Ce débat est essentiel car il touche à la liberté de l'enseignement et à son évolution. La loi soumise à votre examen – qui est une loi de liberté – permettra de la préciser, donc de la renforcer.
Il y a, dans notre société, des facteurs qui unissent, et d'autres qui fragmentent. Cette loi vise à la mobilisation républicaine, dans une logique d'unité. L'école de la République est le facteur d'unité par excellence. L'école, c'est ce qui, dès la petite enfance, permet la transmission de savoirs et de valeurs, c'est ce qui cultive la différence et permet l'épanouissement.
Ce texte est non seulement une loi de défense de la République mais aussi de défense des droits de l'enfant. Ce qui se joue derrière tout ce que nous allons dire, au-delà des arguments de droit subjectifs qui seront invoqués, ce sont les droits de l'enfant, qui présentent un caractère objectif. Le premier des droits de l'enfant est d'être préservé de pressions qui l'empêchent de se développer et de faire usage de sa liberté. Cela renvoie à des enjeux philosophiques qu'il ne faut pas négliger. Beaucoup d'entre vous ont manié le concept de liberté ; or, la première des libertés de l'homme, c'est d'interagir avec ses semblables. Sans cette liberté, un enfant devient sauvage : c'est une réalité anthropologique. Pour reprendre le mot d'Aristote, l'homme est « l'animal social » par excellence. L'école est ce qui lui permet de se réaliser. Elle complète le cadre d'épanouissement majeur que constitue la famille, même si celui-ci n'est pas toujours parfait. La société doit savoir regarder ces réalités. Elle sait intervenir en présence de violences intrafamiliales.
Un droit absolu ne saurait exister en ces matières, sous peine de heurter d'autres droits, en l'occurrence le droit de l'enfant d'être protégé ainsi que notre désir que la société soit unie et non fragmentée. La radicalité, qu'elle provienne de l'islamisme fondamentaliste, de manifestations sectaires ou d'autres tendances, contribue à fragmenter notre société, mais cette division peut aussi être le fruit de l'individualisme exacerbé.
La loi soumise à votre examen est une loi d'équilibre et de liberté, ce qui explique qu'on fasse souvent référence à la loi de 1905, qui présente les mêmes caractéristiques. Pourtant, cette dernière a souvent été critiquée, à l'époque, voire ultérieurement, comme étant une loi déséquilibrée et liberticide. La situation actuelle n'est donc pas nouvelle. On peut aussi se référer, comme l'a fait la rapporteure, à l'œuvre législative de 1881 et 1882. Les débats de l'époque influent sur le jugement que l'on peut porter sur la constitutionnalité de la disposition proposée. Je ne doute pas que le juge constitutionnel, comme le juge administratif, s'y reporteront. À l'époque, l'instruction en famille n'était absolument pas envisagée comme un droit absolu, tant s'en faut. Lorsque l'instruction est devenue obligatoire en France, l'instruction à domicile a été perçue comme un phénomène devant être accepté, d'un point de vue sociologique, mais non comme un élément consubstantiel au nouveau régime juridique. Elle avait d'ailleurs vocation à être provisoire. Un système de contrôle fut institué. À l'époque, les monarchistes et la gauche républicaine s'accordaient à reconnaître que cela permettrait surtout de maintenir le préceptorat, alors très répandu dans les familles aristocratiques. L'instruction en famille n'était absolument pas vue comme une liberté consubstantielle à la République, que toutes les familles pourraient exercer.
La liberté d'enseignement s'est construite étape par étape – nous en franchissons une nouvelle aujourd'hui. Dans une décision de 1977, le juge constitutionnel a reconnu cette liberté en se fondant notamment sur une loi de finances de 1931. Depuis lors, la jurisprudence en a défini les contours, parallèlement à la loi. Ce qui se joue au travers de nos débats, non seulement sur l'article 21, mais sur d'autres sujets, c'est la capacité à préciser une liberté. Si nous ne le faisions pas, cela pourrait conduire à des déséquilibres, comme la pratique nous le montre.
