Intervention de Bruno le Maire

Réunion du mercredi 9 septembre 2020 à 16h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Bruno le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance :

Monsieur Jacques Krabal, je vous rejoins quant à la francophonie et l'usage du terme « France relance ». Je préfère effectivement cela au volapük anglo-saxon qui se répand parfois, y compris dans nos administrations. S'agissant de la commande publique, nous sommes favorables à une évolution du code de la commande publique qui nous permette de renforcer la clause d'achat local. Nous sommes en négociation avec la Commission européenne à ce sujet, mais je suis évidemment très favorable à ce que nous renforcions cette clause, conformément à notre objectif de relocalisation industrielle et de production de proximité.

S'agissant de la relocalisation industrielle, je rappelle que parmi toutes les mesures du plan de relance, nous prévoyons un milliard d'euros d'appels à projets pour toute entreprise industrielle qui voudrait relocaliser son activité en France. J'ai déjà visité, y compris avec le Président de la République il y a quelques jours, des entreprises qui veulent créer de nouvelles lignes de production, mais qui ne peuvent pas le faire parce que leur chiffre d'affaires est faible en ce moment, et qui vont pouvoir bénéficier de subventions directes dans le cadre de cet appel à projets. J'étais dans le Nord il y a quelques jours, et j'y ai visité cette magnifique entreprise spécialiste de levures, Lesaffre, qui est une très vieille entreprise française et un magnifique succès industriel. Lesaffre veut se développer dans un certain nombre de produits, notamment liés à la santé, et va investir deux fois 250 millions d'euros – ce sont des sommes considérables. Elle va créer 400 emplois dans le Nord, mais elle a besoin d'un soutien public. Elle recevra ce soutien public direct au titre du milliard d'euros du plan de relance.

Monsieur Jean-Marie Sermier, vous posez une question importante sur une opération en cours concernant deux grands groupes industriels français, Veolia et Suez. Vous me permettrez d'abord de rappeler le sens de cette opération : ENGIE doit recentrer ses activités autour des énergies renouvelables et des réseaux. En tant qu'actionnaire d'ENGIE, l'État est favorable à cette stratégie de recentrage, comme nous l'avons dit à son président, M. Jean-Pierre Clamadieu. ENGIE a une participation dans l'entreprise Suez, et cette participation ne se justifie plus dans le cadre de ce recentrage d'activités. ENGIE souhaite donc la céder. J'ai déjà fixé un certain nombre de conditions à cette cession, et je veux les rappeler, car nous les ferons respecter comme nous l'avons fait dans d'autres opérations passées. L'emploi est la première de ces conditions ; il ne peut pas y avoir d'opération industrielle si celle-ci ne protège pas l'emploi en France. La deuxième est que l'actif d'ENGIE dans Suez soit cédé à des actionnaires majoritairement français. Nous ne renonçons pas à la participation d'ENGIE dans Suez pour qu'elle bascule dans des mains étrangères ; nous souhaitons qu'elle reste majoritairement française. Enfin, il s'agit du patrimoine des Français puisque cette participation de l'État dans ENGIE, et d'ENGIE dans Suez, c'est l'argent des Français. Je suis responsable de la valorisation patrimoniale de cette participation, qui doit donc être satisfaisante pour l'État, c'est-à-dire pour les Français. Voilà les conditions que j'ai fixées pour toute offre de reprise de la participation d'ENGIE dans Suez. Une offre a été formellement déposée par Veolia. D'autres peuvent également l'être, et nous les examinerons avec le même souci d'équité.

Au-delà de ces principes essentiels, car la vie des affaires doit aussi respecter certains principes, il faut que nos industriels évitent les conflits inutiles. Je considère que dans la crise actuelle, nous devons rassembler nos forces, pas nous diviser, et encore moins nous combattre entre industriels. Je recevrai les dirigeants de Suez prochainement pour qu'ils me fassent valoir leur vision des choses. Nous souhaitons un projet industriel qui soit soutenu par l'ensemble des parties, par les actionnaires, les salariés, les collectivités locales, tout simplement parce que cela garantit le succès de cette opération. Il n'y aura pas de succès dans le conflit ; une opération industrielle de cette ampleur n'aura de succès que dans la compréhension des intérêts réciproques et dans la construction d'une solution satisfaisante pour tous.

La céramique est effectivement une activité critique, maintenant utilisée industriellement dans beaucoup d'autres applications que celles que nous en avions à l'origine – l'aéronautique, la santé, les prothèses dentaires... Sur tous ces sujets, nous sommes très attentifs à préserver notre souveraineté et notre production. Je regarderai dans cet état d'esprit le dossier que vous m'avez signalé.

