Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du lundi 18 janvier 2021 à 21h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la république

Gérald Darmanin, ministre :

Le témoignage de M. Pupponi me paraît très intéressant : nous pouvons tous évoluer en fonction de notre expérience. En effet, il ne faut se montrer ni naïfs face aux provocations parfois organisées, ni insensibles au fait de repousser hors du champ public davantage de personnes.

Si l'on peut être gêné par le port du foulard dans la rue, par certains comportements, par l'usage fait par tel ou tel de la liberté d'expression, comme par les caricatures, même s'il faut les accepter, on n'est pour autant pas obligé de traduire de façon systématique, surtout en l'absence de trouble à l'ordre public, une telle gêne dans la loi. La pluralité religieuse revient d'abord à accepter l'altérité, ce qui n'équivaut pas à la neutralité.

Je reviens sur la notion d'espace. L'argument de M. Cormier-Bouligeon, qui sous-tend d'ailleurs le projet de loi, est bon : il existe en effet des endroits en France où l'on peut vivre à 100 % dans sa communauté, c'est-à-dire y naître, y être éduqué, y travailler, y consommer, s'y marier, y être soigné et y mourir. C'est du séparatisme et c'est l'ennemi de la République. Nous devons donner des espaces de neutralité dans des moments très marqués religieusement : nous pensons tous, évidemment, à l'islamisme. C'est d'ailleurs ce que la République a tenté de faire à la fin du XIXe siècle en tentant d'imposer des devoirs de neutralité à l'omniprésence du catholicisme.

Si nous ne nions pas qu'il faille lui ménager des espaces – les mairies, l'école publique, et maintenant le TGV –, où doit s'arrêter cette exigence de neutralité ? On ne peut pas nier que la pluralité religieuse, l'expression de son opinion, comme la possibilité de s'habiller comme on le souhaite, du moment que cela ne trouble pas l'ordre public, si elles peuvent nous gêner, font partie de la liberté de chacun.

Il manque quelque chose à notre débat qui feint de croire qu'il n'existe rien entre la neutralité religieuse et le prosélytisme. Au titre de la neutralité, on demande ainsi à un agent du service public de l'état-civil de la mairie de Tourcoing de ne pas montrer son opinion politique ou religieuse lorsqu'il reçoit un usager. Mais la maman qui porte le foulard, le papa juif qui porte la kippa font-ils du prosélytisme ? Le prosélytisme, c'est chercher à convaincre. Exprimer une opinion, que ce soit en portant une casquette marquée Macron ou un T-shirt affichant le nom de Ciotti, ne revient pas forcément à faire du prosélytisme et à vouloir convaincre.

Il est évident que l'on doit interdire tout prosélytisme aux accompagnateurs de sortie scolaire, mais je ne pense pas que le fait de porter un foulard ou une kippa en soit. Porter un vêtement peut montrer un attachement à sa religion, et toute personne en démocratie a le droit de faire montre de son opinion religieuse. Ce n'est pas du prosélytisme pour autant. Je ne nie pas qu'il existe, comme l'a montré François Pupponi, des calculs et une « empreinte » communautaristes, mais cela ne doit pas l'emporter sur la nécessaire liberté religieuse.

En 1989, le débat sur le port du voile n'a pas porté sur les agents du service public – dont il était évident qu'ils devaient rester neutres – mais sur les élèves. On entendait protéger ces mineures contre elles-mêmes, considérant qu'elles étaient en construction et qu'elles devaient, pour cela, pouvoir évoluer dans un espace neutre.

On n'a jamais considéré que la religion empêchait de faire de bons citoyens – il n'a pas été proposé de supprimer l'école confessionnelle. Permettez-moi, sans esprit de provocation, de souligner l'incohérence qu'il peut y avoir, chez certains députés du groupe LR, à vouloir absolument introduire la neutralité religieuse à l'école – et l'imposer aux parents accompagnateurs de sortie scolaire –, tout en combattant les dispositions qui visent à limiter l'instruction à domicile, au motif que chacun est libre d'élever ses enfants comme il l'entend.

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