La définition de la liberté d'enseignement s'inscrit dans le cadre d'une vision globale. J'ai souvent entendu la critique selon laquelle nous aurions une approche partielle – et partiale – des enjeux, au motif que nous ne traiterions qu'un sujet, celui de l'instruction en famille. Il est évident, pour quiconque étudie la question, que c'est faux. Il serait souhaitable qu'on ne répète pas cet argument à l'envi alors que son inexactitude a été démontrée. Il ne s'agit pas, faut-il le rappeler, de notre première initiative en la matière. La loi Gatel a considérablement amélioré l'encadrement des écoles hors contrat. En 2017, il était plus facile d'ouvrir une école qu'un bar ; en 2022, nous aurons encadré l'ouverture – grâce à la loi Gatel – et la fermeture – grâce au texte en discussion – de ces établissements.
Il est également faux de dire que nous ne portons pas la même attention à l'école publique. Nous avons pris de multiples mesures en sa faveur, parmi lesquelles je citerai l'institution du conseil des sages de la laïcité et la création des équipes « valeurs de la laïcité » – tous les sujets, en la matière, ne sont pas de niveau législatif. J'ai été le premier à dire que le problème dont nous débattons concernait tant l'école publique que l'école privée, sous contrat comme hors contrat.
Le projet de loi en discussion a vocation à compléter les réponses qui ont été apportées à quatre enjeux.
Le premier est l'éducation de l'ensemble des enfants présents sur le territoire, ce qui pose la question des enfants non scolarisés. Il faut que tout enfant, sur le territoire de la République, aille à l'école.
Le deuxième est la création des écoles hors contrat, objet de la loi Gatel. Le projet de loi n'a pas vocation à aller plus loin en la matière.
Le troisième est la fermeture des écoles hors contrat, que le projet de loi traite de très près, et qui est aussi important que l'instruction en famille, cette dernière question ne devant pas l'occulter.
Le quatrième enjeu est, précisément, l'instruction en famille. Nous manquerions complètement les objectifs que nous nous fixons si nous faisions semblant de ne pas voir ce qui se passe. Il faut regarder en face ce phénomène de société, qui ne concerne pas tous les enfants dont l'instruction est assurée en famille. C'est pourquoi l'article 21, qu'il ne faut pas caricaturer, prévoit des exceptions assez larges.
Les confinements pratiqués dans le monde entier peuvent conduire à la déscolarisation, ce qui n'est pas sans lien avec l'article en discussion. La crise pandémique est susceptible de conduire à une catastrophe pour l'école, à l'échelle mondiale, et de faire régresser l'humanité. Au long du vingtième siècle, les enfants ont été de plus en plus nombreux à aller à l'école ; un recul serait dramatique.
Malgré le contexte, la France n'a pas eu plus de décrocheurs en 2020 qu'au cours des années précédentes ; tout au contraire, elle a continué à progresser sur ce sujet, ce qui n'allait pas de soi. En ce début d'année 2021, le fait que les enfants aillent à l'école demeure un enjeu majeur. Je répète souvent que l'école, c'est bon pour les enfants. Ce n'est pas un facteur marginal, une variable d'ajustement, mais quelque chose d'essentiel pour le développement de tous les enfants. L'instruction en dehors de l'école doit demeurer l'exception. Il est normal, à ce titre, d'instituer un régime d'autorisation, de manière ouverte et pragmatique. Nous avons été très ouverts et très pragmatiques en amont de nos discussions. Nous avons été à l'écoute de la société, nous avons eu un dialogue avec le Conseil d'État avant d'en débattre avec vous. Nous nous présentons devant vous au terme de ce cheminement, après avoir pris en compte plusieurs objections. C'est pourquoi il me semble que nous sommes parvenus à un article équilibré, qui est moins restrictif que les dispositions existantes dans des pays qui ont été cités.
Monsieur de Courson, vous avez été un peu loin en faisant référence à l'Allemagne nazie. Je vous invite à dire cela en Allemagne aujourd'hui.