Intervention de Elisabeth Moreno

Réunion du mardi 22 septembre 2020 à 17h25
Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Elisabeth Moreno :

Madame la députée Calvez, en ce qui concerne l'égaconditionnalité, le Gouvernement fait un effort sans précédent pour relancer notre économie. Je ne peux imaginer, pas même une seule seconde, que les femmes ne soient pas incluses dans ce plan de relance de 100 milliards d'euros puisqu'il s'agit d'un plan de relance de toute notre économie.

Ce plan bénéficiera évidemment à tous les Français et à toutes les Françaises. L'engagement financier sans précédent que la France fera avec le soutien de l'Europe, justement grâce au plan de relance européen, nécessite bien sûr une responsabilité accrue des entreprises qui en bénéficieront. C'est un point extrêmement important. Le Gouvernement sera donc très vigilant, non seulement à la mise en œuvre du plan mais également dans le suivi des projets et ce sur l'ensemble de notre territoire. Nous sommes très attachés à ce que l'emploi, l'inclusion et l'égalité entre les femmes et les hommes soient des parties prenantes de l'exécution de ce plan. La représentation nationale – je sais que vous y serez vous-mêmes tous très attentifs – devra exercer cette vigilance et ce contrôle.

Au niveau européen, les discussions sur le plan de relance sont encore en cours. Comme vous pouvez l'imaginer, c'est assez complexe. Trouver un accord à 27 sur un sujet aussi sensible est très compliqué. Je sais toutefois que le Parlement européen, en particulier la Commission des droits de la femme et de l'égalité des genres, y est très vigilant. Je ne vous cache pas que je regarde cela de très près, je ne vous cache pas que je ne suis pas la seule et, plus nous serons nombreux, plus nous nous assurerons que tout se passe bien. Nous serons là !

La question du budget genré a été posée par Mme Calvez et M. Le Bohec dont les anecdotes mettent vraiment en évidence l'importance de l'action publique pour l'avancée ou le recul de l'égalité entre les femmes et les hommes dans notre société et même dans la persistance d'inégalités systématiques. C'est cela qui fait que nous en sommes à ce point aujourd'hui. Tout le monde en parle mais que le sujet avance lentement !

Concevoir un budget genré est un exercice très complexe ; il demande une implication technique de la part de tous les ministères concernés, des comptes publics et il faut que chaque ministre soit convaincu de l'importance de ce budget genré. Une expérimentation a été menée en 2019, pilotée par la direction du budget et des services des droits des femmes et de l'égalité et de la direction générale de la cohésion sociale, avec quatre ministères concernés : le ministre de l'Agriculture, le ministère de la Culture, le ministère de la Cohésion des territoires et le ministère des Affaires sociales. Le ministère en charge de l'égalité, la direction générale de la cohésion sociale et le service des droits des femmes et de l'égalité ont évidemment accompagné la démarche. Toutefois, seul le ministère des comptes a la capacité technique actuellement d'assurer cette action.

Je suis très réaliste, très pragmatique. Ce serait une approche totalement nouvelle des politiques publiques pour mesurer l'impact de ce que nous faisons sur ce sujet. Je souhaite pousser ce sujet plus en avant avec le ministère des comptes publics.

Pour répondre à Mme la députée Duby-Muller, je redis ce que j'ai déjà dit : nous avons la chance de vivre dans un pays où chacun est libre de s'habiller comme il l'entend. C'est une vraie chance car nous connaissons tous dans cette salle de nombreux pays où, aujourd'hui, ce n'est pas le cas. Les femmes ont mis des siècles à s'affranchir des codes vestimentaires. Cette liberté conquise de longue haleine n'a pas de prix.

Il faut quand même être conscient qu'il est également important d'apprendre à nos enfants, dans les écoles, à respecter les règles. Nous avons tous lu, nous qui sommes parents, ce règlement intérieur des écoles qu'il faut signer et que nos enfants doivent également signer. Dans la vie, il faut respecter les règles à l'école, dans l'entreprise… Il est important, pour leur éducation, de leur enseigner le respect de ces règles. Toutefois, ces règles doivent être les mêmes pour les jeunes filles et pour les jeunes garçons. Il n'y a aucune raison de faire une discrimination. Je suis totalement d'accord avec Jean-Michel Blanquer sur ce sujet.

L'un de vous a mentionné l'impact des réseaux sociaux sur la vie de nos enfants. Il est important qu'ils échappent à ce diktat des réseaux sociaux et qu'ils puissent être comme ils ont envie d'être, sans les influences extérieures.

