Monsieur le président, vous avez souligné l'importance du contexte de l'élaboration de ce projet de loi : voilà qui me paraît essentiel. Il n'est pas opportun de rédiger des lois sous le coup de l'émotion mais, dans la vie d'un peuple ou d'une nation, il est parfois légitime que l'émotion persiste – je pense à l'abominable assassinat terroriste de Samuel Paty. Loin de céder à la colère, nous devons garder à l'esprit l'humanisme et la quête de sens qui se sont manifestés à la suite de cet attentat et comprendre la résonance qu'il a eue dans notre pays.
Rappeler le contenu des principes républicains qui doivent être confortés me semble important. Certes, ils sont mieux mis en exergue dans l'exposé des motifs du projet de loi. Cependant, le texte parle plutôt des fondements de la République, à savoir la liberté, l'égalité, la fraternité, l'éducation et la laïcité. Je ne veux pas relancer l'éternel débat entre éducation et instruction, mais la question se pose tout de même, d'autant plus que le droit à l'éducation risque d'être mis à l'épreuve dans cette loi. Par ailleurs, c'est à l'aune de ces principes que, dans un second temps, le contrôle de constitutionnalité et de conventionnalité sera mené. Enfin, rappeler ces principes est nécessaire au regard des exigences qu'impose la vie en commun dans une société démocratique, comme ce fut le cas lors du débat sur la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public.
Nous sommes auditionnés en tant que représentants d'un courant philosophique. Je m'exprime au nom d'une obédience, la Grande Loge mixte de France, et pas au nom de chacun de ses membres, qui sont en droit d'avoir leur propre opinion, qui pourra souvent différer de celle de l'obédience. Toutefois, la loge a dégagé une réflexion et un travail communs, que j'exposerai devant vous.
La laïcité ne représente pas seulement un cadre juridique mais une philosophie, et même une philosophie politique. Alain nous en donne une idée juste. Il dit, ce qui peut sembler être un paradoxe, que l'esprit laïque n'est « pas une doctrine mais une manière hardie de juger toute doctrine et un profond mépris pour les moyens extérieurs ». Cette promesse d'émancipation et de liberté est ce qui nous permet de ne pas faire de choix entre être laïque et être religieux. La laïcité, d'un point de vue philosophique, offre à la société des espaces vides de toute croyance : c'est ce vide qui permet à chacun de définir ensuite ses propres valeurs. Telle est la liberté de conscience.
Ce texte est ambitieux, mais cette ambition exige cohérence, équilibre et mesure. M. Graisset-Recco a souligné l'importance de l'esprit d'apaisement et d'adhésion ; je le rejoins parfaitement. D'une manière générale, il manque peut-être dans ce texte la dimension généreuse de la République. Il contient un grand nombre de mesures de police et de contrôle. S'agissant d'un texte qui met en avant des principes républicains, notamment le principe de liberté, voilà qui peut paraître paradoxal. Nous ne pourrons faire l'économie d'une réflexion sur les questions d'égalité des chances ou de lutte contre les discriminations. Par ailleurs, le texte contient un grand nombre de dispositions, ce qui rend sa lecture difficile. Un fil conducteur serait souhaitable.
Je note que ne sont mentionnés ni l'Observatoire de la laïcité – peut-être n'est-ce pas le lieu adéquat pour le faire –, ni les collaborateurs occasionnels du service public – je souhaiterais y revenir – ni la possibilité d'étendre le champ d'application de la loi de 1905, en particulier en Alsace-Moselle.
Trois points ont retenu mon attention. Premièrement, le contrat d'engagement républicain porte mal son nom, puisqu'il ne s'agit pas vraiment d'un contrat, comme le Conseil d'État l'a déjà dit. Ces termes figurant toujours dans le texte, nous souhaiterions connaître le contenu d'un tel contrat. Deuxièmement, concernant le combat contre la haine en ligne, l'établissement des preuves d'intentionnalité sera difficile. Établir le caractère intentionnel de la diffusion d'informations, dans le but d'exposer une personne ou un membre de sa famille à un risque d'atteinte à la vie, ne sera pas aisé. Troisièmement, le droit de disposer d'immeubles de rapport, prévu à l'article 28, et l'exemption du droit de préemption, prévue à l'article 32, constituent la difficulté la plus importante. Je pourrai développer ce point plus avant.