Intervention de Bruno le Maire

Réunion du mercredi 9 septembre 2020 à 16h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Bruno le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance :

Merci, madame la présidente. Le plan de relance présenté avec le Premier ministre il y a quelques jours a un objectif stratégique, qui est d'accélérer la transition écologique de notre pays. Par ce plan d'une ampleur sans équivalent depuis plusieurs décennies, nous voulons apporter la preuve que nous pourrons conjuguer compétitivité et décarbonation de notre économie. C'est ma conviction profonde : l'un ne va pas sans l'autre. Ainsi, si nous voulons réussir la transition écologique, nous avons besoin de nouvelles technologies, d'innovation, d'investissements. Nous avons donc besoin d'améliorer la compétitivité.

Trois grandes options s'offrent à nous. Je qualifierais la première de déni, qui consisterait à dire que dans le fond, la transition écologique n'est pas une nécessité, le réchauffement climatique n'est pas grave et que nous pouvons donc continuer comme avant. Cette option a été clairement écartée. La deuxième est de dire que pour réussir la réduction des émissions de CO2 en France, il faudrait croître moins et aller vers la décroissance. Je suis convaincu que le coût social de cette option serait absolument vertigineux pour la France comme pour tous les pays qui s'y engageraient. Cela signifie en effet moins de recherche, des médicaments moins performants, une protection sociale moins efficace, des conditions de vie moins acceptables pour nos concitoyens. Nous avons donc également écarté l'option de la décroissance. Enfin, la troisième option, que nous défendons, consiste à investir dans les technologies qui permettent d'accélérer la transition écologique. Nous pensons que la France peut montrer la voie d'une transition écologique réussie, c'est-à-dire une transition qui concilie réduction des émissions de CO2, protection de la biodiversité et création d'emplois. Il s'agit évidemment d'une option exigeante, plus difficile que les autres, car elle suppose d'investir, de former, de créer de nouveaux métiers et d'ouvrir de nouvelles qualifications. Elle est donc plus exigeante, mais elle est à notre sens la seule option responsable pour la France.

Nous croyons dans une transition écologique qui sera réussie grâce aux technologies, y compris des technologies aujourd'hui critiquées et attaquées. Je constate ainsi que certains attaquent, par exemple, le déploiement de la 5G au motif qu'elle ne servirait qu'à jouer aux jeux vidéo et à visionner des contenus en HD. Je rappelle que sans la 5G, il n'y aura pas d'amélioration des procédés industriels, de relocalisations industrielles, de véhicules autonomes, de possibilité de traiter à distance et de réaliser des opérations chirurgicales à distance par imagerie. Cette 5G est donc indispensable à l'amélioration de nos conditions de vie, et elle devra être déployée selon le calendrier que nous avons défini, tout en répondant aux inquiétudes par le biais d'études autonomes et indépendantes que nous avons demandées de longue date.

Ces innovations sont indispensables pour réussir la transition écologique. C'est dans ce cadre, par exemple, que le plan de relance comprend un investissement massif et inédit dans l'hydrogène. Nous avons annoncé hier avec Mme Barbara Pompili une stratégie pour développer en France les capacités de production d'un hydrogène décarboné. Je rappellerai ici les raisons qui ont motivé ce choix. Nous pourrions considérer que dans le fond, l'hydrogène est une technologie insuffisamment mature et trop coûteuse, qu'il faut attendre. C'est l'option que nous avons retenue pour d'autres ruptures technologiques il y a quelques années, et dont la France comme l'Union européenne paient le prix fort aujourd'hui. C'est ce qu'il s'est passé sur les lanceurs renouvelables, secteur où nous avons été dépassés, mais également sur le numérique et le digital – nous sommes aujourd'hui à la fois dépassés et confrontés à des géants du digital qui sont probablement le plus grand défi économique que nous ayons à affronter pour les vingt-cinq prochaines années. Ne refaisons pas la même erreur sur l'hydrogène et ayons le courage, Français comme Européens, de faire le pari de technologies de rupture qui ne sont pas sûres aujourd'hui, mais qui garantiront notre souveraineté demain.