Enfin, le rapport que les petits garçons entretiennent avec les petites filles est aussi un enjeu d'éducation. Il faut que nous gardions tous à l'esprit cette notion de respect. C'est fondamental pour que nous vivions tous correctement et si possible bien ensemble.

Monsieur le député Balanant, vous avez parfaitement raison : les inégalités se creusent tout au long de la vie des femmes. Aujourd'hui, que vous naissiez petite fille ou petit garçon, vous savez que votre parcours dans la vie sera différent et ce jusqu'à la fin de votre vie. C'est pourquoi nous devons mettre en place un processus qui traitera chaque étape.

La clé réside à mon avis dans la vie active. Si l'écart n'est pas résorbé durant cette période, l'effet démultiplicateur nous poursuivra jusqu'au moment de la retraite et il sera dévastateur. Nous y travaillons, en particulier grâce à des mesures telles que l'Index de l'égalité qui n'existait pas il y a deux ans. Il a été mis en place en 2018 et toutes les entreprises disent que c'est un très bon outil. La preuve en est la manière dont elles l'ont rapidement embrassé. Je pense qu'il faut aller plus loin. En matière de pensions, des majorations existent actuellement pour les parents mais il faut une réflexion plus globale sur la question des retraites que je vous propose de ne pas aborder ce soir…

Vous avez également mentionné la haine en ligne. Ce sujet est tellement important, pour toutes les populations de notre pays car chacun peut, à un moment ou un autre, être concerné. J'ai vu des choses odieuses, atroces sur les plateformes. Elles concernent les femmes, les gays, les lesbiennes, les trans, les jeunes, les vieux… Je crois que la prévention est absolument fondamentale. Nous devons étudier une obligation de moyens pour encourager les acteurs du Net à prendre leurs responsabilités. Nous devons aussi travailler à la formation des forces de police pour qu'elles puissent traiter ces sujets de manière plus dynamique. Nous parlons de sanction car les gens ne comprennent parfois que la sanction. Suite à la censure du Conseil constitutionnel, il faut que nous étudiions par quelles voies passer pour trouver un moyen de protéger avant tout notre jeunesse. Je crois que toute la société en bénéficiera. Il faudra, à un moment donné, réfléchir au type de société dans lequel nous souhaitons vivre tous ensemble.

Madame la députée Rauch, en abordant les mesures à envisager à l'échelon national pour favoriser la féminisation des services de pompiers comme cela a été entrepris en Moselle, vous parlez essentiellement des métiers genrés. Ce que le service d'incendie et de secours (SDIS) de Moselle a fait peut s'appliquer aux métiers du bâtiment. J'ai travaillé dans le bâtiment et je vous laisse imaginer ce que j'ai pu entendre. J'ai travaillé dans la tech et je vous laisse imaginer ce que j'ai pu entendre. J'en passe et des meilleures. J'ai rencontré une jeune fille dans le Morbihan qui me racontait avoir dit à son professeur qu'elle voulait être mécanicienne et il l'a gentiment renvoyée vers des métiers dits plus féminins. Je voudrais que les filles sachent qu'il n'existe pas, qu'il n'existe plus de métiers féminins ou masculins. Il existe simplement des métiers qui nous passionnent et que nous avons envie de faire ou non.

Vous évoquez dans votre question les sapeurs-pompiers qui agissent de manière très dynamique pour accroître l'égalité femmes hommes et je les en remercie. Ils mettent en œuvre un plan d'action pour faciliter le recrutement des femmes et lever tous ces freins à la féminisation d'un métier qui est considéré comme plutôt masculin. Je ne peux évidemment qu'encourager de telles initiatives qui visent un métier encore très mythifié.

Au niveau national, le ministère de l'Intérieur a publié une circulaire en 2019 à destination de l'ensemble des services de secours. Cette circulaire demandait la mise en place de plans d'action dans tous les départements. Ces plans auront pour objectif de renforcer les capacités et processus d'accueil des recrues, de promouvoir l'accès des femmes à des postes à responsabilité, d'améliorer la conciliation entre la vie professionnelle et la vie privée et de lutter contre les violences sexuelles et sexistes.

