Intervention de Erwan Balanant

Réunion du lundi 8 mars 2021 à 16h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaErwan Balanant, rapporteur pour le titre VI :

Bâtir un autre modèle de société est un formidable défi. Imaginer de nouveaux modes de consommation, de nouvelles méthodes de production, développer l'économie circulaire et l'énergie renouvelable sont des chantiers sur lesquels les pouvoirs publics et les acteurs privés doivent se concentrer de manière plus ambitieuse. C'est à cette mission que les 150 membres de la Convention citoyenne pour le climat devaient s'atteler.

Une société repose sur des normes que, collectivement, nous mettons en place. Le droit, instrument de nos choix sociétaux, reflète alors notre relation aux biens et à autrui.

Les membres de la Convention citoyenne ont souhaité introduire dans notre arsenal législatif un crime d'écocide. Dans leur objectif 7.1 « Légiférer sur le crime d'écocide », ils en proposent la définition suivante : « Constitue un crime d'écocide, toute action ayant causé́ un dommage écologique grave en participant au dépassement manifeste et non négligeable des limites planétaires, commise en connaissance des conséquences qui allaient en résulter et qui ne pouvaient être ignorées ».

Il y a quatre ans, lorsque j'ai commencé à travailler sur le droit de l'environnement, j'ai été, comme eux, très attiré par cette idée de créer un crime punissant les pollutions graves et irrémédiables. Toutefois, en approfondissant ce concept intellectuellement stimulant et en lisant de nombreux travaux, dont ceux du professeur Laurent Neyret, auteur de réflexions nourries sur le sujet, j'ai dû me rendre à l'évidence : la création de ce crime soulève encore de nombreuses interrogations. Nous rentrerons sûrement dans le détail et aurons des débats passionnés au cours de nos travaux, notamment lors de l'examen des amendements. Mais il y a un premier point qui fait quasiment l'unanimité et qui ressort des auditions que nous avons menées : le crime d'écocide doit être envisagé dans une perspective transnationale et supranationale. Aujourd'hui, son insertion dans le droit de l'environnement ne présenterait aucun intérêt.

Je sais que le constat est sévère. Pour autant, le souhait de la Convention citoyenne est légitime, et je pense que nous le partageons tous au sein de notre commission : nous devons mieux protéger nos écosystèmes et notre nature.

Nous pouvons constater que ni l'inflation réglementaire, ni l'explosion normative n'ont permis d'empêcher les atteintes à la nature ou d'atténuer la détérioration d'écosystèmes vivants. Nous avons des normes, des règlements, mais notre modèle juridique est-il suffisamment protecteur ? Est-il efficace ? Peut-il être compris par l'ensemble des acteurs économiques, associatifs, des pouvoirs publics et des citoyens ?

Le titre VI contient des propositions intéressantes permettant de combler les lacunes de notre droit. Ses dispositions s'inscrivent surtout dans une démarche globale et dans un chantier en cours.

En décembre 2020, lors de l'examen du projet de loi relatif au parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée, nous avons bâti une partie des fondations de ce chantier. Des juridictions spécialisées en matière d'environnement ont été créées : dans le ressort de chaque cour d'appel, un tribunal judiciaire sera désigné pour l'enquête, la poursuite, l'instruction et le jugement des délits environnementaux. Des conventions judiciaires d'intérêt public (CJIP) pourront désormais être conclues en matière environnementale. Les inspecteurs de l'Office français de la biodiversité (OFB) se voient attribuer des compétences de police judiciaire. Toutes ces mesures étaient très attendues par l'ensemble des acteurs du secteur.

Le texte que nous examinons aujourd'hui va plus loin et prévoit trois nouvelles dispositions. L'article 67 crée un délit de mise en danger de l'environnement. L'article 68 renforce les délits de pollution, allant jusqu'à créer un délit d'écocide, et prévoit une gradation des peines encourues suivant la gravité des faits et le niveau d'intentionnalité. Enfin, l'article 69 donne au tribunal la possibilité d'imposer à une personne condamnée la restauration d'un milieu naturel. Nous aurons des débats nourris autour de ces trois articles, qui nécessiteront indéniablement un travail de réécriture pour répondre aux remarques formulées tant par le Conseil d'État que par les personnes auditionnées durant nos travaux préparatoires. Il nous faudra cependant respecter l'équilibre général du texte et résoudre une équation simple : nous devons mieux protéger l'environnement et offrir aux acteurs économiques un cadre juridique fiable.

L'ensemble des acteurs judiciaires que nous avons interrogés, qu'ils soient magistrats, avocats ou représentants d'ONG, nous ont fait part du même constat : le droit pénal de l'environnement manque de cohérence et de lisibilité. Il se caractérise en effet par une grande fragmentation sectorielle et textuelle. Les infractions sont disséminées dans au moins cinq codes – le code de l'environnement, le code forestier, le code rural et de la pêche maritime, le code minier et le code pénal. Il n'existe pas à ce jour d'infraction générale. Les qualifications pénales se réfèrent, par des jeux de renvois, à de multiples articles répartis dans le code de l'environnement. Il arrive même que d'éminents spécialistes se perdent dans le dédale de ce code ! Il existe enfin un grand nombre d'infractions comportant, dans leurs éléments constitutifs, des conditions d'illicéité par rapport à une norme administrative. Multiplier les règles de droit inapplicables ne suffira donc pas : c'est une réorganisation substantielle de nos codes qui devra être menée. Un tel travail ne pourra être accompli dans le cadre de ce projet de loi, mais nous devons nous y engager.

Nous avons à relever un défi philosophique. Nous devons changer notre rapport à la nature et à l'environnement, et abandonner cet orgueil humain qui nous amène à considérer que nous sommes détachés du monde naturel. L'Assemblée générale des Nations unies nous invite, dans un rapport de 2011, à ne plus considérer notre planète comme un objet inanimé exploitable mais comme notre foyer commun.

Notre société ne peut plus ignorer les enjeux de la nouvelle relation que nous devons construire avec les écosystèmes vivants et la nature. Elle ne peut plus s'organiser sans tenir compte de la place de la nature, de son droit à exister, à se régénérer et à s'épanouir. En ce sens, nous devons bâtir un nouveau modèle vertueux et tenir compte, dans chacune des actions que nous allons mener, de notre rôle de tuteur et de protecteur de la nature.

Ouvrir la voie à de nouvelles dispositions juridiques, les réorganiser et créer des instances spéciales de protection de la nature permettra à la France, pionnière des libertés fondamentales, de prendre part à cet effort collectif et de répondre à cette exigence éthique de préservation de l'environnement. Si nous allons au bout de ce chantier, nous protégerons efficacement nos ressources et saisirons notre dernière chance de léguer aux générations futures une planète harmonieuse et saine.

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