Intervention de Christophe Dickès

Réunion du mercredi 27 octobre 2021 à 14h00
Mission d'information sur l'application du droit voisin au bénéfice des agences, éditeurs et professionnels du secteur de la presse

Christophe Dickès, membre de la FeVeM, en charge des droits d'auteur sur le plan international pour Kantar Media France et la FIBEP :

Je vous remercie d'avoir accepté de nous écouter dans le cadre de votre mission d'information. La question du droit voisin suscite notre intérêt depuis plusieurs années. En 2013, la société Google est parvenue à un accord avec quelques éditeurs à hauteur de 20 millions par an pendant trois ans, alors que notre marché de niche de 100 millions payait autant voire davantage. Nous avons donc souhaité défendre nos intérêts sur le plan national et international.

Sur le plan international, j'ai travaillé à Bruxelles pendant trois ans au nom de la FIBEP (Fédération internationale des bureaux d'extraits de presse) et de l'AMEC (Association internationale pour la mesure et l'évaluation de la communication) dans le but de représenter les intérêts des sociétés de veille média. Notre objectif était de montrer qu'il existait des acteurs vertueux en Europe. Des équivalents du CFC existent dans plusieurs pays, comme au Royaume-Uni, en Allemagne, en Italie ou en Espagne. L'ensemble de ces organismes de gestion collective travaille avec les sociétés de veille et leurs clients. Les licences et leur modèle financier varient d'un pays à l'autre, mais ils servent à protéger nos activités ainsi que celles de nos clients.

L'idée d'un nouveau droit pour les éditeurs a émergé compte tenu de la prétendue ineffectivité du droit d'auteur face aux grandes plateformes d'Internet. Ce droit voisin a été imaginé par des éditeurs qui considéraient que le droit d'auteur ne leur permettait pas de négocier auprès des grandes plateformes et de leur faire payer des redevances. Mais il n'est d'aucune utilité sur notre marché et il est impensable que nous payions à la fois un droit d'auteur et un droit voisin.

Nous avons partiellement été entendus sur le plan européen. Dans son analyse d'impact sur le projet de directive européenne sur le droit d'auteur publié en 2016, la Commission a cité notre marché comme unique exemple pour avoir créé un système de licence pour les contenus numériques. Je vous renvoie à la note 486 de l'analyse d'impact. Cette analyse d'impact ajoutait que les sociétés de veille pourraient continuer à évoluer dans un cadre qui rémunère les éditeurs ou les auteurs. La Commission européenne soulignait enfin le fait que les éditeurs n'auraient pas d'intérêt à revoir un système qui fonctionne déjà, car nous avions exprimé notre inquiétude d'une augmentation des redevances. Je cite : «  l'instauration d'un droit voisin couvrant l'utilisation en ligne des publications de presse ne devrait pas faire augmenter les redevances de licence pour les prestataires de service en ligne qui concluent déjà des accords de licence couvrant spécifiquement l'utilisation de contenus informatifs numériques. Les redevances impliqueraient des coûts pour les seuls prestataires de services en ligne qui aujourd'hui ne concluent pas d'accord de licence pour la réutilisation de contenus d'éditeurs alors que conformément à la législation en matière de droit d'auteur, ils devraient en principe le faire  ». Il convient donc de faire une distinction entre ceux qui paient et ceux qui ne paient pas, que le CFC avait déjà opérée en créant une licence spécifique pour les acteurs qui agissent spécifiquement sur Internet, et qui utilisent dans leur service de veille numérique des contenus sans aucune autorisation. Il est vrai que d'autres opérateurs internationaux ne respectent pas les droits de propriété intellectuelle des éditeurs. Ces acteurs internationaux opèrent pour la plupart sur le marché français et ne souhaitent pas souscrire à la licence dite veille web créée par le CFC, disponible en ligne sur son site. Leur refus de verser des redevances de droit d'auteur alors que les membres de la FeVeM paient des droits constitue une distorsion de concurrence sur notre marché. Mais il ne s'agit pas, comme le soutenait M. Jean-Marie Cavada, de Kantar, de Factiva, qui possède des accords internationaux avec les éditeurs et appartient au groupe Wall Street Journal, ou de Reed Elsevier, éditeur de presse professionnel. Ces groupes respectent le droit d'auteur. Les acteurs qui ne paient pas de redevance de droit d'auteur sont connus et ont déjà eu affaire à la justice dans plusieurs pays, comme au Royaume-Uni.

