Intervention de François Baroin

Réunion du mercredi 6 janvier 2021 à 14h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la république

François Baroin, président de l'Association des maires de France :

Je tiens ce projet de loi pour un texte d'urgence. Beaucoup ici savent que je suis l'auteur du rapport « Pour une nouvelle laïcité », rédigé en 2003 à la demande du Président de la République Jacques Chirac et de Jean-Pierre Raffarin. Il s'agissait d'une réflexion sur le cadre général, qui a abouti à une douzaine de propositions d'inégale valeur et d'inégale intensité, parmi lesquelles la première proposition d'interdiction de tous les signes ostensibles – ostentatoires, selon la définition de la commission Stasi. Ce qui m'avait motivé à faire cette proposition d'interdiction à l'intérieur de l'école, au titre du sanctuaire républicain, c'était l'urgence calendaire dans laquelle nous précipitaient les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, la situation en Turquie et la fragilité d'un cadre juridique ne reposant que sur des circulaires de différents ministres de l'éducation nationale. C'est bien le calendrier qui avait guidé ma réflexion, structuré nos échanges, conduit à la production de ce rapport et permis la mise en place de la commission Stasi. Le débat avait été fluidifié auprès de l'opinion publique, ce qui avait permis à la représentation nationale de voter ce cadre à l'unisson.

Comme les avocats, j'en appelle au poids des mots sur le cœur et à la dignité de parlementaire qui est la vôtre. Il ne faut pas avoir peur d'aller loin dans ce projet de loi. Quand nous avions proposé le texte relatif à l'éducation nationale, on avait dit que c'était horrible : ce serait la révolution ; il ne pourrait pas y avoir de rentrée scolaire ; cela provoquerait une sécession ; il y aurait des débats ; des villes ne pourraient pas l'appliquer ; au pied du mur des responsabilités de chacune et de chacun, des élus se retrouveraient quasiment l'impossibilité d'ouvrir les écoles ! Que s'est-il produit à la première rentrée scolaire ? Quelques dizaines de cas. La loi de la République est encore suffisamment vigoureuse dans notre pays pour être ambitieux sur ce texte, à la mesure de l'urgence qu'il y a de fixer un cadre. Car, oui, il y a urgence. Oui, il y a une dégradation à tous les niveaux ; pas une commune n'y échappe, et certaines sont plus touchées que d'autres – François Pupponi connaît Sarcelles, les élus qui sont en Île-de-France la mesurent mieux.

L'article 6 soulève une question de principe. Ne pas y inscrire la laïcité, c'est ne pas intégrer que la laïcité est une valeur et une règle, au même titre que la liberté. La liberté est la règle, mais il n'y a pas de liberté sans règle. Quand on parle d'égalité en République, c'est une égalité en droits. La fraternité, ce n'est pas « Si tous les gars du monde » ; ce sont des politiques de solidarité à l'égard des aînés, des handicapés, des fragiles, de tous ceux qui sont en marge de la société. La laïcité, dans le modèle français, c'est une valeur et c'est une règle. C'est bien la singularité de notre modèle, et c'est parce que c'est une singularité qu'il faut la mettre dans l'article 6, faute de quoi, vous allez offrir à nouveau le choix entre loi de 1901 et loi de 1905 – tout ce qui ne relève pas du culte ira dans le tissu associatif. Or nous avons besoin d'outils juridiques et d'un cadre, car, comme dans une partie d'échecs, la menace est plus importante que l'exécution – le droit de préemption a été évoqué comme tel. En intégrant la laïcité dans l'article 6, vous couvrirez largement le spectre des interventions conjointes possibles, ici, des services de l'État, là, des services de la commune, ailleurs, de l'autorité judiciaire.

Je suis favorable à l'obligation de neutralité pour les salariés d'association, et je ne pense pas être loin de la position de l'AMF. Au passage, je précise que celle-ci fonctionne par groupes incluant toutes les sensibilités ; il n'y a pas un tropisme LR pour la laïcité qui, d'ailleurs, par une curieuse inversion des valeurs dans l'histoire confuse des idées politiques, donnait le sentiment que nous sommes un peu plus durs que d'autres, ce qui n'est pas vrai. Nous sommes dans une parfaite synthèse, même s'il peut y avoir des débats politiques entre nous.

