Intervention de Jean‑Baptiste Djebbari

Réunion du mercredi 21 octobre 2020 à 14h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Jean‑Baptiste Djebbari, ministre délégué :

À propos de la souveraineté industrielle européenne au regard de la filière batteries, il est vrai que nous avons perdu la première bataille de la production de batteries au profit de la filière développée en Chine. Plusieurs aspects me semblent, toutefois, en cours d'amélioration et, en tout cas, subissent une très forte dynamique politique.

Premièrement, la filière batteries s'améliore. Les performances des batteries également, elles sont aujourd'hui moins consommatrices de métaux lourds. Des leaders français, comme Saft Batterie, développent de nouveaux concepts dits solid state, ou « tout solide », qui permettent d'entrevoir pour les usages actuels de l'industrie et, demain, pour les mobilités, une moindre dépendance géopolitique aux métaux rares.

Deuxièmement, la relocalisation de l'activité pour l'ensemble de la filière ‑ l'électrique, l'hybride rechargeable et, plus généralement, l'ensemble des domaines qui lient transports et énergie – est assez largement à l'œuvre. Un gros travail reste à faire sur la chaîne de valeur en vue de la captation, en France et dans l'Union européenne, de la plus grande partie de la valeur.

Troisièmement, en matière de recyclage des batteries, des expérimentations sont en cours en France et une filière de « rétrofitage » dans des véhicules utilitaires légers s'est structurée. On voit bien qu'il est possible d'améliorer encore la longévité et, donc, le bilan carbone des filières batteries par des usages secondaires pour des centaines de milliers de kilomètres. Ce n'est donc pas du tout accessoire.

Quant à savoir, quatrièmement, s'il faudra ou non importer de l'électricité, lors de l'événement « Objectif 100 000 bornes » que nous avons co-présidé avec Barbara Pompili au ministère ce 12 octobre, Enedis s'est engagé sur la production électrique à fournir pour répondre aux besoins des véhicules électriques, estimés sur la base des projections dont nous disposons, qui semblent réalistes, du nombre prévisionnel de ces véhicules. Les ventes de véhicules électriques ont quasiment doublé par rapport à l'année dernière, l'offre des constructeurs commence à être suffisamment fournie pour voir le marché émerger, nous solidifions également le marché de l'occasion, et nous sommes convaincus, puisque Enedis l'a réaffirmé, de pouvoir fournir l'énergie à l'ensemble des véhicules qui en auront besoin.

La philosophie qui préside à tout cela n'est pas de faire de l'électrique partout et pour tous les usages, mais bien d'agir dans une complémentarité des modes d'énergie en fonction de ce qu'il s'agit de propulser. Si je caricature un peu, l'électrique a plutôt vocation à propulser du léger, de l'urbain, éventuellement sur de la moyenne distance, puisque nous constatons aujourd'hui qu'avec une autonomie de 400 à 500 kilomètres pour les modèles les plus performants, le niveau d'autonomie est suffisant pour donner confiance et développer un marché. Mais nous avons également en France des filières d'excellence sur l'hybride rechargeable, localisées d'ailleurs dans les territoires du Nord. Puis, s'offrent aussi à nous des enjeux d'avenir, notamment grâce au saut technologique apporté par l'hydrogène.

Dans ce domaine, en effet, près de 1 000 millions de tonnes d'hydrogène sont fabriquées en France, dont 95 % issues du vapocraquage de produits fossiles de l'industrie. Si nous pensons – et nous le pensons – que, demain, l'hydrogène peut fournir une énergie satisfaisante pour la mobilité et d'autres usages, il faudra en produire massivement, probablement de façon décentralisée et décarbonée. Cela se fera soit au travers de la filière électrique actuelle, soit au travers de l'émergence de l'accompagnement de la filière des énergies renouvelables, les ENR, notamment éoliennes et photovoltaïques. Là encore, il faut essayer de discerner les usages.

Il faudra progresser sur la production décarbonée et savoir ce qu'il en est du stockage. Cela présente un intérêt tout à fait premier pour les usages de la mobilité. Nous avons des leaders en la matière – Air Liquide réalise des choses très impressionnantes en matière de stockage, notamment cryogénique. Nous avons des leaders sur les réseaux de transport et distribution. De surcroît, nous sommes dans un « momentum politique » intéressant, puisque nous disposons tout à la fois de très importants soutiens publics – 7 milliards d'euros sur dix ans –, d'un plan européen en miroir du plan français, d'un marché pertinent, celui de l'Union européenne, porté par une notion nouvelle de développement d'une souveraineté économique industrielle européenne pour contrer nos concurrents chinois et américains. Forts de ces éléments, il faudra également faire preuve de constance dans l'effort, en termes de soutien public, de recherche publique et de définition de bonnes normes, ainsi que d'une forme d'agnosticisme sur le plan technologique.