Nous sommes intervenus sur le plan européen et national au moment de la transposition la directive européenne. À cette occasion, la députée Aurore Bergé, que nous remercions chaleureusement, a porté un amendement afin que les acteurs vertueux qui paient déjà des redevances de droit d'auteur ne soient pas soumis à une seconde redevance. M. Patrick Mignola, rapporteur de la loi et membre de votre mission, a affirmé «  qu'il existe des acteurs vertueux dans ce secteur, les sociétés de veille qui paient d'ores et déjà une redevance au titre des droits d'auteur aux sociétés qui publient des articles de presse  ». Il ajoute : «  je vois difficilement comment l'on pourrait demander à son client de payer deux fois des droits pour exactement la même prestation  ». M. Franck Riester, alors ministre de la culture, a confirmé lors des débats parlementaires que dans le cadre des négociations sur le droit voisin, les éditeurs ne pourraient raisonnablement faire payer un droit voisin aux utilisateurs de leurs contenus qui paient déjà des droits d'auteur. Cependant, cette précision n'a pu être expressément intégrée dans la loi, au risque de la rendre trop lourde, selon les propos de M. Mignola.

Il est toutefois primordial que l'application de ce nouveau droit n'aboutisse pas à un détournement de sa finalité initiale. À la suite de l'annonce publique d'un rapprochement de la SEPM avec la SACEM, la FeVeM a approché la SEPM pour lui présenter le bien-fondé de notre opposition. Le SEPM a acté que nous sommes des acteurs vertueux, que la loi avait pour objectif de faire payer des sociétés comme les GAFA, et qu'il existait dans le secteur de la veille numérique des acteurs dans l'illégalité qui devaient payer.

Nous sommes très inquiets de la tournure des événements, surtout depuis les propos de M. Cavada. Le CFC gère les licences et les systèmes de redevances sur notre marché. Il suffirait que ces licences et redevances couvrent le droit voisin sans droit supplémentaire. Nous avons signé une licence après plusieurs mois de négociations avec les auditeurs audiovisuels comme France TV et TF1 auprès du CFC pour exploiter ces contenus. Dans cette licence, le droit voisin est clairement exprimé comme payé dans l'ensemble avec le droit d'auteur. Or, pour des raisons politiques et d'inimitié entre les éditeurs, le CFC ne sera pas le seul organisme à intervenir sur notre marché au nom et pour le compte des éditeurs. Certains éditeurs entendent le gérer eux-mêmes, d'autres préfèrent faire appel à un autre organisme de gestion collective en cours de création sous l'égide de M. Cavada.

Sur notre marché, le droit d'auteur et le droit voisin sont interdépendants. La FeVeM craint que l'application du droit voisin aboutisse à un système contreproductif et trop complexe pour notre marché pourtant déjà régulé et qui paie trois fois plus que la moyenne européenne sur des marchés équivalents.

Nous nous inquiétons du fait que certains éditeurs ou le nouvel organisme en cours de création ainsi que la SACEM tentent de solliciter une redevance supplémentaire aux membres de la FeVeM et plus généralement aux sociétés de veille média. Cette redevance supplémentaire est inimaginable pour nous et ne correspond pas au souhait initial des législateurs. Il nous semble indispensable que la mission d'information tienne compte du risque majeur que représente un écartèlement des droits des éditeurs pour un même marché et une même activité. Nous savons que le nouvel OGC, la SACEM et le CFC sont en discussion pour travailler conjointement. Cependant, les propositions faites lors de vos auditions sur ce point ne nous semblent pas encore assez avancées et précises pour savoir si le cas des entreprises de veille média avait bien été pris en compte, et si le risque d'un double paiement pour nos entreprises sera bien écarté dans le cadre de la future organisation tripartite envisagée.

Concernant l'instance arbitrale pour débloquer les litiges dans les négociations entre les éditeurs et utilisateurs, nous sommes favorables à une telle instance, mais nous pensons qu'il ne devrait pas s'agir d'un arbitre, d'une autorité administrative ou d'un médiateur. La compétence de trancher les litiges dans la négociation et la fixation des redevances de licence de droit d'auteur ou de droit voisin devrait appartenir à une juridiction spécialisée, comme au Royaume-Uni ou en Australie. Cette instance devrait pouvoir traiter des situations de blocage comme celles que les éditeurs ont rencontrées avec les grandes plateformes, mais aussi des situations inverses où les éditeurs sont en position de force dans la négociation et en abusent. Il y a quelques années, des éditeurs nous ont imposé des prix prohibitifs et des conditions techniques d'accès impossibles à mettre en œuvre, car ils savaient que leurs contenus étaient indispensables à notre activité. Nous avions saisi le ministre de la culture pour réfléchir à la mise en place d'un régime juridique d'exception au droit d'auteur et au droit voisin. Ce régime serait compensé financièrement pour les titulaires de droit, notamment pour la presse étrangère, et permettrait aux sociétés de veille de suivre ensemble des médias en toute légalité en rémunérant les titulaires de droit.

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