Je tiens à mentionner le travail réalisé par votre collègue Fabien Matras dans le cadre de proposition de loi déposée le 30 juin. Ce texte comporte des propositions qui visent à renforcer encore la place des femmes au sein de ces professions. Voir des hommes s'emparer de ce sujet est heureux. J'insiste sur le fait que cette question d'égalité entre les femmes et les hommes doit être portée par les femmes et par les hommes car ce sont des changements sociétaux. Favoriser la parité au sein des conseils d'administration pour changer les mentalités, instaurer dans chaque SDIS un référent diversité et mixité est selon moi exactement ce qu'il convient de faire.

L'ensemble de ces mesures va dans le sens d'une plus grande égalité entre les femmes et les hommes et je serais très heureuse que nous puissions échanger sur la manière de pousser encore ce processus ensemble.

Vous avez aussi posé une question sur l'intelligence artificielle et les algorithmes. C'est un sujet central auquel je suis très sensibilisée puisque je viens du monde de la tech. Il n'est jamais trop tard mais il est plus que temps de se saisir de ce sujet qui a avancé sans nous. Chacun doit se rappeler que les outils technologiques ne sont que des outils. Ce sont des outils pilotés par des hommes et par quelques rares femmes. Les outils ne sont que l'extension de ce qu'est l'humain. Si vous êtes raciste, vous créerez des algorithmes qui deviendront racistes. Si vous êtes misogyne, vos algorithmes représenteront votre misogynie. Si vous êtes sexiste, les algorithmes représenteront votre sexisme. Je ne parle pas de manière théorique. Plusieurs entreprises ont été condamnées ou ont dû revenir en arrière sur certains algorithmes parce que ceux-ci étaient sexistes, racistes, misogynes…

C'est pourquoi j'insiste ardemment : j'incite les jeunes filles qui font des études brillantes en sciences à s'emparer de ce sujet et à se rendre compte que les algorithmes, que nous le voulions ou non, que nous l'aimions ou non, font partie de notre vie. Nous devons avoir notre mot à dire sur ce sujet. Sinon, ces inégalités que nous combattons aujourd'hui nous poursuivront demain par les outils et cela deviendra autrement plus dangereux.

C'est un sujet qui m'intéressait au plus haut point auparavant. Je vais m'en emparer à nouveau maintenant et, avec Cédric O, nous aurons des discussions – qui sont d'ailleurs déjà commencées –, des réflexions au niveau national et au niveau international car les plus grands acteurs du numérique sont aujourd'hui des acteurs internationaux.

Madame la députée Couillard, vous avez posé une question sur la parité en politique. Je veux me réjouir de toutes ces lois qui forcent la parité en politique. Comme pour les entreprises, tant que nous n'aurons pas des femmes dans les postes exécutifs décisionnaires, nous aurons du mal à avancer sur ces sujets.

Toutefois, les lois ne suffisent pas malheureusement, notamment pour avoir plus de femmes à la tête des exécutifs. Vous l'avez mentionné, nous n'avons que 19 % de maires femmes à la suite des dernières élections municipales. Pourtant, personne ne peut dire qu'une femme n'est pas capable de diriger une mairie. C'est insensé.

Je sais que la politique est un monde difficile, je suis bien placée pour le savoir mais si nous voulons changer le monde, il faut que nous prenions nos responsabilités. Il faut que nous osions y aller. Ces 19 % de maires se sont lancées. La députée Muschotti a d'ailleurs posé la même question. C'est dire combien nous y sommes tous sensibles et combien nous avons envie de voir ce sujet évoluer.

C'est un travail de très longue haleine. Nous parlons de changements de mentalité, de changements de culture. Cela prend des années, cela prend des générations mais, plus nous prendrons de temps à rentrer dans la bataille, plus nous décalerons l'échéance d'arrivée à cette parité que nous appelons de nos vœux. Énormément d'actions de sensibilisation sont menées, dans les écoles, dans les entreprises, dans les médias mais rien n'aura jamais autant d'impact que l'éducation que les parents donneront à leurs enfants dès le jeune âge, que les renforcements qui seront faits au sein des écoles par les professeurs et les formateurs. Nous toutes et tous qui sommes dans cette salle, plus nous rabâcherons ce sujet, plus nous serons entendus car nous avons tout de même la chance aujourd'hui d'avoir la parole. Tant de gens n'ont pas cette parole. Continuons de la pousser, continuons d'embarquer davantage de gens, continuons de témoigner. Témoigner est important. On ne peut faire que ce qu'on a vu d'autres faire - c'est pourquoi la représentation est importante, que les rôles modèles sont importants.