Au fond, l'extension du service public répond au sujet large soulevé par Mme Vichnievsky, en ce qu'elle permet de considérer que dès qu'une collectivité verse un euro, même si ce n'est pas pour une mission de service public, une délégation de service public ou un contrat, tous au sens juridique du terme, c'est pour une production de service public. Pour tout ce qui concerne les flux financiers, c'est la définition juridique d'une telle production de service public qu'il faudrait arriver à stabiliser. En arrière-plan de la problématique de l'espace du service public que j'évoque, il y a l'idée politique de la reconquête territoriale, du renvoi de ce qui relève de l'intime, de l'espérance, de la ferveur, de la croyance, qu'elle soit de nature politique, syndicale ou religieuse, dans la sphère privée, donc dans le domaine privé, donc dans l'espace privé.

La qualification de l'espace public n'est pas très claire, entre le clos, le couvert, l'espace qui va jusqu'au pied de l'immeuble, le trottoir qui doit être nettoyé par les commerçants, le bas du caniveau avec le regard, les eaux usées, les eaux propres. En revanche, quand il s'agit de la pratique de la vie sociale et du contrat social commun, il me semble que le législateur peut définir ce qu'est un espace du service public. Après quoi, vous devrez vous poser la question de savoir s'il concerne exclusivement les salariés directs, c'est-à-dire contractuels, qu'ils soient occasionnels ou permanents, ou les usagers également. C'est un débat de plus grande envergure, et l'Assemblée n'y n'échappera pas.

Ce débat n'est ni médiocre ni inintéressant. On voit à peu près comment il sera tranché, mais ne pas le poser, c'est ne pas regarder droit dans les yeux la réalité. Il n'est pas interdit de le trancher de façon élevée et ambitieuse, sur un temps, un cadre et au moins une extension – par exemple, sur la question des accompagnatrices à l'école. Le maire de Troyes que je suis, qui a fait, comme beaucoup d'entre vous ici, des valeurs républicaines le sens de son engagement politique, a toujours estimé que c'était un péché contre l'esprit de ne pas considérer l'accompagnement des enfants en sortie scolaire, dans le temps scolaire, comme une mission d'accompagnement, quand bien même elle serait exécutée en dehors du périmètre scolaire. Ces femmes rentreraient chez elles, disait-on, et Gilles Platret a évoqué une telle évolution. Dans ce cas, il suffirait de faire des emplois aidés, ce qui aiderait beaucoup de monde, surtout par les temps qui courent. S'agissant d'emplois subventionnés, ils rentreront, à ce titre, dans un cadre global d'accompagnement et de mission de production de service public.

Pourquoi le Gouvernement a-t-il proposé la suppression du droit de préemption ? Je ne la trouve pas mal, cette question ! Depuis des années, en fait depuis 1982, l'État ne cesse d'ignorer l'article 72 de la Constitution, qui garantit la libre administration des collectivités territoriales, comme un fait dans un État centralisé. Tous les véhicules législatifs, tous les textes que vous avez ou aurez à connaître, qui permettent, sous forme de cavaliers législatifs ou d'amendements, de recentraliser les moyens de l'État sont un moyen de conquête ou de reconquête culturelle. Cette idée saugrenue de supprimer le droit de préemption ou de le redonner à la main de l'État est une reconquête par l'État des pouvoirs indépendants de libre administration des collectivités locales. Si vous ne l'avez pas par voie d'ordonnance, vous l'aurez par un texte réglementaire ou par un autre véhicule. De toute façon, nous nous y opposerons, comme à tout ce qui, dans ce texte, de près ou de loin, directement ou indirectement, ira dans le sens de la restauration d'un contrôle a priori par l'État. Le contrôle a posteriori, par les chambres régionales des comptes, par l'État et, si nécessaire, l'autorité judiciaire est normal, mais il ne saurait y avoir de restauration du contrôle a priori. Or la suppression du droit de préemption, c'est la restauration d'un contrôle a priori, donc la mise en cause de la décentralisation, et, d'une certaine manière, la cécité et la surdité aux besoins de liberté locale indispensable à la restauration des principes républicains.

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