Intervention de Philippe Pelletier

Réunion du jeudi 19 avril 2018 à 14h05
Groupe de travail sur le développement durable dans la gestion et le fonctionnement de l'assemblée nationale

Philippe Pelletier, directeur du plan « Bâtiment durable » :

Depuis le Grenelle de l'environnement, les pouvoirs publics ont imaginé qu'il était nécessaire que, dans le champ de l'évolution souhaitée des bâtiments, une impulsion soit entretenue à partir de la société civile sur la base d'une injonction de l'État.

Ce modèle est tout à fait singulier ; il n'en existe pas d'autres aujourd'hui dans notre organisation. Depuis le mois de janvier 2009, je reçois des lettres de missions successives, la dernière en date du mois de décembre dernier provenant du ministre chargé de l'écologie. Elles incitent, à partir d'une équipe mise en place par l'État et réduite à trois personnes, à développer un effet réseau, des impulsions et une dynamique sur l'ensemble du territoire auprès de la société concernée, c'est-à-dire ceux qui représentent l'offre de services, ceux qui construisent, les promoteurs, ceux qui gèrent, ceux qui financent, ceux qui assurent, ceux qui mesurent, ceux qui conçoivent, les architectes, etc. – mais aussi tout le monde de la demande, à savoir les propriétaires et les occupants de bâtiments.

Le sujet est singulièrement vaste, puisque la mission porte sur l'ensemble des bâtiments quelle que soit leur classe d'usage, à construire ou existants.

Depuis la création de la mission, nous œuvrons principalement dans trois directions.

La première consiste à susciter de l'innovation à partir des groupes de travail que nous rassemblons – trente ou quarante depuis que la mission est en place. Ainsi, tous les textes de loi adoptés depuis cette époque, dans leur volet « bâtiment », sont largement nourris des propositions que nous avons formulées. On ne le sait pas toujours, mais les mêmes termes sont repris, les idées relayées, et c'est très bien ainsi.

La seconde réside dans l'effet réseau que nous entretenons et qui consiste à faire travailler ensemble des gens qui n'ont pas l'habitude de le faire. En beaucoup de lieux du territoire national, nous avons organisé la rencontre d'architectes et d'artisans qui constituaient deux populations ayant tendance à penser que l'une ne pouvait pas être utile à l'autre, les artisans considérant que l'aide des architectes en matière de rénovation était peu gratifiante, les architectes éprouvant quelque difficulté à trouver leur place dans ce champ.

Nous avons incarné cet effet réseau dans les territoires au sein desquels nous avons développé ce que nous avons appelé des plans « bâtiment durable » régionaux ; à ce jour sept des treize régions ont conclu un plan, dont la région Centre-Val-de-Loire.

L'établissement de ces plans nous ont conduit au constat, qui peut intéresser le législateur, que, lorsque l'on demande à un territoire de définir dans le cadre de la loi les objectifs qui sont les siens, les perspectives des plans régionaux sont toutes différentes les unes des autres. Cela est dû à la nature du bâti, aux conditions climatiques, aux priorités sociales qui ne sont pas partout les mêmes ; pourtant tous convergent vers l'objectif 2050, zéro carbone et basse consommation énergétique.

La troisième direction consiste en une sorte d'interaction permanente entre l'appareil d'État et la société civile que nous rencontrons. Nous faisons remonter de la société vers l'État les réactions que nous parvenons à susciter et à rassembler dans la préparation du plan actuel de rénovation énergétique des bâtiments.

Nous avons livré un document intitulé « 50 propositions », qui est le fruit des innombrables rencontres faites sur le territoire pour faire remonter les réactions à l'avant-projet, qui avait été mis en circulation par l'État. Puis nous procédons dans l'autre sens, en faisant descendre des pouvoirs publics vers la société l'information, les impulsions et le dynamisme.

Nous sommes inclassables ; nous n'avons pas d'existence juridique, pas d'argent à dépenser, une extrême économie de moyens et un rayonnement assez considérable. Rendez-vous sur notre site internet : vous pourrez constater l'ampleur de la dynamique que nous sommes parvenus à susciter. En début d'année, vous avez dû être destinataires du rapport annuel du plan « Bâtiment durable » que, chaque année, nous arrêtons très tôt et publions en format numérique ; nous en faisons encore pour le moment un tirage papier, mais dont il faudra sûrement se défaire.

Après cette présentation, je reprendrai la préoccupation qui est la vôtre : que peut-être ce chemin vers des bâtiments durables pour l'Assemblée nationale? Il me semble en effet qu'il faut circonscrire le sujet à ce cas particulier, ce qui sera plus efficace.

La première observation tient aux éléments de contexte : il ne vous aura pas échappé que l'État, avec peut-être une rapidité de plume que les faits n'ont pas permis de concrétiser, se proclame comme exemplaire dans tous les textes qui ont pu être promulgués depuis le Grenelle de l'environnement, particulièrement en ce qui concerne ses bâtiments.

L'État n'est pas resté les deux pieds dans le même sabot, et il a progressé ; tout d'abord en réalisant un audit important portant sur son patrimoine de bâtiments publics. Je ne suis pas sûr que tous les fruits en aient été tirés parce que ces audits ont été difficiles à exploiter dans la même base de données, mais ils n'en ont pas moins conduit l'État à faire de gros efforts de réorganisation de l'occupation de ses bâtiments. Ainsi, le simple fait de resserrer le nombre de mètres carrés par agent a permis la réalisation d'économies non négligeables.

