Ces dernières années, malgré le peu de recul que permet un mandat pour certains d'entre nous, nous notons indéniablement une montée des phénomènes de repli communautariste. Faut-il les appeler séparatismes ? C'est un débat sémantique dans lequel je n'entrerai pas, mais il est certain que des comportements privés – et c'est peut-être une des limites du texte – tendent au repli. Il y a quelques années, il n'y avait pratiquement pas de voile. Aujourd'hui, dans certains quartiers, beaucoup de mamans sont voilées, et des pères ont commencé à amener les enfants à l'école, les mamans restant cloîtrées chez elles.
Nous le sentons aussi dans les revendications auprès de nos collectivités. J'ai promis à François Baroin de ne pas développer la question des cantines, parce que cela nous emmènerait trop loin. Nous avons déjà l'obligation de proposer des menus végétariens chaque semaine dans nos cantines, ce qui répond, quoiqu'incomplètement, à la suggestion de M. Bournazel d'une proposition végétarienne quotidienne. La demande de plats halal est de plus en plus forte auprès des maires : une majorité d'enfants de confession musulmane ne mangeant plus aucune viande parce qu'elle n'est pas halal, les familles réclament du halal. Or c'est interdit, parce qu'en achetant du halal, on acquitte une taxe rituelle pour l'entretien des lieux de culte, ce qui est en complète contravention avec la loi de 1905. Mais cette pratique et cette demande existent.
Vous écoutant à propos des élus communautaristes, je pensais au film d'Henri Verneuil, Le président, et à la réplique de Jean Gabin à un député qui, alors qu'il énumère, au pied de la tribune, dans l'hémicycle, les députés corrompus, notamment des chefs d'entreprise, lui oppose qu'il existe aussi des patrons de gauche : « Il existe des poissons volants mais ils ne constituent pas la majorité du genre ». Il en va de même des élus communautaristes : ils existent, ils ne sont pas majoritaires, mais ils côtoient des personnes infréquentables dont on sait très bien qu'elles appartiennent au frérisme musulman ou au salafisme. Je me garderai de donner des noms – j'ai déjà quelques affaires sur le dos avec certains de mes collègues.
Je peux néanmoins vous dire que le groupe de travail sur la laïcité de l'AMF est allé bien au-delà de la surprotection des élus. Se fondant sur l'article 40, qui n'a pas été évoqué ici, qui interdit la propagande électorale et la tenue d'opérations de vote dans des locaux cultuels, il a envisagé, pour les élus qui ne respecteraient pas cette interdiction, la possibilité de peines allant jusqu'à l'inéligibilité. Il nous semble absolument impossible que des élus se prêtent à ces pratiques. Je dis bien que c'est la position du groupe de travail et non celle de l'AMF, mais je vous en rends compte, car la proposition est venue des élus eux-mêmes, lors d'une réunion au mois de décembre. Oui, le phénomène existe et, sur ce point, le texte va dans le bon sens, même s'il est insuffisant à bien des égards.
L'article 1er implique d'importants enjeux de formation pour les agents qui seront concernés par l'extension de l'obligation de neutralité et de laïcité. Le groupe de travail de l'AMF estime qu'à trop restreindre l'obligation aux organismes liés à la collectivité par un contrat de commande publique, on passerait à côté d'autres organismes remplissant au nom de celle-ci des missions de service public. Je pense à des associations qui organisent des activités périscolaires. Sans qu'il y ait forcément un contrat de commande publique, il peut y avoir une délégation de service public, en sorte que l'obligation de neutralité devrait s'étendre à ces organismes.
À l'article 2, la formulation du déféré neutralité des services publics a été amendée. On est passé d'un régime clairement contraire à la libre administration des collectivités territoriales à un régime correct à cet égard. De nature à éviter certaines dérives, il laisse au juge le pouvoir d'appréciation et de décision. Ce n'est pas le préfet qui décidera, mais le juge, dans les quarante-huit heures.
