Intervention de Jean-Michel Blanquer

Réunion du jeudi 17 décembre 2020 à 12h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la république

Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports :

Le projet de loi, présenté en conseil des ministres le 9 décembre, comporte des dispositions importantes concernant l'éducation et le sport, rassemblées dans le chapitre V du titre Ier. À mes yeux, ce n'est pas un texte contre, c'est un texte pour – pour la République, dont l'école est le pilier, la colonne vertébrale.

Les mesures concernant mon ministère font progresser l'école. Or, l'école, c'est bon pour les enfants ; la pandémie a été l'occasion de le redire et surtout de le ressentir. Tous les enfants, sur le territoire français, doivent aller à l'école. L'école, c'est bon pour les enfants : il est important de rappeler ce principe simple – après, on peut discuter des modalités. Du reste, ce principe n'est pas valable seulement en France : il vaut pour l'ensemble du genre humain.

Aller à l'école est un droit. Ce texte a donc pour enjeu de défendre non seulement la République, mais aussi les droits de l'enfant – les deux allant de pair. L'obligation de scolariser les enfants est l'expression d'une conviction profonde ; elle est liée aux grandes lois de la République, notamment celles des années 1880, qui ont rendu l'instruction obligatoire. Dès le début de la Troisième République, on était conscient du fait que l'école était le vecteur majeur de la liberté, de l'égalité et de la fraternité ; la psychologie et l'ensemble des disciplines permettant de mieux connaître l'être humain ont conforté cette idée. Par ailleurs, le premier confinement, entre le 15 mars et 11 mai, a aussi permis de convaincre ceux qui en auraient douté qu'enseigner est un métier, et que l'on est bien content que les enfants puissent aller à l'école.

Depuis plusieurs années, on constate pourtant un phénomène de fuite de l'école, pour diverses raisons – certaines sont compréhensibles, d'autres mauvaises. En dix ans, le nombre d'enfants concernés a été multiplié par trois, pour atteindre 62 000 cette année. Ce phénomène, qui ne concerne pas seulement la France, pourrait être qualifié de « séparatisme ». En tout cas, il fragmente notre pays. Or, et c'est l'un des sens du mot « République », nous devons nous efforcer d'unir la société, notamment grâce à l'école.

L'évolution que je décrivais se traduit par une augmentation du nombre d'enfants inscrits au Centre national d'enseignement à distance (CNED), en général pour des motifs de santé ou de handicap, le nombre d'enfants dans ces catégories restant relativement stable. À cet égard, je rappelle que nous sommes engagés de manière très déterminée dans une dynamique d'école inclusive : les élèves, même s'ils ont un handicap, sont autant que possible scolarisés.

Quoi qu'il en soit, un grand nombre de familles considèrent donc que leurs enfants ne doivent pas côtoyer d'autres enfants, d'autres milieux ou d'autres confessions. Cela peut conduire à des situations préoccupantes, néfastes à l'apprentissage et au bien-être de l'enfant. L'islamisme radical n'est pas seul en cause, même s'il est dans tous les esprits : il y a aussi les phénomènes sectaires et d'autres formes de radicalisation.

Depuis deux ans, avec la loi Gatel et la loi pour une école de la confiance, nous avons engagé la fermeture des écoles clandestines et des écoles hors contrat qui ne respectent pas les valeurs de la République. Or nous avons constaté que plus de la moitié des enfants présents dans ces structures étaient en principe sous le régime de l'instruction en famille. Autrement dit, le dispositif était détourné : alors qu'ils étaient censés recevoir l'instruction en famille, ils fréquentaient en réalité des structures clandestines et illégales. C'est évidemment préoccupant.

Nous voulons mettre fin à ce phénomène qui met en cause les droits de l'enfant – car lorsque les parents ou les responsables légaux d'une fillette de 3 ans envoient celle-ci, couverte de la tête aux pieds, dans un hangar pour y recevoir un enseignement, ils violent les droits de cet enfant. En outre, on ne peut pas faire comme si ce phénomène était marginal : il est important, même si, bien entendu – et je veux être très clair sur ce point –, tous les cadres de l'instruction à domicile ne correspondent pas à cette description.