Le deuxième élément de contexte est que, depuis 2010, figure dans la loi le principe d'une obligation de rénovation énergétique du parc tertiaire privé et public, qui devait donner lieu à un décret d'application. Vous connaissez sans doute, les avatars de ce décret qui, après ne pas avoir vu le jour au cours des années suivant 2010, a fini par être pris la veille de la fin du précédent quinquennat. Il est aujourd'hui pendant devant le Conseil d'État à cause du recours formé par un partenaire mécontent du texte finalement publié.

De votre côté, vous avez remis l'ouvrage sur le métier, en adoptant en commission l'article 55 du projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dit « ELAN », qui détermine un nouveau cadre législatif prévoyant un décret, cette fois peu susceptible d'encourir les foudres du Conseil d'État. Il servira un projet qui, par tranches décennales, conduira l'ensemble du parc tertiaire privé et public vers l'économie d'énergie.

Le troisième élément de contexte réside dans le fait qu'à côté de l'économie d'énergie, qui a constitué le premier marqueur de la démarche vers un bâtiment durable, la dimension « carbone » du bâtiment est embarquée : à savoir la prise en compte nécessaire du poids carbone du bâtiment au cours de son cycle de vie, de sa construction à sa déconstruction en passant par son exploitation.

Et ce couple énergie-carbone est une des singularités de l'organisation française, une ligne qui doit guider les évolutions de nos patrimoines jusqu'en 2050 puisqu'un double objectif est fixé : basse consommation, avec une moyenne de 50 kilowattheures par mètre carré et par an en 2050, et zéro carbone si l'on s'en tient aux termes du plan climat annoncé par le ministre d'État.

Enfin, le quatrième élément de contexte est que, par-delà les textes et l'impulsion qu'ils peuvent donner, les acteurs concernés du parc tertiaire privé et public ont déjà pris beaucoup d'initiatives. Vous avez fait allusion à la charte que nous avons lancée en octobre 2013, qui vise à recueillir la signature de propriétaires ou occupants de locaux à usage tertiaire, principalement des bureaux, mais aussi des hôtels et des lieux d'enseignement, quelques sites administratifs ; et le dernier signataire, qui doit être le cent vingt-cinquième, est depuis la semaine dernière le conseil départemental des Yvelines.

Nous demandons deux choses aux signataires, et la seconde, vous allez le comprendre, peut justifier notre présence ici aujourd'hui.

La première consiste à s'engager dans un processus de rénovation énergétique du parc considéré, et nous avons pensé que le meilleur moyen de susciter l'adhésion consiste à être extrêmement souple, à ne pas exiger, par exemple, moins 25 % ou 30 % d'économie d'énergie, ni que cela porte sur l'ensemble du patrimoine, etc. Nous préférons laisser le choix à nos interlocuteurs.

La deuxième chose, très importante à nos yeux, que nous exigeons des signataires est qu'ils s'engagent à rendre compte de ce qu'ils font, car nous sommes convaincus que le processus de rénovation du parc tertiaire se nourrira de l'échange d'informations entre les participants à cette action. Que nous puissions montrer que tel acteur a effectué tel type d'intervention qui a eu tel résultat est tout à fait important pour les autres, chacun n'ayant pas vocation à réinventer la roue dans son coin. Nous sommes donc très attentifs à cette mise en commun de ce qui a été réalisé, et nous la regroupons annuellement dans un rapport d'activité qui témoigne de la vie de la charte, et rend compte de ce qui a été fait ainsi que des objectifs atteints.

Ainsi, lorsque le Gouvernement a préparé l'article 55 du projet de loi ELAN, il s'est largement inspiré des pourcentages d'évolution figurant dans nos rapports de suivi puisqu'il y a trouvé ce que des acteurs volontaires, donc sans doute plus enclins à faire des efforts que ceux qui ne se sont pas engagés, sont capables de faire dans le temps qu'ils se sont impartis à cette fin.

Enfin, l'intérêt de la charte est que, comme vous êtes en train de le faire à juste titre en incluant votre action sur les bâtiments durables au sein d'une préoccupation de responsabilité sociétale de l'Assemblée nationale, de ne pas raisonner avec le prisme étroit de la réalisation de travaux, mais de penser que travaux et actions s'enrichissent mutuellement.

Dans tous les patrimoines immobiliers d'activité tertiaire, nous relevons une marge d'économie d'énergie qui varie entre 15 % et 25 %, ce qui est considérable, et ce sans dépenser beaucoup d'argent, à travers trois types d'actions.

La première est l'ajustement de nos comportements ; la seconde une meilleure finesse de la maintenance des installations. À cet égard, nous avons été surpris – et vous ne l'êtes peut-être plus – lorsque nous sommes arrivés ici de constater le froid glacial qui nous saisissait au sortir de l'ascenseur au niveau de ce sous-sol, puis le froid dans la galerie et enfin la chaleur dans cette pièce ; sans être techniciens, nous pensons qu'il s'agit d'un défaut de réglage. Le troisième point porte sur quelques dispositifs peu coûteux de thermostats ou de détecteurs de présence qui favorise l'économie, l'économie d'énergie.

Nous sommes donc convaincus que ce couple-travaux action est indissociable, et que commencer par des actions pour mobiliser les occupants du bâtiment avant d'engager les travaux est souvent de bonne méthode.

On peut par ce biais actionner des leviers qui ne sont toutefois pas les mêmes dans tous les esprits : certains sont très attachés à l'économie d'énergie, d'autres à la préservation de la planète, certains sont mus par des considérations patrimoniales, d'autres le sont par des enjeux de santé.

Tout cela mérite d'être alimenté, entendu et recueilli, car il s'agit de vecteurs de mise en mouvement d'une communauté d'hommes et de femmes qui n'est pas poussé par un seul esprit. C'est cette diversité qui doit, me semble-t-il, guider votre action.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.