La SACEM dispose d'un historique en commun avec le droit voisin, puisque ce droit est né grâce à une directive. Cette directive avait trois objectifs : faciliter l'accès au savoir ; favoriser la circulation transfrontalière des biens culturels ; corriger l'asymétrie des relations entre certains opérateurs et les détenteurs de droits. Dans le cadre de ce dernier objectif qui nous intéressait tout particulièrement, la directive portait deux mesures phares : l'article 15 instituant le droit voisin des éditeurs et des agences de presse et l'article 17, lié à la responsabilité des plateformes de partage de contenus, afin de les sortir de l'ornière du statut d'hébergeur et reconnaître la pleine application de tous les droits de propriété intellectuelle, le droit d'auteur et le droit voisin.
Le destin de la SACEM et celui des éditeurs de presse, qui rencontraient les plus grandes difficultés à mettre en œuvre leurs droits, ont été liés tout au long des discussions sur l'adoption de cette directive. Les frictions, organisées notamment pas les GAFA, ont été très vives au sujet des articles 15 et 17.
L'article 15 a été transposé plus rapidement. Le Parlement n'a pas attendu la finalisation de la directive et a voté dès octobre 2019 une loi de transposition de la directive adoptée en avril 2019. Les articles 17 et 23 ont été transposés par le biais d'ordonnances et le reste de cette directive le sera de la même manière.
À la suite du vote de la loi, certains éditeurs de presse nous ont demandé de bénéficier de notre expertise en matière de gestion collective et de négociation avec des entités que nous connaissons depuis longtemps. La SACEM est en effet l'une des premières entités à avoir négocié avec Google au titre de son service YouTube. Le premier accord remonte à 2009 et s'est depuis prorogé. Grâce à l'article 17, nous avons des accords avec Facebook, Twitter, Triller, Twitch, c'est-à-dire l'ensemble des plateformes de partage des contenus, qui sont les nouveaux diffuseurs.
Pendant des années, nous avons vécu avec une épée de Damoclès dans le cadre de nos négociations avec le statut d'hébergeur qui nous était régulièrement opposé. Nous avons dû nous pencher sur la nature des revenus, sur l'utilisation de la musique, etc. Nous avons connu les difficultés que rencontrent aujourd'hui les titulaires de droits voisins avec des acteurs qui ne sont pas vraiment enclins à payer les droits correspondants aux contenus qu'ils utilisent.
Nos discussions avec certains titulaires de droits voisins ont abouti à un accord de principe sur la constitution d'un organisme de gestion collective (OGC). Nous nous sommes interrogés sur l'adhésion des éditeurs de presse à la SACEM, cette option n'a pas été retenue, car notre objet social est de gérer les droits d'auteur pour le compte d'auteurs, compositeurs et éditeurs de musique. Les titulaires de droits membres de la SACEM n'ont pas tous la même qualité. Il y a des auteurs, des compositeurs, des personnes morales et depuis 150 ans nous faisons cohabiter des acteurs qui ont souvent des intérêts convergents, mais parfois des préoccupations distinctes.
Nous avons accepté de les faire bénéficier de notre expertise. Les droits voisins sont nés en 1985 avec la loi Lang qui a créé des systèmes de gestion collective obligatoire pour les producteurs de phonogrammes et les artistes-interprètes. Dans le cadre de la diffusion dans les lieux publics ou à la radio de ces phonogrammes, il existe un système de gestion collective obligatoire organisé par la SPRÉ. Cette entité collecte les droits de sonorisation des lieux publics partout en France.
Notre faculté d'exercer des mandats pour le compte de titulaires de droits d'auteur ou pour celui de titulaires de droits voisins est éprouvée. La rémunération pour copie privée n'est pas une taxe SACEM mais une rémunération qui bénéficie aux producteurs audiovisuels, aux producteurs de musique, aux artistes-interprètes, aux auteurs et aux éditeurs de l'écrit. L'ensemble des titulaires de droits, quel que soit le genre concerné, bénéficient de la rémunération pour copie privée. L'activité de collecte est organisée par Copie France, mais c'est la SACEM qui gère la logistique.
Par ailleurs, la SACEM est une société très internationale. Elle gère également les droits des sociétés sœurs étrangères et ceux des éditeurs internationaux. C'est une grosse partie de notre rémunération. En 2019, la SACEM a collecté 1,1 milliard d'euros, parce qu'elle gère des mandats pour le compte de répertoires anglo-américains. Nous maîtrisons donc la modalité d'exercice par mandat.
Nous avons proposé aux agences et éditeurs de presse la constitution d'un OGC qui a la particularité d'être gouverné par les titulaires de droits. Il était essentiel que les choix fondamentaux de gestion des droits voisins soient effectués par ceux qui vont les toucher. Le SEPN est un partenaire historique, mais nous travaillons aussi avec la FNPS, le SPIIL et certaines agences de presse. Une dynamique s'est créée depuis quelques mois et nous permet d'avancer.
La SACEM opérera comme n'importe quel OGC. Un OGC identifie les redevables et les marchés pertinents, négocie, collecte, répartit et audite. Il doit avoir la capacité de vérifier les informations qui lui sont communiquées pour mieux rémunérer les titulaires de droits voisins. C'est ce que fera la SACEM avec ses outils, pour le compte de ce nouvel OGC, qui déterminera les règles de gouvernance, de répartition et qui prendra les décisions sur les négociations importantes. Nous avons depuis longtemps développé des outils pour gérer des droits en ligne qui ont représenté en 2020 près d'un tiers de nos revenus, environ 300 millions d'euros. Je pense qu'en 2022 ces droits en ligne en représenteront la moitié. Nous avons investi dans des outils informatiques pour gérer des dizaines de milliards de streams sur des plateformes comme YouTube, Apple Music ou Deezer. La SACEM est devenue une société technologique chargée de répartir au plus juste les revenus collectés et qui a la capacité de transposer ses outils dans d'autres secteurs d'activité pour en mutualiser les coûts.
Nous sommes dans la phase de finalisation des statuts de l'OGC. Il reste des questions de gouvernance qui sont traitées par les détenteurs de droits. L'activité des OGC est régie par une directive de 2014, transposée en 2016 dans le code de la propriété intellectuelle et qui impose des règles en termes de transparence et de gouvernance établissant une fonction de surveillance, une fonction d'administration, une représentation équilibrée des différents titulaires de droits au sein des organismes qui prennent les décisions. Les OGC doivent publier tous les ans un rapport de transparence et il existe une commission de contrôle des OGC qui a un pouvoir d'investigation et de sanctions.
La gestion collective présente trois avantages. Le premier est de mettre à disposition de manière licite des contenus protégés. Les plateformes qui n'ont pas réglé les droits voisins sont aujourd'hui dans l'illégalité et en situation de contrefaçon, ce qui constitue un délit pénal. Le deuxième avantage est de réduire les coûts de transaction pour les plateformes, l'OGC négociant pour l'ensemble des titulaires de droits. Enfin, elle corrige un rapport par nature asymétrique. Les éditeurs ont besoin des plateformes pour leur visibilité, comme la SACEM a besoin des radios, des chaînes de télévision ou de services comme Spotify ou Apple Music pour promouvoir et diffuser la musique. Mais ce n'est parce que nous avons besoin de ces diffuseurs qu'ils peuvent se dédouaner de leurs obligations. La correction de cette asymétrie prend toute sa mesure quand elle est exercée sous forme de gestion collective. Le monde de la presse est très fragmenté et de nombreux acteurs ont des visions, des intérêts et des poids économiques différents et la gestion collective permet de les agréger dans un même organisme pour mieux défendre leurs droits.