Intervention de élisabeth Borne

Réunion du mardi 16 février 2021 à 17h15
Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

élisabeth Borne, ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion :

Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, nous nous retrouvons aujourd'hui pour évoquer nos actions en faveur de l´égalité économique et professionnelle entre les femmes et les hommes, un thème essentiel qui est l'objet de votre mission d'information dédiée à l´égalité économique et professionnelle, et qui a été institué par le Président de la République comme grande cause du quinquennat.

Comme dans mes fonctions précédentes, j´ai voulu que mon ministère soit aux avant‑postes de ce combat. En tant qu´ingénieure, en tant que préfète de région, en tant que cheffe d´entreprise et en tant que ministre aujourd´hui, je mesure le chemin qui reste à parcourir pour atteindre l´égalité réelle, et mon engagement est total pour y parvenir. J´ai été notamment marraine de l´association Elles bougent, parce qu´il me paraissait important de partager mon expérience et de faire connaître aux jeunes filles les opportunités des métiers scientifiques, techniques et industriels qui sont trop peu ouverts aux femmes.

Au-delà des mots, se battre pour l´égalité entre les femmes et les hommes, c´est aussi se battre pour des talents individuels et des trajectoires personnelles – je pense notamment à cette jeune femme ingénieure que j´ai rencontrée récemment et qui dirige une partie de la production de l´entreprise Sulky-Burel à Châteaubourg. À toutes les jeunes filles que je rencontre, je dis : « Rien ne vous est impossible. N'acceptez pas qu'on vous dise qu'un métier n´est pas fait pour vous. Soyez ambitieuses, ne vous refusez aucun projet, prenez la place que la société vous doit. » C´est là l´objectif de la politique du Gouvernement : donner à chaque femme la place qu´elle mérite au sein de la société, une place à la hauteur de ses aspirations et de ses ambitions.

Un des combats fondamentaux pour atteindre cet objectif est celui de la lutte contre les inégalités de rémunération. Je salue l´engagement de ma prédécesseure Muriel Pénicaud dans ce combat, car c´est elle qui, avec le Gouvernement, a mis en place l´index de l´égalité professionnelle femmes-hommes, dans le cadre de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Chaque année, au plus tard le 1er mars, les entreprises de plus de 50 salariés doivent publier sur leur site internet une note sur 100 qui vise à comparer les écarts de rémunération entre femmes et hommes. En cas d´index inférieur à 75 points, l'entreprise doit prendre des mesures correctives pour diminuer les écarts de rémunération dans un délai de trois ans, sous peine de sanctions financières allant jusqu'à 1 % de sa masse salariale.

L´index de l'égalité professionnelle est un outil puissant pour faire changer les pratiques parce qu´il impose une obligation de résultats et un référentiel commun permettant de noter et de classer les entreprises. Avec le recul, il semble être désormais bien intégré par les entreprises et produire des effets bénéfiques mesurables d´une année à l´autre. Les entreprises de plus de 1000 salariés, qui publieront en 2021 l´index pour la troisième fois, ont accompli des progrès importants puisqu´en 2019, 17 % d´entre elles avaient une note inférieure à 75 alors qu´elles n´étaient plus que 4 % en 2020.

Toutefois, des marges de progrès existent. Deux indicateurs sur cinq sont encore à la traîne. Le premier, qui est pourtant, vous l´avez souligné madame la présidente, une obligation légale, est celui de la revalorisation salariale des femmes à leur retour de congé maternité. Le second est celui du nombre de femmes dans les dix rémunérations les plus élevée : 37 % des entreprises y comptent moins de deux femmes. Enfin, 10 % des entreprises de 250 à 1000 salariés ont obtenu en 2020 une note inférieure à 75 et doivent donc prendre des mesures correctives.

