Nous concentrerons notre propos sur la question des associations cultuelles, puisque c'est en quelque sorte notre fonds de commerce. Je rappelle que c'est Ferdinand Buisson, alors président de l'Association nationale des libres penseurs de France, qui présidait la commission chargée d'élaborer la loi du 9 décembre 1905.
Sur les questions d'enseignement, nous nous faisons les avocats de la Ligue de l'enseignement, qui n'a apparemment pas été invitée à s'exprimer devant votre commission. Nous estimons qu'elle aurait pourtant des choses intéressantes à dire à la représentation nationale, même si nous ne partageons pas toujours le même point de vue sur ces sujets.
S'il réaffirme le principe selon lequel les associations cultuelles ont pour seul objet l'exercice public du culte, le projet de loi tend néanmoins, en pratique, et sous couvert de leur permettre d'accroître leurs sources de financement, à étendre l'objet de ces associations. La loi du 9 décembre 1905, telle que modifiée par la loi du 25 décembre 1942 adoptée sous le régime de Vichy, les autorise actuellement à recevoir des libéralités grevées d'obligations cultuelles et de charges pieuses. Le texte proposé ferait sauter ce verrou, de sorte qu'elles seraient légalement fondées à gérer un patrimoine immobilier sans que celui-ci soit affecté à une fin cultuelle.
Ensuite, le projet de loi vise à imposer aux associations cultuelles, actuellement soumises aux seules dispositions des articles 5 et suivants de la loi du 1er juillet 1901, une obligation de déclarer préalablement leur caractère spécifique, obligation qui serait renouvelable tous les cinq ans. L'administration aurait le pouvoir de s'opposer à cette déclaration dans les deux mois. Il s'agirait en réalité d'un système d'agrément qui poserait un problème juridique sérieux, au regard non seulement du principe de liberté d'association, mais aussi du principe de non-reconnaissance des cultes prévu à l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905.
En dernier lieu, les associations cultuelles devraient déclarer tout financement de plus de 10 000 euros provenant de l'étranger. L'administration serait autorisée à s'opposer à l'utilisation de ces fonds au motif qu'ils proviendraient d'un État étranger ou que les membres de l'association tiendraient des propos jugés hostiles à la République. Or le seul motif d'opposition à l'utilisation de tels fonds ne peut être que leur caractère frauduleux ou leur origine criminelle.
Autre sujet de préoccupation : les mesures qui ont trait à la fermeture des lieux de culte et à l'aggravation des sanctions pénales. L'article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure permet déjà à l'État, « aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme », d'aboutir au même résultat. Le projet de loi vise néanmoins à donner à l'administration le pouvoir, en dehors de tout objectif de lutte contre le terrorisme, de fermer un lieu de culte pour une durée maximale de deux mois, en raison de l'expression de propos et de théories incitant à la haine ou à la violence. Cette disposition nous paraît excessive. S'il était adopté en l'état, le texte fragiliserait très sérieusement, sans menace grave et imminente à l'ordre public ou à la sûreté des biens et des personnes, l'exercice de la liberté de culte, qui n'est qu'un sous-ensemble de la liberté de conscience garantie par la loi de 1905.
Par ailleurs, le projet de loi aggrave très sensiblement un certain nombre de sanctions pénales alors qu'à l'origine, dans un contexte de tension entre l'État et l'église catholique, le législateur avait évité, dans un souci d'apaisement, de recourir au juge pénal de manière trop sévère. Dans le cas présent, on tord le bâton dans l'autre sens.
Enfin, les associations relevant de la loi de 1901 ayant un objet cultuel ainsi que les associations inscrites de droit local alsacien, qui sont pour l'essentiel des associations musulmanes, seraient soumises aux mêmes obligations, grosso modo, que les associations cultuelles, sans bénéficier pour autant des avantages attendus, notamment fiscaux. Cette mesure nous préoccupe, car elle remettrait en cause le cadre juridique équilibré issu de la combinaison de la loi du 1er janvier 1901 sur les associations, de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l'État et de la loi du 2 janvier 1907 concernant l'exercice public des cultes, qu'il a fallu adopter quand l'église catholique a refusé de constituer des associations cultuelles. Depuis cent quinze ans, un équilibre existe ; il ne faut y toucher qu'en prenant beaucoup de précaution.