renverser ce modèle ! Nous allons non seulement protéger la planète et préserver la nature qui nous entoure mais, aussi, reconstruire notre vivre ensemble.

Voilà un héritage qui fera date dans l'histoire de notre pays ! Ce texte ambitieux, concret, de terrain, gardien de l'esprit de la Convention citoyenne, appartient désormais aux représentants de la nation que vous êtes. À vous de l'enrichir, de le préciser, de le compléter ! À vous d'aller plus loin ! Je tiens toutefois à le dire : j'ai bien la « louable intention » de ne pas soutenir ce qui tendrait à réduire son ambition parce que c'est une question d'exigence, de cohérence et de responsabilité. Nous le devons aux femmes et aux hommes qui ont donné de leur temps pour répondre à l'appel du Président de la République. Nous le devons à notre planète, à notre pays, à nos concitoyens, aux futures générations. Vous pouvez compter sur moi pour maintenir ce cap ambitieux et être à vos côtés pour enrichir ce projet fondamental.

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