Intervention de éric Dupond-Moretti

Réunion du mardi 2 mars 2021 à 17h30
Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux :

La direction des affaires criminelles et des grâces vient de faire savoir qu'en 2020, 106 homicides conjugaux ont été perpétrés ; 90 victimes sont des femmes. Ce chiffre est le plus bas depuis que l'on a commencé à recenser les féminicides, en 2006. En 2019, 173 de ces crimes avaient été commis ; 146 femmes en avaient été les victimes. Même si la situation n'est toujours pas satisfaisante, car chacun de ces meurtres est un échec, ce progrès est encourageant. Il est dû aux mesures que vous avez adoptées et au fait que l'appréhension judiciaire de ces crimes a changé. Beaucoup a été fait en matière de prévention. Les téléphones grave danger peuvent désormais être attribués en cas de danger avéré imminent, même si l'auteur des violences n'a pas pu être interpellé et est en fuite. Quand je souligne, dans les juridictions, que cette télé-protection est un outil essentiel, c'est à des magistrats déjà convaincus que je m'adresse, comme ils le sont de l'utilité du bracelet anti-rapprochement – même si l'on n'empêchera jamais un fou furieux de s'affranchir de ces barrières virtuelles.

En matière de viol, un arrêt curieux a été rendu en 2014, dans lequel on tergiverse sur les actes bucco-génitaux. Pour ma part, je considère tout acte bucco-génital imposé à un enfant comme un viol, cunnilingus compris – toute gamine à qui il est imposé en ressentira le même traumatisme qu'un jeune garçon subissant une fellation. Au sujet de la notion de viol, il arrive aussi que des hommes nient avoir violé puisque « n'ayant mis qu'un doigt », ils n'ont « rien fait de mal ». Eh bien, si : ils ont violé – et parfois, en effet, leurs victimes ne savent pas qu'elles l'ont été au sens de la loi.

J'en viens à la proposition de loi de Mme Annick Billon, texte sur lequel le Gouvernement est très ouvert. Nous souhaitons affirmer dans la loi que nul ne pourra prétendre qu'un mineur de 15 ans a consenti à des pratiques sexuelles. L'inscription de ce seuil marquera un formidable progrès en consacrant l'interdit. Cependant, il faut prendre en considération le fait que des jeunes gens ont une vie sexuelle avant cet âge ; tout à l'heure encore, un de vos collègues me disait avoir trouvé des préservatifs dans le tiroir de sa fille âgée de 14 ans… C'est ainsi, et je ne veux pas me poser en censeur de la vie sexuelle consentie de nos enfants, faire de Roméo un criminel parce qu'il entretient une relation avec Juliette. Pour autant, s'il y a viol entre mineurs, l'infraction demeurera. Fixer un écart d'âge signifie que dans cette tranche d'âge on ne peut pas d'emblée considérer qu'il y a viol et, s'il y a consentement, on ne peut criminaliser les actes commis.

D'autre part, le droit positif demeure intouché. Si une gamine âgée de 14 ans et six mois a une relation sexuelle avec celui qu'elle considère être l'amour de sa vie, lui-même âgé de 18 ans et un jour, on ne peut pas renvoyer le garçon aux assises. Le droit positif, qui n'est pas abrogé, conduit à appréhender cette situation sous l'angle de l'atteinte sexuelle, et certains parlementaires souhaitent que la notion d'écart d'âge s'applique aussi pour l'atteinte sexuelle ; je n'y suis pas favorable. Deux cas se présentent. Si les deux jeunes gens déclarent qu'ils s'aiment, le parquet considérera l'atteinte sexuelle présumée comme des amours adolescentes et tendra à classer l'affaire sans suite, ce qui n'est pas anormal. Infliger une comparution en correctionnelle à un tout jeune majeur si les deux jeunes gens disent s'aimer n'aurait pas de sens ; j'adresserai d'ailleurs une circulaire en ce sens aux parquets. Mais il peut aussi se produire qu'une gamine ne connaissant pas grand-chose de la sexualité soit emmenée par des amies en un lieu où elle subira des relations sexuelles avec plusieurs individus sans qu'elle le refuse, sans que l'on puisse prouver la violence, la contrainte, la menace ou la surprise ; que fait-on ? Selon moi, dans cette hypothèse, il faut pénaliser. C'est le système actuel et il ne faut pas le modifier.

Nous souhaitons que le seuil de 15 ans devienne la règle générale, l'exception concernant les amours adolescentes. Certains parlementaires veulent, pour qu'une dérogation soit possible, que la relation entre les jeunes gens concernés soit « pérenne ». Mais, quand on a 14 ans, trois jours sont une éternité ! Et que fait-on si le garçon, volage, s'en va voir ailleurs puis revient ? En droit, c'est injouable ! Je ne crois pas en la pérennité de amours de gosses, et le Conseil constitutionnel nous surveille : comment définit-on cette pérennité en droit pénal ? Je souhaite la mention de l'écart d'âge pour ne pas criminaliser une relation adolescente consentie. Certains feront valoir que dans certaines situations, cela ne fonctionne pas. C'est exact, mais il en est toujours ainsi quand on fixe un seuil : on n'atteint jamais la perfection. Il faut l'accepter parce que le texte renforce considérablement la protection des mineurs. La règle est fixée : on ne touche pas aux enfants mineurs de 15 ans.

Enfin, les amours adolescentes ne sont pour la plupart pas portées à la connaissance de la justice, sauf quand, parfois, des parents portent plainte ; si le parquet découvre qu'il y a eu consentement, il décidera de classer sans suite. Je rappelle enfin que, comme il s'agit d'une victime mineure, c'est le juge des enfants qui sera compétent. Je comprends que le fait de maintenir le droit positif relatif à l'atteinte sexuelle puisse paraître injuste mais le système fonctionne depuis toujours. L'apport de la loi dont nous allons discuter, c'est une protection renforcée des mineurs.

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