Le 1er mars prochain marquera la deuxième publication de l'index pour les entreprises de 50 à 250 salariés, et la troisième pour les plus grandes. Dans cette perspective, les services du ministère du travail se mobilisent pour l'accompagnement des TPE et PME. J´ai également réuni il y a quelques jours, avec la ministre déléguée Élisabeth Moreno, les ambassadeurs de l´égalité professionnelle pour leur demander de mobiliser les entreprises qui n´ont pas encore publié leur index. Au plus près des territoires, la responsabilité de ces chefs d'entreprises et de leurs directeurs des ressources humaines est de promouvoir l´égalité. Il faut accompagner les entreprises, plus particulièrement entre 50 et 250 salariés, dans la mise en œuvre de l´index.

Malgré les progrès indéniables permis par l'index, les inégalités femmes-hommes persistent. Je souhaite d'abord renforcer l'obligation de publication des résultats de l´index : le site du ministère du travail, qui publie déjà les notes des entreprises de plus de 1000 salariés, le fera à compter du 1er mars pour les entreprises entre 250 et 1000 salarié. En 2021, nous obligerons également les entreprises à rendre leurs résultats plus visibles sur leur site. Par ailleurs, les entreprises bénéficiaires du plan de relance devront publier l'ensemble des sous‑indicateurs ainsi que leurs objectifs de progression, même lorsque leur note est supérieure à 75. Je souhaite que, avant la fin du premier semestre 2021, l'ensemble des entreprises publient ces sous-indicateurs, afin d'accroître encore la transparence sur leur performance en matière d'égalité femmes-hommes. Cette publication ne représente pas une charge de travail supplémentaire, puisque le calcul est déjà fait.

À moyen terme, je souhaite progresser sur la question décisive de la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des instances dirigeantes. Certes, la loi Copé‑Zimmermann, dont nous venons de fêter les dix ans, a permis de féminiser les conseils d'administration et les conseils de surveillance des entreprises, mais plusieurs étapes décisives restent encore à franchir. Selon l'observatoire SKEMA de la féminisation des entreprises, les femmes occupent seulement 3 % des 120 postes de président, directeur général ou président directeur général des soixante plus grandes entreprises françaises, et elles ne représentent que 17 % des comités exécutifs alors qu'elles constituent un tiers des cadres.

Assurer la parité dans les fonctions dirigeantes des entreprises demande une démarche différente de celle de la loi Copé-Zimmermann, car les équipes dirigeantes ne se renouvellent pas de la même façon que les conseils d´administration. Contrairement à ces derniers, qui sont composés de personnalités extérieures à l'entreprise et qui sont renouvelés régulièrement, les comités de direction sont constitués de salariés issus des rangs de l'entreprise ; l´accès à un comité exécutif fait souvent suite à une progression en son sein, ou dans le secteur d´activité. Je suis donc convaincue qu´il faut agir au niveau du vivier des cadres dirigeants pour que les femmes accèdent aux instances supérieures. Je suis également convaincue qu'une représentation équilibrée ne pourra être atteinte qu´en imposant aux entreprises des objectifs contraignants, car il faut parfois forcer les pratiques pour faire changer les mentalités. On pourrait par exemple, afin de mesurer concrètement la part des femmes parmi les cadres dirigeants, créer un indicateur spécifique, en-dehors de l´index mais sur le même modèle, avec des objectifs de progression contraignants et une logique de plan d´action correctif. Cela contribuerait à lever les freins à la progression de la carrière des femmes. Une concertation sera prochainement engagée en ce sens avec les partenaires sociaux.

La question de l´égalité économique et professionnelle restera au cœur de l´action du Gouvernement jusqu´à la fin du quinquennat, a fortiori dans le contexte de la crise sanitaire.

Celle-ci a en effet mis en lumière les inégalités en matière de partage des tâches et de conciliation entre vie professionnelle et personnelle. Selon une étude de l´Institut national d'études démographiques de juillet 2020, les conditions de télétravail des femmes sont souvent moins propices à un travail efficace que celles des hommes. À titre d´exemple, 25 % des femmes contre 41 % des hommes disposent d´une pièce pour s´isoler. L´accord national interprofessionnel pour une mise en œuvre réussie du télétravail a pour objectifs de préserver le droit à la déconnexion et de faciliter l'articulation entre le temps travaillé et la vie personnelle, afin notamment de soulager la charge mentale des femmes.

