Avis défavorable également. Je ne reviens pas sur la décision du Conseil constitutionnel, qui a jugé bien sûr constitutionnelles les dispositions concordataires et du droit local d'Alsace-Moselle, mais aussi les a en quelque sorte justifiées politiquement.
Monsieur Corbière, il ne faut pas avoir une vision purement métropolitaine des choses. Dans beaucoup de territoires de la République, ni le Concordat ni la loi de 1905 – car en fait vous ne souhaitez pas abolir le premier mais étendre la seconde – ne s'applique : je pense aux territoires du Pacifique, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à la Guyane, à Mayotte, et différemment à La Réunion.
Pour ce qui est de l'Alsace-Moselle, vous qui êtes un historien, savez quelle déchirure ce fut de voir partir ces territoires à la veille de la République pour les voir revenir en pleurs lorsque la France gagna la première guerre mondiale. La République d'alors, qui était très laïque, pour ne pas dire laïcarde, a voulu conserver ce qui avait fait pendant de nombreuses années la vie des Alsaciens et Mosellans : pas simplement le Concordat, que la France avait quitté entre-temps, mais aussi les œuvres de Bismarck, et entre autres le salariat des ministres du culte. Ce qui est en question ici, ce n'est pas tant de garder le Concordat que de sauvegarder le droit local. L'héritage historique est à respecter. Ce n'est pas parce que 115 ans ont passé que nous devons tout effacer d'un trait. J'imagine que vous avez rencontré les Alsaciens et les Mosellans, monsieur Corbière : ils sont extrêmement attachés, quelle que soit leur couleur politique, à cette spécificité qui est pleinement républicaine, comme la diversité sur le territoire national.
Par ailleurs, imaginons qu'une nouvelle religion apparaisse sur le sol de la République, même à Strasbourg. Entrerait-elle dans les dispositions de la loi concordataire ? Non. Le droit local alsacien et mosellan prévoit deux régimes : les cultes anciens, reconnus – catholique, luthérien, réformé, et israélite et les cultes non reconnus. Ainsi l'archevêque de Strasbourg est-il nommé par le ministre de l'intérieur, qui le rémunère aussi à hauteur d'un fonctionnaire pas très bien payé, n'en concevez pas de jalousie. Cet héritage de l'histoire ne s'est pas agrandi à l'arrivée d'autres cultes, bouddhiste, musulman par exemple, qui sont inscrits en tant qu'associations de culte non reconnues. Nous ne rémunérons pas les ministres du culte des associations non reconnues.
Le droit alsacien et mosellan n'empêche en rien – comme nous l'avons fait en parfaite concertation avec les élus, en respectant l'idée que la loi de 1905 n'est pas applicable, ni celle de 1901 d'ailleurs – que la police du culte et certaines dispositions que nous avons en la matière sur le reste du territoire national s'appliquent. Elles sont transposées en droit local.
C'est vrai, il y a une différence essentielle : le salariat des ministres du culte. Ce que reconnaît le Conseil constitutionnel – peut-être prendra-t-il une autre décision qui fera date, ou peut-être pas – c'est la valeur constitutionnelle de la laïcité. La République reconnaît toutes les croyances et ne reconnaît aucun culte. Pour le reste, l'interdiction du subventionnement ne relève que de la loi. Peut-être cela aura-t-il valeur constitutionnelle demain, mais pour l'instant le législateur pourrait très bien décider de subventionner publiquement le culte. C'est une des raisons pour lesquelles le Conseil constitutionnel a considéré qu'il n'y avait pas d'incompatibilité, pour le dire vite, entre le droit alsacien-mosellan et le droit national.
Franchement, du point de vue historique, en songeant au respect des morts, de l'histoire, de tous ceux qui ont souhaité rejoindre la République dans des circonstances affreuses, comme du point de vue de l'efficacité, il n'y a aucune raison, à part une raison idéologique que je respecte d'ailleurs parfaitement, d'accéder à la demande de MM. Corbière et Moreau.