Intervention de Gilles Clavreul

Réunion du mercredi 6 janvier 2021 à 11h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la république

Gilles Clavreul, ancien délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH) :

Monsieur Mendes, il est difficile de vous répondre si le cadre est suffisant. De nombreuses dispositions existent déjà. Aux termes de l'article 223-15‑2 du code pénal : « Est puni de trois ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse soit d'un mineur, soit d'une personne [vulnérable] . »

Je vous livrerai un second exemple, qui porte sur l'accueil collectif de mineurs. Un article du code de l'action sociale et des familles prévoit que pour les centres de loisirs, il existe des possibilités de contrôle et que le préfet peut mettre à l'écart un responsable qui ne remplirait pas ses obligations. Ces différents textes sont-ils utilisés autant qu'ils le devraient ? Cela mérite d'être étudié. Avant même de faire assaut d'imagination législative sur ces sujets, peut-être faudrait-il regarder si les textes sont appliqués et si l'on dispose des moyens pour ce faire.

Depuis la réforme administrative territoriale de l'État de 2007, j'observe que l'on a tendance à désosser les administrations de terrain, celles qui contrôlent, mais aussi celles qui vivent au quotidien auprès des structures associatives, au profit des structures régionales de contrôle, de supervision, de reporting, que sais-je encore. Établir des tableaux Excel est une très bonne chose mais, à un moment donné, le rôle de l'administration ne consiste pas à descendre du vélo pour se regarder pédaler, c'est aussi agir concrètement. Il est certainement possible de réinsuffler des moyens mais au niveau du terrain et pas ailleurs.

Monsieur Cormier-Bouligeon, je souhaite que le contrat d'engagement républicain permette d'écarter les mâchoires de la tenaille identitaire ; à travers cette image, j'essaye de faire valoir un jeu de correspondances et de solidarité, non pas idéologiques, bien sûr, mais à chaque fois que les islamistes progressent, l'extrême droite progresse, et réciproquement. Cela doit pouvoir aider à former un assez large consensus républicain. Si les moyens de l'État peuvent servir et les moyens offerts par la loi y contribuer, tant mieux.

Monsieur Petit, vous avez évoqué la disparition de ce que vous appelez les tiers de confiance. J'ai eu un doute quant à l'expression utilisée. L'État n'est pas directement responsable de tout. Certaines grandes institutions régulatrices de la vie sociale sont moins présentes que par le passé, en particulier les partis politiques ou des associations d'inspiration cultuelle qui, pour certaines, jouaient un rôle très actif de sociabilisation. Les dispositifs publics ne les ont pas remplacés, nous avons plutôt assisté à un phénomène contraire. C'est aussi dans cet espace en friche que progressent les islamistes. Il faut choisir ce que l'on veut et insuffler des moyens. Si l'on s'attache à l'évolution sur le long terme – sans pour autant pointer un index accusateur sur qui que ce soit –, on observe que les crédits de fonctionnement de la politique de la ville qui servent à faire vivre les associations – je ne parle pas des plans de rénovation urbaine qui ont toute leur utilité par ailleurs –, n'ont guère progressé au cours de ces vingt dernières années, voire ils ont baissé. En outre, il convient de les diviser par le nombre d'habitants. Quand j'étais sous-préfet du département des Hauts-de-Seine, je disposais de 20 euros par habitant, ce qui ne représente pas des sommes considérables. Sans doute des revalorisations ou des remaniements sont-ils à opérer.

Monsieur Houlié, je suis très heureux d'avoir pu dissiper certaines de vos craintes. Vous serez donc d'accord avec moi pour reconnaître que l'on passe trop de temps sur les réseaux sociaux et que, pour le moins, ils n'informent pas toujours très correctement sur les positions réelles des uns et des autres.

Faut-il étendre le contrôle des associations ? Cette question rejoint une préoccupation plus générale. Je constate qu'il y a beaucoup de débats, au demeurant légitimes, sur les immeubles de rapport et sur le basculement du cadre juridique de la loi de 1901 à celui de 1905. Il s'agit, certes, de questions importantes, mais s'agissant de l'islamisme, je rappelle que l'essentiel des faits préoccupants interviennent en dehors des cultes et des mosquées. Lorsque je les croise, je fais observer aux fonctionnaires des renseignements territoriaux que les choses ne se passent pas lors du prêche du vendredi ; il convient de surveiller tout ce qui est autour. De manière plus large, le prosélytisme inquiétant et les formes d'endoctrinement ne passent pas, pour l'essentiel, par les associations cultuelles. Faisons ce qui est nécessaire, contrôlons les associations cultuelles, mais, selon moi, l'effort doit porter essentiellement sur le tissu associatif non officiellement cultuel parce que l'endoctrinement passe par d'autres vecteurs : le sport, l'éducation, l'alphabétisation, l'humanitaire.

