Intervention de édouard Habrant

Réunion du mardi 5 janvier 2021 à 8h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la république

édouard Habrant, Grand Maître de la Grande Loge mixte de France :

Compte tenu du grand nombre de questions qui nous ont été posées et du peu de temps que nous avons pour y répondre, je me permettrai, si vous m'y autorisez, à vous faire parvenir une petite note complémentaire. Je me contenterai ici de quelques remarques.

Tout d'abord, vous voyez que tous les francs-maçons n'ont pas les mêmes idées sur tout, loin de là : à mesure que le débat avance, des divergences commencent à se faire jour. De la même manière, tous les juristes n'ont pas le même regard sur cette loi. Je ne suis pas du tout certain, par exemple, que la Cour européenne des droits de l'homme sanctionnerait le dispositif introduit à l'article 21 au sujet de l'enseignement en famille car elle laisse, en la matière, une grande latitude aux États.

On nous a demandé pourquoi nous étions opposés à la possibilité donnée aux associations cultuelles de gérer des immeubles de rapport. Pour ma part, j'ai envie de vous demander en quoi, concrètement, cette disposition va permettre d'atteindre les objectifs fixés par la loi. Pour l'instant, je n'ai pas eu de réponse à cette question. Je note que cette disposition avait été soumise à la représentation nationale en 2018 dans le cadre de la loi pour un État au service d'une société de confiance (ESSOC) et qu'elle avait été écartée. Elle était sortie par la porte et elle revient par la fenêtre. Qu'est-ce qui s'est passé entre-temps ? Je n'en sais rien…

D'une manière plus générale, je fais une différence entre les droits-créances et les droits-libertés. Si l'on fait une comparaison avec le droit de propriété, j'ai le droit d'acheter un yacht, mais ai-je le droit de demander à l'État de m'aider à acheter ce yacht ? Si je demandais cela en tant que particulier, personne ne l'accepterait. Pourquoi accorderait-on ce droit aux cultes ? Ce que l'on demande à l'État, c'est d'aider les cultes à constituer leur patrimoine : je ne vois pas en quoi cette disposition est conforme à la liberté de culte.

De plus, on bascule insidieusement – et même assez sournoisement – d'un régime purement laïque à un régime où les cultes sont pour ainsi dire reconnus d'intérêt public, et cela me gêne. Ces dernières années, certains hommes politiques ont pu écrire que la religion et l'espérance donnent du sens, du contenu, mais pour moi, cela relève de la liberté individuelle et de la liberté de conscience, c'est-à-dire de la liberté de chacun. Ce n'est pas à l'État de dire que les religions ont un rôle positif à jouer et qu'elles sont d'intérêt public. De même, je ne vois pas ce qui justifie l'exemption de préemption : elle sanctuariserait la donation et la mettrait complètement à l'abri de l'intérêt public, ce qui me paraît très problématique.

Ce projet de loi a le mérite d'ouvrir un débat dans un contexte qui n'est pas évident et de rappeler que la nation française, avec laquelle chacun entretient des liens différents, est une communauté de citoyens libres et égaux – c'est une formule qui a été reprise dans l'avis du Conseil d'État. Cette dimension universaliste me paraît importante – il me semble que ce mot n'a pas encore été prononcé – et de nature à enrichir ce débat, dans une période qui, je le répète, est assez compliquée.

Je ne reviens pas sur la notion de contrat d'engagement républicain, car je ne perçois pas la nature de ce contrat.

S'agissant du risque de discrimination ou d'atteinte à la dignité au sein des associations, je veux noter que le concept de « dignité » est flou et susceptible d'interprétations très diverses. La question des discriminations au sein des associations se pose et j'aimerais, à l'occasion, analyser la jurisprudence car les choses ne sont pas si simples. Globalement, je ne pense pas que les associations soient autorisées à pratiquer les discriminations. Quand des hommes disent qu'ils veulent travailler entre eux, on ne voit pas le problème. Mais si, tout à coup, on dit qu'il est interdit à des hommes de couleur ou d'une certaine origine de fréquenter une association, on aura tout de suite un autre regard sur la question. Pourquoi les choses seraient-elles différentes sur la question du genre ?

Je finirai en rappelant l'importance de l'État de droit : ce n'est pas dans cette enceinte qu'on me dira le contraire. Cette année, les travaux parlementaires ont été compliqués, le rôle du Parlement dans le fonctionnement des institutions a été rendu difficile. Or je pense qu'il faut systématiquement faire prévaloir le travail du Parlement, mais aussi celui du juge. Le juge judiciaire est le gardien des libertés et il faut le rappeler.

Enfin, il faudrait effectivement favoriser l'enseignement de la laïcité et de la philosophie à l'école. Pour ma part, j'ai appris ce qu'était la laïcité à l'âge de 18 ou 20 ans : c'est une notion qui ne nous est pas familière et qui devrait être enseignée beaucoup plus tôt.

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