Je m'y attellerai. Lorsque j'étais cheffe d'entreprise, j'allais régulièrement dans les quartiers prioritaires de la ville (QPV) ou dans les zones rurales pour parler de mon métier, pour montrer qu'il est possible de partir de nulle part et arriver quelque part en traversant des métiers sur lesquels nous n'étions absolument pas attendues. N'ignorez pas l'influence que vous pouvez avoir et que vous n'auriez même pas imaginée sur la vie de jeunes filles et de jeunes hommes. Continuons de porter cela ensemble, pour que nous ayons toujours davantage de rôles modèles et de représentativité.

Madame la députée Anthoine, vous m'avez posé une question extrêmement importante. Vous avez raison de souligner qu'être femme et handicapée est une double peine. Je vous informe que nous avons créé un groupe de travail spécifique sur le handicap pendant le Grenelle. Lorsque j'ai réuni les onze groupes de travail en septembre, le ministère de Sophie Cluzel était parfaitement bien représenté, de manière très dynamique, avec de très belles idées et des actions qui avancent bien. Nous cartographierons les structures médicales qui prennent en charge et informent sur le droit les femmes handicapées. En matière d'emploi, la discrimination d'une personne handicapée est interdite par la loi. Beaucoup de gens, dans notre pays, encore aujourd'hui, ignorent leurs droits et il faut qu'elles puissent les clamer, qu'elles puissent les demander. Toutefois, pour qu'elles les demandent, il faut qu'elles les connaissent. Nous prévoyons une grande campagne de communication sur ce sujet des droits pour que les gens les connaissent et puissent les activer. Je serai totalement mobilisée aux côtés de Sophie Cluzel. Nous avons déjà commencé.

Madame la députée Duby-Muller, l'application de la loi la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées constitue une avancée majeure pour protéger les femmes victimes des réseaux de traite des êtres humains et pour lutter contre le proxénétisme. Le fait de pénaliser le client est assez novateur. Je ne peux pas répondre à votre question de savoir pourquoi si peu de personnes sont sanctionnées mais je me saisis de ce point. Je vérifierai et je creuserai pour comprendre. Le fait d'avoir créé une aide financière pour que ces femmes sortent de la prostitution est également un geste fort et important. Je réunirai le comité interministériel d'ici la fin de l'année pour comprendre ce qui fonctionne, ce qui bloque et comment nous pouvons encore pousser ce sujet. Je sais que je pourrai compter sur le Mouvement du Nid qui est extrêmement engagé.

Vous avez également, madame la députée, mentionné les violences sexuelles. Actuellement, moins de 20 % des femmes portent plainte lorsqu'elles sont victimes de violences, qu'elles soient physiques ou sexuelles. Notre devoir est de faire en sorte que cette situation change. Je continue donc à encourager les femmes à porter plainte, à encourager les associations à demander à ces femmes de porter plainte. Les forces de l'ordre, dans les commissariats et dans les gendarmeries, bénéficient d'une formation renforcée pour les aider à mieux accueillir ces femmes qui viennent porter plainte. C'est l'une des mesures du Grenelle. D'après les derniers chiffres, 10 800 policiers et gendarmes ont été formés. Ce n'est pas suffisant et Marlène Schiappa est engagée sur ce sujet, ainsi que Gérald Darmanin. Nous souhaitons que toutes les femmes victimes de violences physiques, sexuelles et psychologiques puissent aller porter plainte et que les forces de l'ordre les croient, les prennent en considération sans qu'elles aient à faire des pieds et des mains et que le processus suive son chemin.

Par ailleurs, le Gouvernement a souhaité renforcer l'arsenal législatif en augmentant le délai de prescription des viols sur mineur de 20 à 30 ans. Je souhaite traiter l'ensemble des violences sexistes et sexuelles sous toutes leurs formes, dans tous les lieux. J'ai encouragé les associations à nous remonter les cas où les femmes n'ont pas été prises en considération pour que nous apprenions de ces cas et que nous puissions avancer de manière plus dynamique.

Mesdames et messieurs les députés, j'espère avoir répondu de manière la plus précise qui soit à vos questions. Ce sont des questions importantes car elles touchent la vie des gens, parce que la misogynie et le sexisme tuent, parce que le racisme tue, parce que l'homophobie tue. Nous devons nous battre avec détermination pour changer ces situations.

Je vous remercie, chacune et chacun, pour le travail extraordinaire que vous avez déjà effectué et pour tout ce que nous ferons ensemble.

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