J'ai été estomaqué d'apprendre le montant des réserves bancaires de l'association BarakaCity qui a été dissoute. Connaissez-vous beaucoup d'associations humanitaires qui détiennent, selon leur président, une trésorerie de 500 000 euros en avoirs bancaires ? On ne peut que s'interroger sur les contrôles des services de la direction des finances publiques pendant des années, et il ne s'agit pas d'un cas isolé, même si c'est le plus spectaculaire.

Monsieur de Courson, je partage vos réserves. L'autorisation préalable est-elle compatible avec la liberté d'enseignement ? Manifestement, elle l'est dans d'autres pays, au cadre constitutionnel différent du nôtre ; ces pays n'en sont pas moins des démocraties très respectueuses de la liberté de conscience et de culte. Je perçois bien la réserve mais elle n'est pas irrémissible.

Le contrôle au premier euro est-il réaliste ? Les bureaux des associations des préfectures, c'est vrai, disposent de peu d'effectifs, mais ils ont moins encore d'outils pour comprendre ce qu'ils doivent contrôler. La loi de 1901 est très libérale dans son esprit ; au surplus, le peu d'obligations imposées ne sont même pas remplies par les associations. S'agissant en particulier des fonds publics qu'elles reçoivent, le bureau des associations ne constate qu'une seule ligne dans une annexe du registre des délibérations municipales. C'est ainsi que l'on peut lire « Club de pétanque de Bormes-les-Mimosas : 34 000 euros ». Très bien, mais qu'y a-t-il derrière ? Si donc le bureau des associations disposait de plus d'éléments d'information, il pourrait agir plus largement.

Se pose également la question de l'organisation des services de l'État car l'information sur les associations est très dispersée entre bureau des associations, cabinet du préfet, direction départementale de la cohésion sociale, renseignement territorial et bien d'autres. Certes, il s'agit d'un problème interne à l'exécutif qui ne concerne pas directement la représentation nationale, mais une bonne organisation repose sur la volonté de chercher sur le terrain ce que l'on a à rechercher. Or je constate que cette volonté a été absente.

La dignité de la personne est-elle intégrée dans le concept de fraternité ? Tel est le raisonnement qui a été tenu, si je ne m'abuse, par le Conseil d'État. Oui, mais si cela va sans dire, peut-être cela irait-il encore mieux en le disant. Pour dissoudre une association en Conseil des ministres, une référence textuelle précise s'impose. Si dans les motivations d'un décret de dissolution, l'on se contentait de se référer au principe de fraternité, le même Conseil d'État considérerait que c'est insuffisant. C'est la raison pour laquelle je ne partage pas entièrement le raisonnement qui est suivi en vue d'exclure l'ajout de ce critère.

Madame Genevard, je vous prie de m'excuser, effectivement, je n'ai pas répondu à deux de vos questions. Si je savais comment faire pour lutter contre l'antisémitisme et nous en débarrasser, je serais très heureux, mais je crois que nous allons continuer à vivre avec ce problème, d'autant que l'antisémitisme est principiel dans l'islamisme ; plus largement, il est principiel dans les idéologies de l'extrême droite, qui fait toujours plus d'efforts pour le masquer, mais il est aussi principiel dans ce qu'on appelle la mouvance décoloniale, un certain nombre de courants de nouvelles théories qui se font passer pour antiracistes alors qu'ils sont en confrontation directe avec les idées universalistes. Nous ne sommes donc pas près d'être débarrassés de ce fléau ! En effet, il faut savoir débusquer l'antisémitisme là où il est et ne pas lui laisser la moindre possibilité de légitimation, fût-ce pour des considérations géopolitiques que tout le monde a à l'esprit.

S'agissant de la prise en charge par les musulmans, cette question récurrente est très difficile à aborder. Nous l'avons bien vu lors des attentats de janvier 2015. Au nom de quoi interpellerait-on les musulmans pour leur demander de faire le ménage chez eux ? Se pose un principe de fond d'une mise en responsabilité collective. Ainsi que je l'ai indiqué fin novembre 2015, lorsque le président du Conseil français du culte musulman avait réuni tous les représentants de l'Islam de France contre le terrorisme, on ne peut pas dire non plus que cela n'a rien à voir avec l'islam. Se pose une question de rapport de force. Pour les non-musulmans, il est nécessaire, mais aussi très difficile d'aborder cette question sur un mode qui serait immédiatement perçu comme injonctif. Une relation de confiance et d'amitié doit s'établir pour affirmer « Nous sommes là ».

À l'occasion de l'une de mes multiples visites sur le terrain, ce jour-là, à la grande mosquée de Carpentras où il y avait un monde fou, l'accueil fut extraordinaire, les musulmans allant à la synagogue, les juifs allant à la grande mosquée. L'imam m'avait pris à part et m'avait dit : « Aidez-nous, nous avons besoin que vous nous aidiez à lutter contre les intégristes. » Je l'entends encore et cette petite voix – il ne l'a pas dit en public –, il faut savoir l'écouter, la légitimer et la soutenir.

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