Concernant la protection des élus et des agents, les élus en général sont certes en première ligne, mais, au sein du groupe de travail, ils ont pensé moins à eux-mêmes qu'aux agents. Un grand nombre de nos agents sont aux prises avec des usagers qui refusent d'avoir affaire à une femme dans un service public d'état civil ou autre. Dans les mairies, nos agents d'accueil y sont souvent les premiers confrontés. Cette nouvelle infraction va dans le bon sens.
L'article 6 a beaucoup animé nos débats. À nos yeux, il est d'abord à visée pédagogique. Le contrat d'engagement républicain qu'il introduit mentionne certes les principes républicains évidents, mais le mot de « laïcité » n'y figure pas – sans doute parce qu'on peut être amené à financer des actions non cultuelles d'associations cultuelles ou para‑cultuelles, tels les Scouts de France. Notre groupe de travail considère que l'absence du mot « laïcité » dans cet article est problématique au regard de l'objet du projet de loi. Nous voyons quelle est la difficulté, mais peut-être faut-il poser le principe de la laïcité et admettre certaines exceptions dans un cadre précis. En tout cas, ne pas inscrire ce mot est ennuyeux sur le plan des principes et de la philosophie politiques du texte.
Dans la lutte contre les mariages forcés, les clés de la réussite, ce sont de bonnes et rapides relations entre la collectivité et les services du procureur de la République. À Chalon-sur-Saône, comme dans d'autres communes, nous faisons des entretiens dès qu'il y a un doute, mais il faut une réactivité forte des services du procureur de la République, parce qu'on ne peut pas maintenir longtemps des couples dans l'attente d'une décision. En outre, il faut qu'il y ait des navettes possibles. Quelle serait la responsabilité de l'élu s'il n'a pas su déceler un mariage contraint ? Pour cela, il faut des moyens supplémentaires pour la justice et les services des procureurs de la République. Vous posez un principe, mais est-il applicable ? Il faut que la justice suive.
Je ne reviens pas sur l'instruction à domicile. Il n'existe pas de mode d'emploi pour ce contrôle. Nous le faisons. Nous établissons des listes d'élèves scolarisables dans chaque commune, mais il est difficile de le faire avec précision. Et plus la commune est grande, plus la difficulté est réelle. Nous y parvenons néanmoins par des échanges constants avec les services de l'éducation nationale, en croisant nos listings. En tout cas, si l'on veut maintenir un peu de liberté scolaire, cet article peut poser un problème constitutionnel qui n'a pas forcément à être abordé par les associations d'élus ; et si l'on veut que le contrôle existe, il faudra attribuer des moyens supplémentaires aux collectivités.
Nous sommes résolument opposés à l'exemption du droit de préemption prévu à l'article 32. Si l'on ne veut plus que les maires aient la maîtrise de leur territoire, qu'on leur retire la possibilité d'exercer ce droit ! Si l'on pouvait plutôt songer à nous aider, en matière d'urbanisme commercial, pour éviter que, dans des pans entiers de villes, les commerces soient communautarisés sans qu'on puisse rien faire, au nom de la liberté commerciale, ce serait une avancée du droit. Le communautarisme emporte aussi un enjeu spatial de contrôle du territoire, qui passe par le contrôle de l'implantation commerciale.
Pour conclure, le texte constitue une avancée dans bien des domaines, malgré les limites que nous avons ciblées, mais, à lui seul, il ne suffira pas à lutter contre le séparatisme. Pour ne prendre que le seul exemple du contrat d'engagement républicain qui s'adresse aux associations, il ne touchera pas le très large spectre de celles qui ne réclameront jamais un seul centime à une collectivité parce qu'elles ne veulent pas être contrôlées. Ne nous leurrons pas, les collectivités n'ont pas les moyens de contrôler le respect des principes de neutralité et de laïcité dans les associations. Chalon-sur-Saône, ville de 47 000 habitants, compte 600 associations, dont environ 400 subventionnées ; comment pourrions-nous contrôler ces 400-là ? C'est un rappel pédagogique utile, mais dans les faits, il est impossible pour les collectivités d'opérer ce contrôle. Il y aura besoin d'autres textes et d'autres débats pour parvenir à notre fin.