Intervention de Célia de Lavergne

Réunion du lundi 8 mars 2021 à 16h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCélia de Lavergne, rapporteure pour le titre V :

Le titre V traite de la question vitale de l'agriculture et de l'alimentation, sous l'angle du climat. L'agriculture est une contributrice importante des émissions de gaz à effet de serre, à hauteur de 19 %, mais elle est aussi une source importante de solutions. Elle est un secteur essentiel en matière de stockage de carbone, les sols constituant le principal puits de carbone, avec les forêts et les océans. Au cours des dernières décennies, répondant à une demande sociétale croissante, l'agriculture française a entamé sa transition agroécologique et nous devons saluer les efforts déjà engagés.

Permettez-moi, mes chers collègues, de revenir à la source de l'alimentation, là où tout commence : notre territoire, nos terroirs, nos champs que nos agriculteurs et nos paysans travaillent avec ardeur et engagement. Inlassablement, depuis des siècles, ils nous nourrissent et, en même temps, répondent aux attentes sociétales croissantes en matière de qualité d'environnement. Ils connaissent le changement climatique ; ils le vivent de manière de plus en plus prégnante. Ils savent donc l'impérieuse nécessité de se transformer.

Si nos paysans n'ont eu de cesse de s'adapter, leur rémunération n'a pas suivi. Elle a même baissé depuis plus de trente ans. L'an passé, 22 % des agriculteurs n'ont déclaré aucun revenu. D'après l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), c'est la profession qui travaille le plus et qui gagne le moins. Malheureusement, toutes catégories socioprofessionnelles confondues, elle présente aussi le taux de suicide le plus élevé.

Nous devons assurer cette rémunération aux agriculteurs – avant tout pour eux, car c'est une question de dignité humaine, mais également pour la souveraineté alimentaire de notre pays, alors que la moitié des agriculteurs devront passer le relais à la nouvelle génération au cours des dix prochaines années, ainsi que pour le climat, car toutes les études montrent qu'un paysan qui gagne bien sa vie est plus enclin à modifier ses pratiques. Une juste rémunération des agriculteurs est donc un gage de réussite pour nos objectifs climatiques.

Depuis ma nomination comme coordinatrice des états généraux de l'alimentation en 2017, je n'ai eu de cesse de penser que le consommateur est un facteur très puissant de transformation, incitant à une juste répartition de la valeur entre les acteurs de la chaîne alimentaire. Je suis persuadée que les choses évolueront de par la volonté du consommateur. Nous devons envisager la création d'un indicateur permettant d'évaluer rapidement, pour chaque produit alimentaire, la rémunération qui revient au producteur agricole – une sorte de « Rémunéra-Score », sur le modèle du Nutri-Score, qui permettrait aux consommateurs d'effectuer des choix responsables et éclairés tout en incitant les industriels et distributeurs à respecter les producteurs et à les rémunérer davantage.

Venons-en aux articles du titre V. Il y en a huit, qui forment un ensemble cohérent. Permettez-moi de saluer ici le travail des membres du groupe « Se nourrir » de la Convention citoyenne, avec qui nous avons eu des échanges constructifs.

Les articles 61 et 65 font des objectifs nationaux en matière de climat une sorte de chapeau de nos politiques publiques dans les domaines de l'agriculture, de la nutrition-santé et de l'alimentation. Ainsi, l'article 61 instaure une stratégie nationale pour l'alimentation, la nutrition et le climat : c'est une mesure ambitieuse, qui va au-delà de la proposition formulée par la Convention. L'article 65 s'empare de la politique agricole commune (PAC) et du plan stratégique national qui la décline en France. Il vise à rendre ce plan compatible avec quatre de nos stratégies nationales – la stratégie nationale bas-carbone, la stratégie nationale pour la biodiversité, la stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée et le plan national santé environnement. Cet article 65 incarne l'ambition générale du titre V et traduit bien sa philosophie : l'agriculture, l'alimentation, la santé des hommes, la santé animale et la santé de la planète forment un tout indissoluble. Il est de la responsabilité des pouvoirs publics d'agir sur l'ensemble, dans une démarche cohérente et ambitieuse.

Permettez-moi à présent de vous dire dans quel état d'esprit j'aborde l'article 59, qui prévoit l'expérimentation d'une alternative végétarienne quotidienne dans nos cantines. Loin des polémiques stériles, des oppositions de principe et des débats éruptifs auxquels nous avons assisté dans les médias, je souhaite dépassionner la discussion et déconstruire les idées reçues, les idées fausses, afin que notre assemblée puisse débattre et légiférer paisiblement.

Il n'est nul besoin d'opposer viande et repas végétarien – les éleveurs eux-mêmes ne le font pas. Le repas végétarien n'est pas exclusif, il n'est pas l'apanage d'un parti. Au contraire, il appartient à tous, et surtout aux Français de plus en plus nombreux qui le consomment occasionnellement, comme un autre menu. Ma conviction est simple : il est nécessaire de mettre dans nos assiettes à la fois de la viande de meilleure qualité, produite en France – ce qui n'est pas le cas habituellement –, et des repas à base de protéines végétales, d'œufs et de produits laitiers de qualité. Cessons d'opposer les deux ! Toutes les personnes auditionnées sont d'accord sur ce point. Ne suscitons pas ici de polémique inutile.

On observe que 5 % des Français sont végétariens – ils sont 12 % chez les 18‑24 ans – tandis que 20 % se disent flexitariens, alternant volontairement repas carnés et assiettes végétariennes. L'attente sociétale est là ; nous sommes en retard pour y répondre. Qui plus est, ce sera bon pour l'environnement. Pour statuer, nous devrons cependant attendre la séance, car M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, s'est engagé à fournir l'évaluation de l'expérimentation prévue par la loi ÉGALIM d'ici là.

L'article 60 conforte et accélère la structuration des filières agricoles par la restauration collective, engagée par l'article 24 de la loi ÉGALIM pour la restauration publique et étendue ici aux restaurants d'entreprises. Je vous proposerai également d'élargir la liste des produits éligibles.

Le projet de loi contient en outre une disposition essentielle à notre action de lutte contre le dérèglement climatique, visant à limiter l'apport d'engrais azotés minéraux, à l'origine de 42 % des émissions de gaz à effet de serre de l'agriculture. L'article 63 définit une trajectoire de réduction des émissions d'ammoniac et de protoxyde d'azote, tandis que l'article 62 prévoit le paiement d'une redevance sur ces engrais en cas de non-respect de la trajectoire pendant deux années consécutives.

L'article 64 contient des dispositions relatives à la lutte contre la déforestation importée. L'article 66 porte sur le commerce équitable. Nous y reviendrons.

Le titre V n'épuise pas le sujet de la transition de notre agriculture et de notre alimentation vers un autre modèle, plus respectueux de l'environnement, de la santé et des producteurs. Il pose cependant des jalons essentiels pour atteindre nos objectifs en matière de climat. Il témoigne d'une ambition réelle pour notre agriculture, dans la droite ligne des travaux que nous avons menés depuis le début de la législature.

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