Monsieur Bruno Millienne, j'en viens à la rénovation énergétique des bâtiments, et plus globalement sur cette rénovation et ses ambitions. Nous mettons 4 milliards d'euros pour cette rénovation ; c'est beaucoup d'argent, qui doit permettre d'accélérer la réduction des émissions de CO2 par les bâtiments publics et privés. Cette politique comprend un soutien massif aux populations les plus fragiles ; nous allons ainsi dédier 500 millions d'euros à la rénovation globale des logements sociaux. Je rappelle également que MaPrimeRénov' peut aller jusqu'à 20 000 euros, et qu'on peut ensuite demander des prêts particulièrement attractifs aux banques si l'on a besoin d'un complément. Je considère donc que nous avons, avec ce dispositif de rénovation énergétique des bâtiments, un dispositif complet qui touche toutes les catégories de population et qui doit nous permettre d'accélérer la réduction des émissions de CO2 par les bâtiments.

Monsieur Philippe Naillet, vous m'avez posé une question tout à fait essentielle sur l'Outre-mer. Je considère qu'il ne faut pas regarder uniquement les enveloppes spécifiques fléchées pour l'Outre-mer, car celui-ci peut bénéficier de l'intégralité des mesures qui se trouvent dans le plan de relance. Faut-il des adaptations spécifiques aux particularités de l'Outre-mer, que ce soit l'agriculture, que je connais bien, les infrastructures, la réalisation d'infrastructures nouvelles ? Ma réponse est « oui », car si nous voulons être efficaces, nous avons besoin d'adapter la mise en œuvre à certaines particularités des Outre-mer. J'aurai l'occasion de me déplacer prochainement avec M. Sébastien Lecornu dans un des départements d'outre-mer pour regarder comment nous garantissons la bonne application du plan en Outre-mer. C'est pour moi un enjeu absolument capital, et je le dis à tous mes amis ultramarins : nous veillerons à ce qu'ils soient les bénéficiaires de ce plan de relance et qu'ils puissent en voir les résultats concrets le plus vite possible.

Monsieur François-Michel Lambert, nous sommes extrêmement favorables au transport ferroviaire. Nous avons prévu dans le plan de relance près de cinq milliards d'euros pour la SNCF. Comme l'a dit le patron de la SNCF lui-même, M. Jean-Pierre Farandou, c'est une somme considérable qui doit nous permettre à la fois d'éponger les pertes de la SNCF liées à la crise de la Covid et d'investir massivement dans le fret ferroviaire, comme vous l'appelez de vos vœux – je partage totalement vos vues à ce sujet. Elle permettra également de rouvrir au moins une ligne de train de nuit, le Paris-Nice, puis nous verrons en fonction des résultats et de la soutenabilité de ces dispositifs si d'autres lignes peuvent être rouvertes, ainsi que des petites lignes, dont le nombre sera déterminé avec le Premier ministre d'ici quelques jours.

Monsieur Stéphane Demilly, je partage totalement vos propos sur l'aéronautique, qui fait pour moi partie des secteurs qui font l'objet des préoccupations les plus vives, pour une raison simple : c'est l'un des secteurs pour lesquels nous ne sommes pas capables de définir le moment où l'activité reprendra. Est-ce que ce sera dans trois mois, dans six mois, dans un an ? C'est tellement dépendant de la crise sanitaire et du retour de la confiance, de la reprise des échanges commerciaux entre les États-Unis, la Chine et l'Europe, que nous sommes dans la plus grande incertitude. Nous avons donc prévu, pour accompagner ce secteur stratégique pour la France, tout un dispositif extraordinairement puissant. D'abord, un dispositif de maintien des compétences avec l'activité partielle de longue durée (APLD), qui va être ciblée en particulier sur l'aéronautique. Nous avons voulu augmenter fortement les moyens pour l'APLD pour l'aéronautique dans le cadre du plan de relance, pour la formation et les reconversions.

Nous avons également mis en place un fonds de 630 millions d'euros pour soutenir les PME et les aider à se consolider quand c'est nécessaire, car c'est un secteur qui ne s'est pas consolidé depuis de nombreuses années. Nous avons demandé, sur les délocalisations, des engagements par les grands donneurs d'ordres, notamment avec la charte du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS), signée dans le cadre du plan aéronautique de juin pour ne pas engager de mouvements de délocalisation. Nous veillerons à ce que cette charte signée par l'ensemble des acteurs aéronautiques français soit rigoureusement respectée. Je crois foncièrement à l'intérêt de travailler sur la base d'un système de volontariat, de contreparties, de chartes, mais cela ne peut marcher que si c'est vérifié et respecté. Et si jamais cela ne devait pas être respecté, nous en tirerions les conséquences. Je ferai ainsi preuve de la plus grande vigilance sur ces questions de délocalisation, et je réunirai la filière prochainement pour faire le point sur l'application du plan aéronautique, sur le respect des engagements et sur les mesures complémentaires qui pourraient être nécessaires.

