Intervention de Mathilde Panot

Réunion du lundi 8 mars 2021 à 16h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMathilde Panot :

Voici venu le temps du bulletin de fin d'année, celui que l'on redoute et qui ne trompe pas : la Convention citoyenne a collé à votre projet de loi un 3,3/10 sur la reprise de ses mesures et une note de 2,5/10 sur le texte final. Les citoyens l'ont souligné : vous n'avez pas respecté la consigne ! Non seulement parce que leurs propositions ont été une à une sabordées, alors qu'elles devaient être reprises « sans filtre » – je cite le Président de la République – mais surtout parce que votre texte ne permettra pas d'atteindre la baisse espérée de 40 % des émissions de gaz à effet de serre.

En conseil de classe, vous avez répondu qu'il fallait prendre en compte le contrôle continu, car seul l'ensemble de vos mesures permettrait d'atteindre l'objectif de 40 %. Allons donc voir le reste du bulletin. Quelles appréciations peut-on y lire ? « Les résultats sont insuffisants. Emmanuel et son gouvernement déroulent le tapis rouge à Amazon, réintroduisent les néonicotinoïdes, refusent d'interdire le glyphosate, signent des accords de libre-échange à la récréation, donnent de l'argent de poche au secteur de l'aérien et de l'automobile sans contrepartie. Ils promeuvent le nucléaire auprès de leurs camarades, affaiblissent le droit de l'environnement, abandonnent le fret ferroviaire, multiplient les contournements autoroutiers, sabrent dans les effectifs du ministère de la transition écologique et détruisent les services publics, comme celui de l'Office national des forêts… Emmanuel et son Gouvernement présentent également de sérieux problèmes de discipline : ils trichent ! Ils baissent les objectifs de budget carbone pour 2023 dans la stratégie bas-carbone, passant de - 2,3 % à - 1,5 %, pour mieux se féliciter d'être à - 1,7 % en 2019 ! Mais surtout, Emmanuel et son Gouvernement sont très dispersés, refusent catégoriquement d'écouter en classe les remarques de l'opposition et de la société civile, jouent les durs à la pause en frappant et en gazant leurs petits camarades. »

Je suis navrée, madame la ministre, mais, même lorsqu'il s'agit du contrôle continu, vous n'atteignez pas la moyenne. C'est une véritable déception car Emmanuel Macron était pourtant très motivé au début de l'année et nous disait au sujet de la Convention citoyenne : « tout, dans cette aventure démocratique et humaine, constitue une première mondiale, autant par son ambition que par son ampleur. En neuf mois, la Convention citoyenne a renouvelé de manière inédite les formes de la démocratie et bousculé le système. Et si cette expérience est une réussite, c'est avant tout par la qualité du travail que vous avez produit. »

Tout ça… pour ça. Celui qui s'autoproclamait premier de la classe, champion de la Terre, tête d'ampoule de l'écologie, se révèle plutôt un cancre du climat. Il faut dire que tout au long de l'élaboration de leur devoir, Emmanuel et son Gouvernement ont eu de mauvaises fréquentations. On leur a soufflé que la taxe sur les dividendes « freinerait l'investissement », que l'interdiction de la publicité sur les produits polluants ou de malbouffe « entraverait la liberté », que la fin des vols intérieurs pour les trajets de plus de quatre heures lorsqu'une alternative en train est possible « ferait s'effondrer le secteur », que l'obligation de rénovation thermique des bâtiments « découragerait les propriétaires » et leur meilleur ami, Amazon, les a dissuadés de prendre en compte les entrepôts d'e-commerce dans leur moratoire « au nom de l'emploi », bien qu'Amazon détruise plus d'emplois qu'il n'en crée.

Attention aux bavardages avec les lobbys, madame la ministre ! Ils perturbent la classe – ou plutôt l'intérêt général – et c'est à cause d'eux que l'on se retrouve avec un texte lacunaire, dans lequel trois quarts des mesures de la Convention citoyenne ont été piétinées. Des lacunes, comme l'absence scandaleuse de mesures sur les forêts, comme l'interdiction des coupes rases ou le renforcement des moyens de l'Office national des forêts, formulées pourtant par la Convention citoyenne. Rien non plus sur l'eau, bien commun essentiel à la vie. Nos amendements sur ces sujets ont été jugés irrecevables, c'est-à-dire mis à l'écart du débat démocratique ; c'est honteux ! Il faudrait m'expliquer comment les forêts et l'eau n'ont pas de lien avec un texte qui traite du climat.

En définitive, d'aucuns vous diraient de vous rattraper au prochain trimestre, de poursuivre vos efforts et, pourquoi pas, de redoubler. Sauf que le dérèglement climatique est en marche, et que notre temps est compté. Vous êtes de ces élèves qui choisissent leurs matières, et celle que vous préférez, c'est la finance, la philosophie des patrons et celle des multinationales. Ce que vous appelez l'écologie du concret et du progrès n'est rien d'autre que le service après-vente du libéralisme : repousser les échéances le plus loin possible, ne pas brusquer les industriels, miser sur leur bonne volonté pour nous sortir de l'impasse, et surtout, ne pas remettre en question le système économique qui nous mène au désastre. Avez-vous un seul exemple dans le monde où la politique de la caresse a fait ses preuves ?

Ce dont notre pays a besoin, c'est d'une bifurcation écologique et solidaire. Pas d'un maigre virage verdâtre qui ne trompe personne. Pour cela, nous devons engager une rupture avec nos modèles de production et de consommation, planifier la reconversion des secteurs polluants et repartir des besoins de nos concitoyens, car il n'est pas d'écologie sans justice sociale.

Il vous reste à comprendre une chose : l'écologie est un champ de bataille. On ne peut venir contenter quelques-uns, quand notre responsabilité historique est d'éviter à toutes et tous les désastres climatiques. Il n'est pas de connivence avec les lobbys qui tienne quand il s'agit d'intérêt général. Entre les lobbys et la survie de l'espèce humaine et du vivant, il faut choisir.

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