Intervention de Pierre-Marie Adam

Réunion du mardi 5 janvier 2021 à 8h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la république

Pierre-Marie Adam, Grand Maître de la Grande Loge de France :

Monsieur le président, je vous remercie pour votre invitation. La Grande Loge de France est une obédience de 34 000 membres et nous n'avons pas l'habitude de nous exprimer en public. En revanche, nous répondons volontiers aux invitations quand sont en jeu des questions aussi importantes.

Nous sommes heureux d'être considérés comme une organisation philosophique et non confessionnelle et de ne pas avoir été invités en même temps que les représentants des cultes, comme cela avait été le cas il y a un certain temps, ce qui nous avait un peu crispés. Cette loi appelle toute notre attention, puisque le respect des principes de la République nous intéresse au plus haut point. J'interviendrai plutôt sur l'aspect philosophique de la loi, tandis que mon collègue et frère, Me Philippe Nugues, qui est avocat, répondra aux questions d'ordre juridique.

Ce projet de loi est vu favorablement par la majorité de nos 34 000 frères, même si je n'ai pu les interroger tous individuellement. Les points qui nous intéressent sont : les questions portant sur les cultes, notamment le renforcement de la laïcité en général, mais aussi le renforcement de la laïcité et de la neutralité dans les services publics ; le contrat d'engagement républicain, même s'il manque sans doute une charte de déontologie qui viendrait s'adosser à ce contrat et qui serait opposable, pour le cas où il ne serait pas respecté ; la protection des agents publics et de la dignité humaine, surtout lorsqu'il s'agit des femmes et du débat sur les certificats de virginité ; enfin, la répression de la haine en ligne. Comme je le disais à Mme Laetitia Avia, j'ai moi-même été menacé, sur un réseau social, d'être étripé en place publique par un abruti, parce que j'avais eu la funeste idée de mettre en avant notre Marianne, qui se trouve être en bronze – et donc plutôt « bronzée », si je puis m'exprimer ainsi. J'ai donc été accusé de valoriser une Marianne noire.

Font consensus la lutte contre l'islam radical, même si nous regrettons que les termes « séparatisme », « communautarisme » et « islam radical » aient été supprimés du projet de loi, et le respect de l'équilibre entre la défense des libertés nécessaires et la sanction des atteintes à cette défense des libertés – ce qui renvoie à la « loi Avia ». Nous nous interrogeons sur un point : pourquoi limiter ces dispositifs aux convictions religieuses ? Je croyais d'ailleurs qu'il s'agissait de croyances, mais sans doute me trompé-je… Sont oubliées les sectes et autres associations à caractère philosophique, qui sont sans doute tout aussi dangereuses que les religions.

Certains désaccords se sont manifestés, par exemple sur l'instruction à domicile. Certains se demandent pourquoi remettre en cause une loi qui fonctionne. Il faudrait simplement, de leur point de vue, s'assurer qu'il s'agit bien d'instruction, que les parents qui instruisent en sont capables et que les enfants ne sont pas confiés à d'autres structures que l'éducation nationale pour faire autre chose qu'apprendre à lire, écrire et compter. Ils s'interrogent sur les moyens de contrôler ce type d'enseignement. D'autres sont tout simplement contre l'instruction à domicile. Enfermer les enfants dans un lieu, fût-il familial, sans ajouter du sport, de la culture, des sorties, du mélange et de la mixité dès le plus jeune âge reviendrait, selon eux, à les exclure de la société. L'instruction à domicile devrait être complétée par des obligations de partage hors de la cellule familiale.

Concernant les cultes, il semble effectivement nécessaire d'apprécier la qualité des associations cultuelles et d'exercer un contrôle sur toute la durée du contrat signé avec ces associations. Il faut veiller à ce que les associations qui ont une portée culturelle n'enferment pas les enfants dans le communautarisme, comme cela peut être le cas dans les piscines ou dans les vestiaires d'associations sportives. Il est nécessaire de vérifier que la neutralité républicaine soit bien appliquée par les associations en question, qui doivent s'engager non seulement par la signature d'un contrat, mais aussi d'une charte respectant les principes de la République.

Mon dernier point sera un peu plus critique. N'est-il pas flou d'utiliser les termes « principes » et « valeurs », les premiers étant d'ordre institutionnel et les secondes d'ordre moral ? Ces termes sont utilisés indifféremment dans le projet de loi. N'est-ce pas une erreur de parler de « Gouvernement » plutôt que d'« institutions » de la République ou de la nation ? Ne nous trompons-nous pas en parlant de « circonscriptions religieuses » ? Qu'est-ce qu'une circonscription religieuse pour un catholique, un musulman ? Quelles en sont les limites ? On parle aussi de « polygamie », ce qui laisse penser qu'elle existe. Or je pensais qu'elle n'existait pas dans le droit français…

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