On me demande parfois quels sont la proportion et le nombre d'enfants concernés par ce phénomène. Il est vrai qu'à ce stade nous avons plutôt des évaluations qu'un véritable décompte – justement parce que nous ne disposons pas encore des outils législatifs, et ultérieurement réglementaires, permettant de prendre la mesure exacte du problème. Quoi qu'il en soit, sur le terrain, nous voyons bien que le phénomène est loin d'être marginal.

Bien entendu, notre objectif n'est pas de porter atteinte aux pratiques positives à travers notre combat contre celles qui sont négatives. Nous souhaitons restreindre la possibilité d'avoir recours à l'instruction en famille, mais, comme l'a dit dès le début le Président de la République, il ne s'agit pas d'interdire aveuglément tous les dispositifs d'instruction en famille : nous voulons définir de manière restrictive les exceptions à la scolarisation, de manière à ne conserver que les cas relevant de demandes légitimes et à lutter contre toutes les tendances qui mettent en cause l'unité de la République.

Je précise d'emblée qu'à mes yeux cette proposition ne heurte en aucun cas la Constitution. Le Conseil constitutionnel n'a jamais jugé que l'instruction en famille constituait une composante de la liberté d'enseignement : seule la possibilité pour les familles de choisir des modalités d'enseignement différentes de celles mises en œuvre par l'État a été consacrée par la décision du 23 novembre 1977. Vous observerez aussi, à la lecture de l'avis qu'il a rendu sur le présent projet de loi, que ce n'est pas non plus la position du Conseil d'État.

Par ailleurs, d'autres pays européens ont interdit l'instruction en famille ou l'ont encadrée très strictement. En Suède, elle n'est autorisée que dans des cas exceptionnels : pour raisons de santé, ou encore dans le cas des familles en voyage. Les raisons philosophiques ou religieuses ne sont pas admises.

Les restrictions sont plus fortes encore en Allemagne, où même les raisons de santé sont strictement contrôlées. Après la deuxième guerre mondiale, ce pays a voulu éviter toute forme de sortie du système scolaire.

En Espagne, l'instruction à domicile n'est pas prévue par le système constitutionnel ; la scolarisation est obligatoire.

Ces trois cas méritent d'être soulignés, car la Cour européenne des droits de l'homme n'y a rien vu de contraire à la Convention européenne des droits de l'homme. Si la liberté de l'enseignement a valeur constitutionnelle, l'instruction à domicile n'est pas une de ses composantes. Elle peut éventuellement en être une modalité, tout à fait susceptible d'être encadrée.

Par cette loi, nous voulons protéger les enfants contre toute forme de violation de leur droit à l'éducation. Dans cet esprit, il sera inscrit dans le code de l'éducation que l'instruction à l'école est le principe et que l'instruction en famille ne peut intervenir que de manière dérogatoire, donc motivée. Le paradigme change dans la mesure où nous passons d'un régime de déclaration à un régime d'autorisation préalable. Les familles devront se fonder sur des motifs particuliers.

Premièrement, l' « état de santé de l'enfant ou son handicap ». À ce propos, nous venons de déployer un dispositif permettant à des enfants hospitalisés pour une longue durée de suivre les cours à distance. C'est une manière de montrer que, quoi qu'il arrive, et même lorsque l'état de santé d'un enfant peut justifier une modulation de la règle, le lien avec l'école reste un élément très important.

Deuxièmement, la « pratique d'activités sportives ou artistiques intensives ». Hier, lors des questions au Gouvernement, un député a évoqué des cas concrets d'enfants apprenant le violon ou pratiquant le handball de manière intensive et bénéficiant à ce titre de l'instruction en famille : avec cette loi, ce sera toujours le cas.