Monsieur Loïc Prud'homme, pardonnez-moi de vous le dire avec franchise, je ne porte aucun pin's d'aucune formation syndicale ou professionnelle que ce soit, et je pense que ce que vous dites est tout simplement faux. Or, on ne fait pas de la bonne politique, on n'a pas de bons échanges dans une commission comme celle-ci si l'on part sur des bases fausses.

Quand vous dites que ce plan est fait pour les très grandes entreprises et qu'il oublie les petites, c'est tout simplement faux, c'est un mensonge. Le plan de relance bénéficiera largement aux PME et aux TPE. Vous prenez les impôts de production et vous affirmez que cette baisse ne bénéficie qu'à 268 entreprises ; c'est faux. Pardon, mais une TPE ou une PME paye aussi des impôts de production. N'importe quel député ici, dans sa circonscription, sait parfaitement qu'une entreprise de quinze ou vingt salariés qui fait du bâtiment, des travaux publics, de la restauration à domicile paie ses impôts de production comme Total ou comme n'importe quelle autre entreprise française. Les impôts de production, hélas, touchent toutes les entreprises. Et si l'on veut un chiffre précis, un tiers de la baisse de ces impôts bénéficiera aux TPE et PME ; sur 20 milliards d'euros, 6,4 milliards d'euros iront à ces petites entreprises. Je ne laisserai donc pas dire que la baisse des impôts de production est faite pour les grandes entreprises. J'ai déjà eu l'occasion de le dire : elle est faite pour l'industrie, pour les ouvriers et pour un tiers pour les TPE et PME.

Vous pouvez ajouter à ces 6,4 milliards d'euros tout ce dont les PME et TPE bénéficieront au titre du renforcement des bilans des entreprises. Nous avons prévu 3 milliards d'euros pour les fonds propres des entreprises. La moitié, soit 1,5 milliard d'euros, ira aux TPE et PME. Nous avons donc bien fait attention à ce qu'elles soient servies dans ce plan de relance.

Ensuite, je prendrai un troisième exemple : qui réalisera la rénovation des bâtiments publics ? Qui engagera les travaux pour la rénovation énergétique des bâtiments ? Aujourd'hui, la rénovation thermique des bâtiments publics concerne à 84 % des TPE et PME. Et tous les élus ici présents savent parfaitement que la rénovation énergétique d'une école, d'un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), d'une université bénéficie à des petites entreprises, à des PME locales. À 84 %, ce sont elles qui bénéficieront de ces travaux de rénovation énergétique, donc sur les 4 milliards d'euros, 3,4 milliards d'euros pourraient revenir aux TPE et PME. Au total, en soutien direct et indirect via des politiques de rénovation énergétique, nous estimons que sur les 100 milliards d'euros du plan de relance, 40 milliards d'euros pourraient bénéficier directement ou indirectement aux PME et TPE. Cela me permet de vous dire, monsieur Loïc Prud'homme, que vos arguments sont faux et que nous avons fait attention dans l'élaboration de ce plan de relance à ce qu'il bénéficie aussi aux petites et aux moyennes entreprises.

Madame Yolaine de Courson, madame Laure de La Raudière, vous avez posé des questions proches, à la fois sur la sélectivité des entreprises et sur la filière hydrogène. Sur la sélectivité des entreprises qui pourront bénéficier des prêts participatifs, je rappelle que nous avons fait ce choix pour éviter que l'État devienne garant d'entreprises qui seraient toutes au bord de la faillite, ce qui exposerait terriblement le contribuable français. Il y aura donc une sélectivité dans la manière dont ces prêts seront accordés. Les banques auront elles aussi une participation dans ces prêts afin qu'elles soient exposées à ce risque, sans quoi il serait porté intégralement par l'État. Cela nous permettra de fournir aux PME les fonds propres dont elles ont besoin.

Quant à la structuration de la filière hydrogène sur le territoire, il y a déjà un certain nombre de sites industriels directement concernés qui font de l'hydrolyse, qui produisent des réservoirs avec Faurecia, des piles à combustible avec McPhy. Vous avez des centres de recherche comme Belfort. Nous avons réalisé une cartographie précise de ces sites qui doit permettre à tout le territoire français de bénéficier de la montée en puissance de l'hydrogène.

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