La crise a également mis en lumière les métiers de la première et de la deuxième ligne, dont les conditions sont souvent précaires et dans lesquels les femmes sont surreprésentées. La revalorisation de ces métiers est l'un des objectifs du chantier des travailleurs de la deuxième ligne que nous menons avec les partenaires sociaux, qui doit aboutir à des réponses concrètes dans le courant de l´année 2021. Au-delà des personnels soignants, qui ont fait l´objet d´une reconnaissance de la nation dans le cadre du Ségur de la santé, les aides à domicile, les caissières, les personnels d'entretien, qui sont en grande partie des femmes, méritent également davantage de reconnaissance. La mission d'accompagnement des partenaires sociaux confiée à Mmes Sophie Moreau-Follenfant et Christine Erhel avance bien : d'ici début mars, nous aurons pu mesurer la qualité des emplois exercés par les travailleurs de deuxième ligne, dont la liste est en cours d´élaboration. C´est sur cette base que les travaux des branches commenceront afin de mieux valoriser ces métiers fortement féminisés.

D'autres chantiers restent devant nous pour avancer vers l'égalité réelle.

Nous devons tout d´abord réfléchir à la manière de tenir compte de la prépondérance des femmes dans les emplois à bas salaires, un critère que l´index ne prend pas en compte aujourd´hui. Les femmes sont très nombreuses parmi les salariés vivant de contrats saisonniers ou de contrats courts. Elles occupent trois emplois en CDD sur cinq et près de quatre emplois à temps partiel sur cinq. Elles sont également surreprésentées parmi les emplois peu rémunérés : 59 % des 2,9 millions de salariés rémunérés autour du SMIC horaire sont des femmes.

Dans de nombreux pays dans le monde, les femmes ont été plus précarisées par la crise que les hommes. En France, les aides massives ont permis qu'elles ne subissent pas une hausse du chômage plus forte que les hommes. Selon le rapport mondial sur les salaires publié par l´Observatoire international du travail (OIT) en décembre 2020 à partir d´une estimation fondée sur les vingt-huit pays européens, sans les subventions salariales, les femmes auraient perdu 8,1 % de leur salaire au deuxième trimestre 2020, contre 5,4 % pour les hommes. En France, les taux de chômage des femmes et des hommes ne varient pas de façon différente entre le troisième trimestre 2019 et le troisième trimestre 2020 : la hausse est de 0,6 point pour les hommes et de 0,7 point pour les femmes.

Nous devons ensuite nous attacher à augmenter la représentation des femmes dans les métiers traditionnellement jugés masculins. Des actions plus volontaristes doivent être menées en matière d´orientation à l´école et dans l´enseignement supérieur pour lutter contre les stéréotypes de genre au sein de certains métiers.

Si l´on souhaite que les entreprises recrutent leurs ingénieurs à parité, il faut se préoccuper de former les femmes à ces métiers. Dans les écoles d´ingénieur, je suis bien placée pour le savoir, les femmes sont encore trop peu nombreuses : un quart des effectifs seulement, depuis dix ans. Mais il n´y a pas de fatalité, comme nous le montre l'exemple du Maroc, où les femmes représentent la moitié des effectifs. Par ailleurs, j´ai pu me rendre compte en tant que PDG de la RATP que des postes de conducteur de bus ou chauffeur routier sont occupés de façon écrasante par des hommes alors qu´aucune logique de capacité physique ne le justifie.

Nous devons également aller plus loin dans la conciliation entre la parentalité et la vie professionnelle. Cela peut notamment passer par une refonte du congé parental, mais aussi par des outils dans l'entreprise. Des travaux seront engagés sur ce sujet avec le secrétaire d'État Adrien Taquet, et une mission sera confiée à deux personnalités qualifiées. Je connais l´engagement des membres de la Délégation sur ces sujets : je pense notamment au rapport de Céline Calvez sur la place des femmes dans les médias en période de crise.