Troisièmement, l' « itinérance de la famille en France ou l'éloignement géographique d'un établissement scolaire ». Cette condition concerne notamment les gens du voyage.

Quatrièmement, l' « existence d'une situation particulière propre à l'enfant, sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de leur capacité à assurer l'instruction en famille dans le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant ». J'insiste sur cette dernière condition : l'intérêt supérieur de l'enfant sera le critère absolu.

En dehors de ces situations particulières, les enfants devront donc aller à l'école, que celle-ci soit publique ou privée, sous contrat ou hors contrat – étant entendu, par ailleurs, que nous avons légiféré au cours des trois dernières années pour mieux encadrer les écoles hors contrat. Au début du quinquennat, il était plus facile d'ouvrir une école qu'un bar ; ce ne sera plus le cas. Je considère que l'on peut en être fier, car le fait d'enseigner n'est pas anodin. La liberté d'enseigner emporte aussi la liberté de créer une structure éducative, et il est important de consacrer ce principe, mais cette liberté est encadrée : elle doit s'exercer dans le respect des droits de l'enfant.

En réalité, non seulement la liberté d'enseignement n'est pas limitée par ce texte, mais elle est précisée et confortée. En 1977, le Conseil constitutionnel lui a reconnu une valeur constitutionnelle. Elle peut également se prévaloir de son ancienneté. L'étape législative que vous vous apprêtez à franchir aura certainement des conséquences que je considère comme positives sur la façon de la définir : il doit s'agir d'une liberté au service des enfants.

Le travail de préparation a permis, me semble-t-il, de dissiper les inquiétudes relatives aux différentes formules d'instruction en famille : celles-ci pourront perdurer dès lors qu'elles seront fondées sur un motif légitime.

La deuxième mesure du texte que je voudrais évoquer concerne les établissements privés hors contrat. À mes yeux, elle est aussi importante que la précédente, même si l'attention s'est beaucoup focalisée sur les enjeux de l'instruction à domicile – à juste titre, car c'est un sujet important, mais cela ne devrait pas pour autant conduire à relativiser les autres mesures. Grâce à cette loi, nous pourrons fermer des écoles – en réalité des pseudo-écoles – sitôt que nous aurons constaté des manquements à leurs obligations éducatives et à leur mission de protection des enfants ; ce n'est donc pas seulement le respect des normes de sécurité – notamment en matière d'incendie – qui est visé, comme c'est souvent le cas.

Par ailleurs, actuellement, la fermeture définitive d'un établissement ne peut être ordonnée que par le juge pénal, ce qui implique de longs délais laissant libre cours à la poursuite des manquements constatés. Peut-être avez-vous à l'esprit un certain nombre de procédures que j'ai engagées : j'ai obtenu la fermeture de plusieurs établissements, mais cela a pris plusieurs mois. La loi Gatel, si elle a constitué un progrès très important pour empêcher l'ouverture de certaines écoles – plusieurs dizaines ont ainsi été bloquées au cours des deux dernières rentrées –, nous laisse encore assez impuissants pour ce qui est de les fermer, car les délais qu'elle prévoit sont beaucoup trop longs. Dans la région de Grenoble, par exemple, nous considérions une école comme étant d'inspiration salafiste. Nous l'avons attaquée en justice. Nous avons gagné en première instance, mais l'appel a été suspensif, et, pendant ce temps, les enfants ont pu continuer à fréquenter l'établissement. C'était, pour les responsables de cette école, une manière de narguer les autorités de la République.

Il convient donc de se doter d'un outil législatif plus efficace contre des structures de ce type, tout en respectant la liberté d'enseignement, bien entendu. La procédure sera contrôlée par le juge administratif.

Les trois autres mesures du projet de loi qui concernent l'éducation nationale visent, de la même façon, à s'assurer de la protection des élèves inscrits dans les établissements privés hors contrat.

