Intervention de Alexandre Touzet

Réunion du mercredi 6 janvier 2021 à 14h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la république

Alexandre Touzet, représentant l'Assemblée des départements de France (ADF) :

Je vous prie d'excuser le président Dominique Bussereau, retenu par des obligations locales. Il m'a chargé, en tant que président de la commission de prévention de la délinquance et de la radicalisation de l'ADF, de vous présenter quelques éléments.

Nous considérons que la notion de séparatisme n'appréhende qu'incomplètement l'ensemble du sujet. Dans l'exercice des compétences en matière de collèges, de protection de l'enfance, de service de protection maternelle et infantile (PMI), de maisons départementales des solidarités (MDS) et de médiathèques départementales, les conseils départementaux, leurs élus et leurs agents sont confrontés à une sorte de communautarisme de repli par lequel une communauté tend à se refermer sur elle-même, à s'éloigner de la trajectoire d'un citoyen éclairé ou de notre héritage humaniste, et à se séparer de l'ensemble républicain.

Nous faisons également face à un communautarisme de contestation de la communauté républicaine, qui se manifeste factuellement par la contestation du règlement de la restauration scolaire ou du dispositif d'accompagnement pédagogique dans les collèges, par exemple.

Le communautarisme violent est traité par des mesures relevant de l'état d'urgence introduites dans le droit commun, mais des problèmes restent posés aux collectivités, tels que la sécurisation des établissements ou l'harmonisation des dispositifs d'alerte entre écoles maternelles et primaires, collèges et lycées. Nous pourrions y travailler ensemble. Face à un mécanisme de communautarisme violent, toujours sidérant, il convient d'assurer la formation des personnels afin de renforcer la résilience des enfants et des jeunes

Le sujet est particulièrement difficile à aborder dans nos collectivités. Longtemps, nous avons été retenus par un sentiment de culpabilité ; par crainte de l'amalgame, nous avons eu peur de traiter au fond un sujet qui monte dans nos territoires et qui réclame, qui plus est, une réponse complexe, qui n'est pas uniquement soit individuelle, soit sociale, soit sécuritaire, mais qui prend la forme d'un cocktail de mesures.

Trois points me paraissent importants à développer, le premier étant le partenariat État‑collectivités. Je suis surpris de la faiblesse du diagnostic posé par l'étude d'impact s'agissant du phénomène séparatiste. L'ampleur de celui-ci justifierait un travail partagé entre l'État et les différents niveaux de collectivité. Quelques études ont suscité des polémiques, notamment un sondage de l'IFOP publié en 2020 révélant la proportion de jeunes âgés de moins de 25 ans préférant les convictions religieuses aux convictions républicaines, et le livre d'Olivier Galland et d'Anne Muxel, La tentation radicale. Enquête auprès des lycéens, mais peu d'éléments de diagnostic partagé permettent d'aborder le sujet de façon lucide et sereine.

Au titre du partenariat État-collectivités, il manque aussi une définition partagée des actions. Le plan national de prévention de la radicalisation a été élaboré un peu en chambre, les services de l'État parlant aux services de l'État. Il serait intéressant de disposer d'un travail partagé avec les collectivités, d'une territorialisation de ce plan national et d'une évaluation partagée. Il conviendrait d'assurer localement l'information et la formation des élus, puisque le travail de fond d'information, de mobilisation et de concertation avec les élus, réalisé dans nos territoires après les attentats de masse de 2015, a été abandonné.

L'article 2 après sa réécriture est plus convenable que dans sa rédaction initiale, qui pouvait laisser penser que le problème majeur de la radicalisation en France était, de façon surprenante, les collectivités locales. L'administration nous a d'ailleurs indiqué qu'il s'agissait de moins de dix cas par an, pour lesquels une procédure contentieuse n'était pas la plus appropriée.

L'ADF souhaite que soit repris le recours obligatoire aux dispositifs d'aide à l'évaluation des minorités, qui a été retiré du texte et auquel elle était plutôt favorable. En outre, elle appelle l'attention sur l'effet déstabilisant dans certains quartiers des sortants de prison condamnés pour des faits d'apologie ou d'association de malfaiteurs, pour lequel un travail partenarial entre l'État et les collectivités serait utile.

Le deuxième point concerne le périmètre d'application des principes républicains. L'ADF est plutôt favorable à son extension aux organismes chargés des services publics et aux associations, ce qui correspond à une vision protéiforme de l'action publique. Dans le département de l'Essonne, nous accompagnons les dirigeants et les personnels, parce que les associations peuvent être mises sous tension par certains de leurs membres.

J'appelle l'attention sur la nécessité d'instaurer des conférences de financeurs dans les départements pour partager l'information entre différents niveaux de collectivité et l'État, et pour s'assurer que des associations peu recommandables ne sont pas financées.

Le troisième point concerne les mesures de protection du personnel des collectivités. Les articles 4 et 5 et, dans une certaine mesure, l'article 18 sur la haine en ligne sont des mesures tout à fait bienvenues. Sans même parler du communautarisme, la crise sociale rend parfois difficile la relation entre les usagers de nos services publics et les personnels des collectivités.

En matière de protection de la collectivité vis-à-vis des candidats à la fonction publique et des fonctionnaires, l'article 3 prévoit l'extension du champ d'application du fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions terroristes (FIJAIT). C'est une bonne mesure mais sans doute insuffisante, car elle n'apporte pas de garantie s'agissant de la radicalisation éventuelle d'agents travaillant dans nos collectivités. Le FIJAIT mentionne les condamnations mais pas le constat de la radicalisation hors condamnation. Se pose également la question du criblage de nos collaborateurs au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) et l'information de la collectivité. En particulier, pour les fonctions liées à la protection de l'enfance, à la prévention spécialisée, à la restauration scolaire ou dans les collèges en général, la collectivité doit être sûre de ses collaborateurs. Là encore, des mesures d'accompagnement et de formation du personnel s'avèrent importantes.

En conclusion, et pour élargir le débat, peut-être devrions-nous réfléchir, nous, élus, au discours que nous tenons sur la France et la République, car cette spécialité française qu'est le dénigrement de nos institutions pourrait constituer un point de faiblesse. Si nous ne nous aimons pas nous-mêmes, comment faire aimer la France et la République à nos concitoyens ? L'élaboration d'un contre-discours face au communautarisme passe aussi par un récit positif de l'histoire de notre pays et l'élan vers la République de la part de tous les élus.

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