Nous avons parlé de l'avion à hydrogène. Je ne doute pas qu'il sera possible de faire voler des avions très sobres en carbone à l'horizon 2033-2035, un temps somme toute relativement court à l'échelle du développement industriel. Nous sommes instruits de l'expérience du spatial. L'industrie s'y est engagée, et les inventions vont arriver. Je suis convaincu que ce que nous verrons voler, rouler et naviguer en 2035 est partiellement connu ; nous nous donnons la capacité de relever et de réussir ces défis ô combien importants, y compris pour la dimension du progrès que, pour la plupart, nous défendons ici.

S'agissant de l'AFITF, nous avons eu un trou à combler, cette année, pour sécuriser sa trajectoire financière. Nous l'avons comblé avec 400 millions d'euros. Si la question est de savoir s'il est préférable de rebudgétiser l'AFITF, cela me semble poser un problème démocratique, dans la mesure où la loi d'orientation des mobilités, à l'issue de débats fournis, a sanctuarisé la trajectoire. S'il s'agit de savoir si la TICPE est une taxe d'avenir à trente ou quarante ans alors qu'elle était essentiellement assise sur les produits fossiles, le débat mérite sans doute d'être posé. Quoi qu'il en soit, j'ai du mal à comprendre une proposition de rebudgétisation de l'AFITF alors que nous disposons là d'un outil sous contrôle démocratique, dont il a été débattu à de nombreuses reprises et qui, aujourd'hui, est le soutien du développement et des infrastructures de toutes natures dans nos territoires.

Les taxes affectées de l'AFITF se distribuent pour environ 1,3 milliard d'euros au titre de la TICPE, quelque 230 millions de taxe solidarité de l'aérien, la fameuse « taxe Chirac », et un peu plus de 500 millions pour la taxe d'aménagement du territoire (TAT), tout cela ayant été maintenu et complété au fil des lois de finances rectificatives tout au long de l'année pour tenir compte des effets de la crise de la covid-19.

Quant à la contribution de solidarité territoriale (CST) et à la taxe sur les résultats des entreprises ferroviaires (TREF), ces taxes sont réaffectées au budget général mais un travail est en cours, en lien avec l'ensemble des opérateurs ferroviaires. Nous souhaitons aboutir dans le PLF pour 2022 et décider alors ce que nous faisons de ces taxes, héritage quelque peu baroque de ce qu'a été la fiscalité sur les acteurs du ferroviaire dans un monde en monopole.

Enfin, sur le fluvial, d'une manière générale, nous lions ces sujets avec notre politique maritime et notre stratégie portuaire. Sur le fluvial, je rappelle qu'en 2017, 70 millions d'euros seulement étaient alloués à la régénération et à la modernisation du réseau. Nous avons porté ce montant à 100 millions d'euros. C'est, je pense, un effort inédit sur l'ensemble des infrastructures. Il s'agit d'avoir des transports et des façons de faire voyager nos marchandises et nos passagers de façon plus fluide. L'effort de régénération est important parce que ce réseau, comme d'autres, a subi la vétusté et l'épreuve du temps.

Un mot de la distribution et de la ventilation des 11,5 milliards d'euros, et notamment sur la part du ferroviaire : 4,9 milliards seront consacrés au ferroviaire, 4,1 milliards au soutien à la SNCF, essentiellement pour régénérer le réseau et disposer à l'horizon 2030 d'un réseau de bonne tenue. Rappelons que la vétusté de celui-ci a été établie, en 2017, juste avant le pacte ferroviaire, à trente ans d'âge en moyenne, contre dix-sept ans en moyenne pour le réseau allemand. De plus, pour remédier au sous-investissement chronique subi par les lignes de desserte fine du territoire du fait du surinvestissement sur les lignes à grande vitesse, nous investissons sur les fameuses petites lignes, avec les régions, grâce à un plan de 6 milliards d'euros sur dix ans – 300 millions d'euros sur deux ans, pour la partie qui intéresse le plan de relance.

S'agissant des autres sujets relevant du ferroviaire, nous consacrons 200 millions d'euros au fret, dans des mesures de soutien aux opérateurs, une baisse des péages pour reposer les bases d'une compétitivité acceptable vis-à-vis de la route, et de nouveaux axes d'autoroute ferroviaire – je pense notamment à Calais-Sète et à Perpignan-Rungis que nous voulons étendre vers le Sud et remonter vers le Nord, notamment vers les ports d'Anvers et de Dunkerque, et la ligne reliant Cherbourg à Bayonne. Sachant qu'une autoroute ferroviaire représente 20 000 poids lourds de moins sur la route, chacun ici en comprend la pertinence.

Nous investirons 600 millions d'euros dans les trains de nuit, à la fois pour soutenir l'exploitation, mais également pour rénover le matériel roulant. Près de 50 millions d'euros seront consacrés aux pôles d'échanges multimodaux au cours des deux prochaines années, et 200 millions d'euros au tunnel ferroviaire Lyon-Turin, afin de satisfaire aux engagements européens que nous avons pris.

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