Nous allons, d'une part, étendre à l'ensemble des personnels l'obligation pour ces établissements de déclarer annuellement leurs enseignants. Cela permettra à l'administration de s'assurer que l'ensemble des personnels de l'établissement, et pas seulement le directeur et les professeurs, ne font pas l'objet d'une incapacité juridique quelconque. L'administration pourra en effet consulter le bulletin no 2 du casier judiciaire des intéressés et vérifier, par exemple, qu'ils ne sont pas inscrits au fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS).

Nous allons ensuite renforcer le contrôle de l'État sur les comptes et les sources de financement des écoles privées hors contrat. Ce contrôle n'avait lieu qu'au moment de l'ouverture ; il pourra désormais être permanent.

Enfin, l'État exigera, pour la conclusion d'un contrat simple ou d'un contrat d'association, le respect d'un enseignement conforme à l'objet de l'instruction obligatoire, autrement dit le respect des normes minimales de connaissances requises par le code de l'éducation. Là encore, il s'agit de protéger les droits de l'enfant, en l'occurrence en s'assurant que le socle commun de connaissances, de compétences et de culture est réellement acquis par les enfants durant leur parcours scolaire.

Je voudrais aborder également les enjeux du monde sportif. J'ai demandé que nous nous engagions, en matière de défense des valeurs de la République, dans une démarche de qualité comparable à celle de l'éducation nationale. La fusion du ministère de l'Education nationale et de la jeunesse avec celui des sports a de nombreuses vertus, que Roxana Maracineanu et moi-même soulignons souvent, dont celle-ci : il y a désormais une vision commune et volontariste s'agissant du respect des valeurs de la République dans nos activités.

À l'instar de l'ensemble du monde associatif, le projet de loi permettra de faire évoluer la tutelle de l'État sur les fédérations sportives, lesquelles devront s'engager expressément à respecter les principes républicains. Nous leur donnerons à la fois plus d'autonomie et plus de responsabilités. Elles s'engageront à respecter les principes républicains et, plus généralement, des règles d'éthique – ce qui englobe le combat contre les violences sexuelles dans le milieu sportif, que Roxana Maracineanu mène avec beaucoup d'énergie et d'efficacité. Cet engagement conditionnera la délivrance de l'agrément, qui permet de solliciter des subventions et de bénéficier des services des cadres d'État et, le cas échéant, de la délégation de service public.

Les évolutions législatives relatives au sport contenues dans ce texte s'adressent aux fédérations reconnues par l'État, aux fédérations agréées et aux fédérations délégataires.

Pour toutes les fédérations reconnues par l'État, le régime de tutelle sera remplacé par un régime de contrôle.

Pour les fédérations agréées, l'agrément ministériel sera conditionné à la signature du contrat d'engagement républicain. L'agrément sera limité dans le temps pour faciliter le contrôle de cette obligation. Les fédérations auront jusqu'au 31 décembre 2025 pour se mettre en conformité.

Pour les fédérations délégataires, la délégation ministérielle sera conditionnée à l'établissement d'un contrat de délégation par lequel la fédération s'engagera à promouvoir et préserver les principes républicains.

Ces évolutions législatives s'inscrivent dans le cadre d'une feuille de route globale que nous venons d'adresser à l'ensemble des acteurs du monde du sport. Nous allons d'abord et surtout accompagner ces derniers. Très souvent, les clubs essaient de trouver des solutions, mais se sentent démunis. Certaines situations sont donc comparables à celles que l'on a connues dans l'éducation nationale. Les normes doivent être claires et il faut être en mesure d'aider les clubs à faire respecter les valeurs de la République, notamment en leur envoyant des équipes dédiées.

Le projet de loi va donc permettre de couvrir tous les domaines entrant dans le champ de mon ministère, en protégeant les enfants et les jeunes pendant le temps scolaire et en dehors. Ces dispositions, qui viennent compléter des mesures prises au cours des dernières années, sont importantes. Au-delà de l'école elle-même, c'est le projet républicain qu'elles permettront de consolider.

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