Intervention de Vincent Descoeur

Réunion du mercredi 21 octobre 2020 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVincent Descoeur, rapporteur pour avis :

Il me revient en tant que rapporteur pour avis d'effectuer une présentation synthétique des crédits consacrés à la recherche dans les domaines du développement durable, de la gestion des milieux et des ressources, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021 (PLF 2021).

Il est inutile de rappeler devant cette commission que la recherche n'est pas un domaine comme les autres. Certains peuvent être tentés de la renvoyer au long terme, mais la crise sanitaire que nous vivons illustre combien les efforts de recherche que nous effectuons aujourd'hui conditionnent notre capacité à répondre aux crises de demain.

Les rapporteurs pour avis se succéderont et invoqueront, en particulier devant cette commission, la prise de conscience que doit constituer l'actuelle pandémie. Ils auront raison. Cette prise de conscience est d'autant plus urgente s'agissant de la recherche, dont les effets se feront sentir sur un temps long et dont les résultats peuvent contribuer à éviter ou à atténuer de futures crises.

Dans le cadre de ce travail, j'ai voulu, en sus de l'analyse budgétaire, m'intéresser tout particulièrement à deux sujets : d'une part, la recherche dans la prévention des zoonoses, et plus particulièrement de la maladie de Lyme ; d'autre part, l'amélioration des performances environnementales de l'aéronautique civile, avec notamment pour objectif le développement de ce que l'on appelle couramment « l'avion vert ».

Globalement, l'analyse est pour le moins mitigée. Je souhaite vous faire part de satisfactions, mais aussi – je le regrette – de nombreuses réserves. Je reviendrai d'abord sur les crédits accordés aux trois programmes de la mission « Recherche et enseignement supérieur » que couvre cet avis.

Le programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » est le programme pilote de la recherche française. Il est largement revalorisé dans le cadre du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche, ce qui mérite d'être salué. Une grande partie de ces nouveaux moyens sert le projet de montée en puissance de l'Agence nationale de la recherche (ANR), ce qui est une très bonne nouvelle mais introduit un enjeu de fléchage des crédits afin de s'assurer qu'une part conséquente de ceux-ci soit consacrée aux enjeux de développement durable.

Une analyse plus poussée du reste du programme permet toutefois de constater que la hausse des crédits bénéficie essentiellement au renforcement de capacités de financement des infrastructures de recherche et se traduit par une augmentation des dotations aux organismes de recherche – augmentation qui est principalement destinée à couvrir le coût des mesures salariales prévues par le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche.

C'est ainsi, pour ce qui nous intéresse, que les progressions de crédits des actions 17 « Recherches scientifiques et technologiques dans le domaine de l'énergie » et 18 « Recherches scientifiques et technologiques dans le domaine de l'environnement » correspondent principalement aux variations que je viens d'évoquer. Il est donc difficile d'affirmer que ces augmentations de moyens se traduiront par une recherche scientifique plus dynamique dans les domaines de l'environnement et de l'énergie.

Bien plus critiquable est l'évolution prévue pour le programme 190 « Recherche dans les domaines de l'énergie, du développement et de la mobilité durables » – programme qui est, plus que les autres, au cœur des travaux de notre commission. Si le programme peut paraître revalorisé à première vue, cette progression est malheureusement en trompe-l'œil. Elle est en effet le résultat de l'ouverture de 270 millions d'euros d'autorisations d'engagement pour financer la recherche dans le domaine de l'aéronautique civile. Cette dotation en autorisations d'engagement, mobilisable sur deux ans, ne fait en réalité aucune différence avec la dotation habituelle de 135 millions d'euros annuels. Par ailleurs, cette dotation relève en réalité du plan de relance. Si l'on compare les crédits demandés dans le cadre du PLF 2021 à ceux ouverts en 2020, par la loi de finances initiale et par la loi de finances rectificative 3, nous constatons que ceux-ci évoluent à la baisse, tant en autorisations d'engagement qu'en crédits de paiement.

Il se pose par ailleurs la question de la lisibilité, ou plutôt de la difficulté de lecture des crédits cette année, en raison de la mission spécifique « Plan de relance ». Cette mission porte des crédits tendanciels, habituels – ce qui est absolument incompréhensible, voire insincère. À l'inverse, des crédits présentés comme des crédits de relance sont portés par d'autres programmes.

Si l'on fait abstraction de ces difficultés, je tiens toutefois à alerter notre commission sur le fait que ce programme 190 pourrait devenir une variable d'ajustement de la hausse consentie pour les autres programmes.