Nous devons enfin nous engager dans la lutte contre les discriminations à l´embauche. Dans un marché du travail en tension ou dans une économie dégradée, celles et ceux qui trouvaient déjà porte close en raison de leur âge, de leur origine, de leur couleur de peau ou de leur handicap, doivent faire face à des obstacles décuplés.

Toutes ces idées doivent faire l´objet d´échanges avec les partenaires sociaux afin de bâtir collectivement un plan d´action en faveur de l´égalité économique entre les femmes et les hommes.

En outre, nous devons être exemplaires en matière de lutte contre le harcèlement et les violences dans l´entreprise. J´ai ainsi demandé que le processus de ratification de la convention de l´Organisation internationale du travail sur la violence et le harcèlement au travail soit accéléré. La France a été moteur dans l´adoption en 2019 de cette première norme internationale qui offre un cadre partagé pour prévenir, combattre et éliminer la violence et le harcèlement dans le monde du travail, particulièrement à l´égard des femmes. Avec la crise, la procédure de ratification a pris du retard, mais le Gouvernement est déterminé à aller au plus vite.

Les mesures prises dans le cadre du plan de relance bénéficient aussi fortement aux femmes, qu´il s´agisse du plan 1 jeune 1 solution ou des dispositifs d´accompagnement aux mutations économiques.

Le plan 1 jeune 1 solution, doté de 7 milliards d'euros, bénéficiera bien sûr aux jeunes femmes, quelle que soit leur qualification, qu´elles soient jeunes diplômées, jeunes apprenties, élèves en décrochage, demandeuses d'emploi ou en difficulté d´accès à l´emploi. En ce qui concerne plus spécifiquement l´apprentissage, la part des femmes est passée de 36,3 % à 41 % en 2020, soit une progression de près de 5 % en un an. C´est la meilleure preuve qu´une communication renforcée sur les formations permet de lutter contre l'autocensure des jeunes filles.

Quant au plan d´investissement dans les compétences, il cible aussi les femmes. Certains programmes leur sont même entièrement dédiés, comme le programme Women in Digital 93, issu de l´appel à projets « 100 % inclusion », qui offre à des femmes peu qualifiées, demandeuses d´emploi de longue durée et résidant en Seine-Saint-Denis, des solutions de retour à l´emploi grâce à des outils numériques. L´objectif est d´orienter et de remobiliser 5 000 femmes grâce à un chatbot d´orientation, Adabot, et de former 200 femmes aux métiers de développeuse web et d´intégratrice web. Ce projet permet de lutter à la fois contre les stéréotypes de genre à l'œuvre dans les métiers du code et contre la précarité et l´exclusion sociale de ces femmes.

Pour faciliter les reconversions professionnelles dans un même bassin de vie et anticiper les mutations économiques, nous avons coconstruit avec les partenaires sociaux le dispositif Transitions collectives, que nous avons officiellement lancé il y a quinze jours. Je suis très heureuse de vous annoncer que le premier projet que je lancerai d´ici quelques semaines mettra à l´honneur des dizaines de femmes, agents d´entretien ou caissières, qui ont manifesté leur intérêt pour se former au métier d'aide-soignante.

Mesdames et messieurs les députés, je le redis devant vous, la crise sanitaire et ses conséquences économiques ne feront jamais passer au second plan la lutte contre les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes. Je crois profondément que la diversité, à tous les niveaux, est synonyme de performance économique et sociale. Les entreprises fonctionnent mieux, les équipes sont plus harmonieuses, la prise de décision est bien meilleure quand on associe les deux moitiés de l´humanité et quand il y a de la diversité dans les profils et les talents.

Mon parcours m´a permis de constater que les hommes se posent rarement des questions avant de revendiquer un poste ou une promotion. Les femmes doivent oser à leur tour. Il leur faut refuser par principe l´idée qu´un métier ou qu´un secteur ne serait pas fait pour elles.

Je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.