Madame Liso, le budget de la justice a augmenté de 8 % en 2020 par rapport à l'année précédente et les crédits de l'aide aux victimes d'infractions pénales, couverts par le programme 101 du budget, sont passés de 6,7 millions d'euros en 2019 à 8,1 millions dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2021. Vous soulignez les progrès réalisés et les efforts qui restent à accomplir. Á Lille, la procureure est très en pointe sur ces sujets, mais plusieurs autres parquets ont aussi conclu avec des préfectures des conventions leur donnant accès à un parc de logements ou à des nuitées d'hôtel. Á Amiens, Beauvais, Besançon, Bordeaux, Bourges, Brest, Chartres, Dijon, Mulhouse, Nantes, Senlis, Valenciennes et ailleurs encore, cette question a été prise à bras-le-corps. Je porterai une mesure nouvelle à ce sujet lors de la discussion du PLF pour 2022. Pour 2021, le financement de l'expérimentation par redéploiement pourrait être envisagé au regard des crédits disponibles. Une réponse plus brève à votre question est donc « Oui, madame la députée ». Dans ce domaine comme dans d'autres, nous savons depuis longtemps que le taux de récidive est beaucoup plus élevé quand les sorties de prison sont « sèches » que lorsqu'elles sont accompagnées. Il faut la volonté politique de mettre les dispositifs en œuvre et je présenterai bientôt des mesures à ce sujet.
Madame Anthoine, j'ai effectivement demandé aux procureurs, il y a quelques jours, d'ouvrir une enquête même quand les faits paraissent prescrits. Il y a trois raisons à cela. La première est que l'on ne sait pas d'emblée si la prescription est acquise ; l'enquête peut le révéler, mais il peut se produire aussi que la prescription que l'on pouvait penser acquise ait été suspendue et en ce cas, on peut poursuivre. Enquêter dans tous les cas a aussi pour intérêt d'entendre la plaignante et de lui expliquer le mécanisme de la prescription ; cela n'est pas toujours fait dans le cadre d'une enquête préliminaire, s'il n'y a pas d'avocat, si bien que la victime peut avoir le sentiment de n'avoir pas été entendue, voire pas crue. La troisième raison est qu'il ne faut pas négliger le droit de celui qui est accusé. Les dénonciations calomnieuses sont rares mais elles existent, et l'extrême prudence s'impose dans ces affaires. Je l'ai dit : la libération de la parole ne doit en rien entraver la présomption d'innocence, ni la présomption d'innocence entraver la libération de la parole. Le risque, si on est accusé à tort, est celui d'une mort civile et professionnelle, parce que les réseaux sociaux reprennent l'accusation en boucle. Ouvrir une enquête permet de cocher la case « prescription » mais aussi, éventuellement, la case « infraction non constituée ». Aussi, dans cette circulaire équilibrée, je rappelle les droits de celles qui accusent et ceux des accusés.
Je ne vois que des avantages à mobiliser les procureurs à cet effet. Nous avons procédé au plus grand plan d'embauche de la justice depuis vingt-cinq ans : mille personnes ont été affectées dans les juridictions, essentiellement en première instance, pour aider les magistrats et les parquetiers, et nous avons doublé le nombre de délégués du procureur. Aussi les parquets sont-ils pleinement mobilisés, comme il le faut, et l'époque nous contraint à réagir davantage à ces histoires – en cela, je l'ai dit, l'ouvrage de Camille Kouchner est d'utilité publique, et il a aussi pour intérêt de déconstruire certains préjugés sociaux relatifs à l'inceste. En résumé, l'exceptionnel budget de la justice permet parfaitement de supporter la charge supplémentaire de ces enquêtes. Je demande aux procureurs d'avoir un contact avec les plaignantes. Parfois, on sait très vite que la prescription est acquise, et cela peut être expliqué rapidement ; parfois, il faut enquêter davantage pour établir si elle est acquise ou non. Les dossiers de classement sans suite ne sont pas les plus épais : la charge de travail n'a rien à voir ni avec un dossier d'instruction ni avec une enquête préliminaire classique.
Depuis l'affaire dite d'Outreau, on sait que l'on peut faire dire n'importe quoi à un enfant et qu'un effort particulier est indispensable dans la manière dont on recueille sa parole. Une formation spécifique est donc nécessaire, qui suppose l'engagement de plusieurs ministères, puisque sont concernés enquêteurs, magistrats, médecins et psychologues. On a vu dans une affaire particulière à quel point les choses peuvent déraper, et il y a un véritable investissement car on sait désormais que les conditions du recueil initial de la parole de l'enfant sont déterminantes. Les associations sont très impliquées et l'École de la magistrature a élaboré un kit pédagogique visant à sensibiliser les différents acteurs intervenants dans le recueil de la parole de l'enfant. Des améliorations sont sans doute encore possibles, mais des progrès notables ont déjà été faits.