Notre deuxième choix, qui est difficile et que je veux vous expliquer aujourd'hui, est d'avoir voulu investir dans la production beaucoup plus que dans la consommation. Il aurait été plus simple d'annoncer que nous allions investir 7 milliards d'euros dans l'achat d'hydrogène pour l'industrie ou pour les transports de masse. Mais dans le fond, nous n'aurions fait que subventionner l'usage de l'hydrogène. C'est ce que nous avons fait pour le photovoltaïque : nous avons financé l'électricité produite par des panneaux photovoltaïques, mais pas la production de ces mêmes panneaux. Nous avons ainsi dépensé des milliards d'euros pour financer l'industrie du panneau photovoltaïque en Chine. Cela a été une erreur politique majeure et une faute économique consistant à utiliser l'argent des Français pour financer l'industrie chinoise. Nous ne referons pas la même erreur ; nous préférons investir dans la production d'hydrogène et assumer que cela prendra plus de temps. Il est vrai que nous pourrions dépenser de l'argent tout de suite pour acheter de l'hydrogène « vert » et qu'il prend plus de temps d'avoir nos propres systèmes d'électrolyse, nos propres réservoirs à hydrogène, nos propres piles à combustible, nos propres systèmes de résistance. Mais demain, grâce à ce choix stratégique, nous serons indépendants sur la production d'hydrogène « vert » en France. Cela prend plus de temps, mais ce choix est davantage respectueux de nos intérêts économiques et stratégiques.

Nous portons aussi dans le plan de relance la vision d'une transition écologique qui doit nous permettre de réduire immédiatement nos émissions. Dans le bâtiment, qui est à l'origine d'un quart des émissions de CO2, un plan massif de rénovation thermique de près de sept milliards d'euros sera engagé pour rénover des bâtiments publics et privés. Dans les transports, nous lancerons des grands plans pour développer le vélo, les transports en commun et le transport ferroviaire. Nous nous appuierons sur des projets déjà existants, sans faire preuve d'esprit partisan. J'ai eu l'occasion de rencontrer la maire de Lille, Mme Martine Aubry, la maire de Paris, Mme Anne Hidalgo ; nous sommes tout à fait disposés à appuyer les projets qui sont déjà existants et prêts à être développés et accélérés. Dans l'industrie, nous nous attaquerons à la décarbonation des sites industriels, qui représentent 20 % des émissions de gaz à effet de serre. Nous allons accompagner les sites industriels les plus émetteurs pour qu'ils passent de chaudières à énergies fossiles à des chaudières à biomasse. Les premiers appels à projets ont été lancés fin août, ce qui permettra de réduire les émissions de CO2 des sites industriels les plus polluants. Enfin, dans l'agriculture, nous investirons massivement pour accélérer la transition écologique et développer l'agriculture biologique et les circuits courts. Au total, notre ambition est de réduire, grâce à ce plan de relance, les émissions de CO2 en France d'environ 57 millions de tonnes sur la durée de vie des projets.

Au-delà de la réduction des émissions, nous souhaitons également réduire notre empreinte carbone, c'est-à-dire relocaliser en France des industries critiques qui sont situées aujourd'hui dans des pays fortement émetteurs de CO2. Le modèle ancien qui consistait à réduire son empreinte carbone en France, mais à réimporter des produits de l'étranger fortement émetteur de CO2 n'est évidemment pas le bon modèle. Nous croyons à un modèle où l'on relocalise l'industrie en France, où on la décarbone dans le même temps et où l'on met en place une taxe carbone aux frontières ou un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières au niveau européen, permettant de taxer les produits de l'étranger qui comportent davantage de CO2. Produire au plus près des consommateurs, avec moins de transports, en relocalisant nos activités industrielles : voilà le modèle que nous défendons.

Nous avons également décidé, dans ce plan de relance, d'investir pour nous adapter au réchauffement climatique. Cela ne veut pas dire que nous nous résignons à ce réchauffement, mais que nous voulons l'accompagner en investissant dans tous les aspects de la transition écologique : la formation des professionnels, la préservation de la biodiversité, la gestion des ressources, la lutte contre la pollution sont quatre exemples d'investissements d'adaptation. 200 millions d'euros vont ainsi être investis pour reboiser certaines forêts françaises et créer des puits de carbone. En tant qu'ancien ministre de l'agriculture, je crois profondément à cet avenir de la filière forêt. 250 millions d'euros seront consacrés au maintien des écosystèmes terrestres, littoraux, maritimes et aquatiques, avec notamment des actions de restauration des aires protégées et de protection du littoral. Enfin, 250 millions d'euros vont permettre de renouveler des agroéquipements et de réduire l'usage de produits phytosanitaires, et donc la pollution.