Enfin, le programme 193, « Recherche spatiale », sur lequel je me suis moins arrêté, voit ses crédits diminuer, mais pour une bonne raison, puisque conformément à ses engagements, la France aura soldé sa dette de financement de l'Agence spatiale européenne à la fin de l'année 2020, ce qui permet de diminuer les crédits de ce programme tout en revalorisant le financement du Centre national d'études spatiales (CNES).

Je souhaite évoquer rapidement la situation des opérateurs de recherche confrontés à la crise du coronavirus. D'une manière générale, la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI) estime que la perte nette pour ces opérateurs s'élèvera à 94 millions d'euros pour la période 2020-2022, avec un très fort impact attendu en 2021. Il pourrait s'agir d'une « bombe à retardement ». En effet, cet impact pourrait venir annuler les améliorations portées par la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche si rien n'est fait en termes de gestion. Nous devrons y être attentifs.

Par ailleurs, comme vous avez pu le lire dans l'avis, j'insiste plus particulièrement sur la situation des établissements dont la part des ressources propres dans le budget global est importante, pour la bonne raison qu'ils sont touchés par la baisse d'activité de leurs partenaires privés. À ce titre, la situation de l'IFP Énergies nouvelles (IFPEN) est critique. Je vous proposerai, par amendement, d'accompagner cet établissement.

J'en viens aux deux sujets sur lesquels j'ai souhaité plus particulièrement m'arrêter. S'agissant de la recherche dans la prévention des zoonoses, il convient en premier lieu de saluer la très grande réactivité aussi bien des autorités que des organismes de recherche, dès le début de la crise du coronavirus. En effet, un fonds d'urgence de 50 millions d'euros, financé par un dégel partiel de la réserve de précaution du programme 172, a été débloqué pour mettre en place des actions de recherche en réponse à cette crise sanitaire.

Toutefois, au-delà de cet « effet flash », tous les acteurs auditionnés ont insisté sur l'insuffisance notoire du suivi spécifique des moyens consacrés aux travaux de recherche relatifs aux zoonoses. Ainsi, il est impossible d'évaluer le niveau d'effort de recherche de notre pays sur ce sujet primordial. Ce manque de suivi et de lisibilité traduit, plus largement, une absence de stratégie globale sur le sujet.

L'exemple de la maladie de Lyme est très symbolique de cette absence de moyens et de suivi. Presque tous les organismes de recherche sont capables de citer des travaux sur le sujet et témoignent d'un engagement que nous savons sincère, mais le caractère disparate et hétérogène des projets apparaît clairement, tout comme l'absence de ligne directrice et la faiblesse des financements. Pourtant, l'enjeu est d'importance et le lien avec le réchauffement climatique manifeste, le nombre de morsures de tiques ne cessant d'augmenter, tout comme le nombre de malades recensés.

Je défends donc une hausse des crédits dédiés à cette recherche et un renforcement du suivi et de la coordination. Je soumettrai tout à l'heure à la commission deux amendements qui proposent d'augmenter les crédits de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) : le premier vise à lui donner les moyens spécifiques de financer la recherche sur la maladie de Lyme ; le second à accompagner son projet d'agence chargée de coordonner l'ensemble de la recherche sur les maladies infectieuses émergentes – projet soutenu par le ministère, mais qui à ce stade n'est pas financé par le PLF.

En ce qui concerne la recherche pour le développement d'un « avion vert », je tiens à saluer la stratégie affichée par le Gouvernement, qui dote la recherche aéronautique de moyens nouveaux en annonçant l'octroi de 1,5 milliard d'euros sur trois ans, même si cet affichage intègre des crédits tendanciels et que le réel effort supplémentaire avoisine 1,1 milliard d'euros.

À mes yeux, cet effort budgétaire relève en grande partie d'un rattrapage au regard de l'écart constaté entre les enjeux auxquels la filière fait face depuis des années sur cette question et la faiblesse des financements qui lui étaient jusqu'alors consacrés.

Je tiens également à vous faire partager mes craintes concernant la durabilité de ce soutien à la recherche et, partant, la visibilité pour les industriels. En effet, le soutien à cette filière ne peut pas et ne doit pas s'arrêter au lendemain du plan de relance. Le respect du calendrier affiché pour disposer d'un avion à « zéro émission » à horizon 2030 en dépend. La question de l'après-plan de relance, donc de l'après-2022, est clairement posée par les industriels. Pour tenir ces objectifs, le Gouvernement doit donc donner des garanties de soutien à moyen terme.

Malgré les efforts que j'ai soulignés, ces crédits dévolus à la recherche dans le domaine du développement durable ne témoignent pas d'une ambition suffisante. La faiblesse du financement public de la recherche sur les zoonoses ainsi que l'absence de coordination et de suivi témoignent du fait que les leçons de la crise n'ont pas été tirées. Pour ces raisons, mais également pour appeler à une prise de conscience, j'émets un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».

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