Le GESTE est la principale association d'éditeurs de contenus et de services numériques. Il regroupe 140 membres et constitue avant tout un lieu d'échange et de travail permettant à ses membres d'avoir un temps d'avance sur les débats d'actualité et, parfois, sur les positions législatives. Ce n'est pas une association de lobbying. Il adresse la thématique des contenus numériques de façon transversale et non verticale. Nos membres appartiennent à toutes les typologies d'éditeurs, ce sont des pure players mais aussi des entreprises de l'ancien monde des médias, la presse, la télévision, la radio, les podcasts, etc.
Nous sommes parfaitement en phase avec le constat et les considérants qui sont à l'origine de la loi. L'information de qualité a une valeur, elle contribue au débat public et est indispensable à notre démocratie et à la société. Produire une information de qualité coûte très cher et demande beaucoup d'investissements. Nos revenus publicitaires se sont étiolés au cours des dernières années au profit des grandes plateformes. Elles tirent profit de la valeur de nos contenus, sans les rémunérer.
Nous sommes très heureux que la directive européenne sur le droit d'auteur ait été si rapidement transposée dans la loi française et mise en œuvre dès le 24 octobre 2019. Malheureusement, depuis deux ans, nous n'avons pas perçu un seul euro. Dans le même temps, les écarts déjà abyssaux qui séparaient les éditeurs de contenus et les plateformes se sont encore accrus. Nous considérons que nous avons perdu beaucoup de temps et que nos positions sont encore plus fragiles. En effet, le temps joue en faveur des plateformes qui avancent très rapidement.
Nous nous sommes interrogés sur les raisons pour lesquelles nous avions autant de difficultés à faire appliquer cette loi. Certains diront que nous agissons en ordre dispersé, mais je ne suis pas certain que ce soit la bonne explication. Il est possible aussi que nous nous y prenions mal. Toutefois, nous sommes convaincus que nous n'y arrivons pas, tout simplement parce que les plateformes s'y refusent. Google et les autres font tout ce qu'ils peuvent pour retarder la mise en œuvre de la loi. Google a récemment fait appel de la décision de l'Autorité de la concurrence, alors que les négociations devaient reprendre. Il ne se presse pas pour y participer, sauf à y être contraint. Le temps est donc à l'avantage des GAFA.
Pour se soustraire à l'application de la loi ou pour gagner du temps, ils s'appuient sur un certain nombre de flous, peut-être de failles, qui nous aident beaucoup mais qui nous handicapent également. En effet, de nombreux éléments ne sont pas précisés : la loi ne mentionne aucun critère de calcul pour évaluer l'assiette, elle ne dit rien sur la manière de mesurer la valeur créée par l'utilisation de nos contenus, elle n'est pas contraignante, elle ne prévoit pas de sanction, d'astreinte, ni de mécanisme d'arbitrage. Nous avons pu constater que cette dernière disposition, inscrite dans la loi australienne, avait été fort utile dans la conduite de leurs négociations et leur avait permis d'éviter que la rémunération soit nulle. Par ailleurs, la loi n'impose pas d'obligation d'accès aux données et ne sanctionne pas les refus de transmission de ces informations qui sont pourtant fondamentales pour déterminer l'assiette.
Je souligne que notre objectif n'est pas de critiquer mais de comprendre pourquoi nous n'arrivons pas à faire appliquer cette loi que nous trouvons formidable, mais qui pourrait, sur certains points, être plus précise.
Nous n'avons pas non plus de référent auquel nous adresser pour nous émouvoir ou pour bénéficier d'un appui. Il n'existe pas d'organe de régulation qui pourrait fixer les prix en cas de désaccord entre les parties, comme dans l'univers des télécoms. Il manque également un délai pour parvenir à un accord, comme dans l'univers de la grande distribution qui bénéficie de délais légaux et de négociations annuelles. Enfin, la loi ne prévoit pas d'obligation de rémunération positive ni de médiateur pour relayer les désaccords, aider les petits éditeurs ou créer des mécanismes intermédiaires qui réduiraient les marges de manœuvre de Google ou de Facebook.
Nous considérons que cette loi ouvre des opportunités formidables, mais elle comporte également un certain nombre de failles dans la façon dont elle peut être mise en œuvre. Toutes ces failles, notamment l'absence de critères, permettent aux plateformes de gagner du temps. Or, le temps et la dispersion sont nos deux principaux handicaps vis-à-vis des plateformes. Il y a des centaines d'éditeurs en France, des milliers dans le monde et nous avons face à nous cinq sociétés. Nous ne sommes donc pas dans le même rapport de force. Il faut faire vite, le temps joue contre nous. Vous avez tous vu les bénéfices ahurissants de Google, qui a gagné 18,5 milliards de dollars au deuxième trimestre 2021, contre 7 l'année dernière.
Sur le marché de la publicité digitale, Facebook et Google annoncent chaque année des progressions à deux chiffres. En France, ils captent entre 80 et 85 % de la publicité numérique, qui est devenue le premier secteur d'investissement publicitaire, et la quasi-totalité de la croissance. Le temps est donc essentiel et les plateformes en gagne beaucoup, peut-être parce que la loi n'est pas suffisamment contraignante ou ne prévoit pas de dispositions en cas de problème.
Nous considérons qu'il faudrait préciser la loi, peut-être compléter les dispositions actuelles. Nous ne sommes pas des spécialistes mais nous serions ravis de vous accompagner et de travailler avec vous. L'essentiel est de trouver le moyen de rémunérer effectivement les éditeurs.