Les grands éléments que je viens de présenter constituent les 30 milliards d'euros d'investissement spécifiquement dédiés à l'accélération de la transition écologique, mais je tiens à préciser que l'ensemble de notre politique économique doit désormais être guidé par cette ambition. Nous aurons l'occasion de définir ensemble la nouvelle politique de garanties publiques à l'exportation afin de la rendre plus respectueuse de l'environnement. Nous travaillons déjà ensemble sur ce sujet, et nous le préciserons dans le cadre du projet de loi de finances. Les entreprises publiques doivent elles aussi s'engager en matière de transition écologique. Il n'y a pas que les 30 milliards d'euros du plan de relance qui marquent une inflexion forte en faveur de l'accélération de la transition écologique : c'est toute notre politique économique qui doit maintenant être orientée vers l'accélération de cette décarbonation.

Madame la présidente, vous m'avez posé la question des conditionnalités ou des contreparties. J'ai déjà eu l'occasion de le dire : je ne suis pas favorable aux premières, mais je suis favorable aux secondes. En effet, conditionner des aides implique de les accorder si les conditions sont remplies et de ne pas les accorder si elles ne le sont pas. Or, le temps de le vérifier, la crise sera passée et le plan de relance sera inefficace. Il faut aller tout de suite vers l'exécution du plan de relance pour obtenir des résultats en matière de croissance et en matière d'emploi. En revanche, il me paraît tout à fait légitime que nous demandions des contreparties aux entreprises qui vont bénéficier directement du soutien de l'État. J'observe d'ailleurs que nous avons commencé à le faire. Prenez l'exemple d'Air France : nous apportons 7 milliards d'euros de soutien financier à cette entreprise, nous avons demandé des contreparties environnementales concrètes, comme la fermeture des lignes aériennes quand il existe une alternative de transport ferroviaire à moins de deux heures trente. Nous avons demandé également l'amélioration de la performance énergétique des avions et l'utilisation de davantage de biocarburants.

Je pense que nous pouvons réfléchir à d'autres types de contreparties ; je pense ici notamment au partage de la valeur. Si l'État apporte son soutien à des entreprises, et que des entreprises s'en sortent grâce à ce soutien, il me semble légitime de leur demander, lorsqu'elles auront retrouvé de la valeur et renoué avec les bénéfices, que les salariés en soient les premiers bénéficiaires. Dans l'équilibre des valeurs entre l'actionnaire et le salarié, il me semble que ce dernier doit voir ses efforts mieux récompensés grâce à des accords d'intéressement et de participation.

Je voudrais insister sur un dernier point, car je souhaite être totalement transparent quant à nos choix et à la politique que nous menons en matière d'accélération de la transition écologique. Il ne vous aura pas échappé que nous avons prévu de consacrer 470 millions d'euros du plan de relance à la filière nucléaire. Nous pensons que cette filière est indispensable pour réussir la transition écologique, pour fournir l'électricité décarbonée qui va servir à faire fonctionner les électrolyseurs grâce auxquels on séparera l'hydrogène de l'oxygène, et grâce à laquelle nous pourrons produire de l'hydrogène « vert ». C'est une conviction profonde chez nous – conviction également affirmée, je le rappelle, par le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Il y a évidemment un débat très légitime sur la gestion des déchets nucléaires et il est important que les travaux en la matière se poursuivent. Mais à mon sens, le nucléaire est une des conditions de notre victoire contre les émissions de CO2. C'est pour cette raison que nous avons choisi, avec le Président de la République, d'investir un demi-milliard d'euros du plan de relance dans le nucléaire pour préserver les compétences, soutenir les petites et moyennes entreprises (PME) sous-traitantes touchées par la crise et investir en matière de recherche sur des réacteurs de petite et de moyenne puissance, qui peuvent représenter un complément utile à l'offre française.

Voilà les quelques éléments que je voulais vous présenter aujourd'hui. Je suis particulièrement heureux de participer à cette audition, car je crois profondément que cette ambition d'accélération de la transition écologique est de nature à rassembler les Français, à rassembler notre nation et à lui redonner pour les décennies à venir la place qui doit être la sienne sur la scène économique internationale.

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