Il me revient, en tant que rapporteur pour avis, de réaliser une présentation synthétique des crédits du budget annexe « Contrôle et exploitation aériens ».
Ce projet de budget pour l'année 2021 s'inscrit dans un contexte totalement inédit. En effet, après des années de croissance soutenue, le secteur du transport aérien a été brutalement mis à l'arrêt au premier semestre 2020, du fait des mesures prises pour contenir l'épidémie de la covid-19. En France, le nombre de passagers transportés a reculé de près de 65 % en 2020 par rapport au niveau de 2019. En 2021, la baisse du trafic serait d'au moins 30 % par rapport à son niveau d'avant-crise. Le budget que nous examinons aujourd'hui est fortement affecté par cette crise sans précédent.
La chute brutale du trafic et la mise en place de mesures de soutien aux compagnies aériennes leur permettant de reporter le paiement de certaines taxes et redevances ont fait chuter les recettes du budget en 2020 : elles devraient être inférieures de 80 % à la prévision sous-jacente à la loi de finances initiale et rester très faibles en 2021.
La baisse sans précédent des recettes est compensée par un recours massif à l'emprunt pour permettre à la direction générale de l'aviation civile (DGAC) de faire face à ses dépenses. L'emprunt pourrait ainsi atteindre 2,3 milliards d'euros sur les exercices 2020 et 2021, portant l'encours de dette à un montant totalement inédit de 2,6 milliards d'euros fin 2021.
Dans ce contexte difficile, l'action de la DGAC est marquée par deux priorités : un effort accru de maîtrise des dépenses, notamment des dépenses courantes ; la préservation du programme d'investissement de navigation aérienne. Ces investissements doivent permettre de garantir un haut niveau de sécurité, de qualité de service rendu et de performances environnementales lors de la reprise du trafic aérien à l'horizon 2024. Il est en effet essentiel d'anticiper dès maintenant la reprise du trafic.
Je voudrais à présent aborder plusieurs enjeux qui caractérisent le transport aérien aujourd'hui.
En premier lieu, ce secteur traverse une crise sans précédent, pas uniquement financière. Les nombreuses personnes que j'ai auditionnées n'imaginent pas de retour à la situation de 2019 avant, au mieux, 2024. Cette crise concerne les grands aéroports comme les petits, les compagnies aériennes, les constructeurs aéronautiques et leurs sous-traitants. Le président du groupe Aéroports de Paris a ainsi indiqué que le nombre de passagers accueillis avait baissé de plus de 60 % au premier semestre 2020 par rapport à la même période en 2019. Les petits aéroports souffrent parfois encore plus que les grands : l'aéroport de Pierrefonds à La Réunion a connu un trafic nul depuis le mois de mars. Concernant les compagnies aériennes, après avoir perdu dix millions d'euros par jour en juillet et août, le directeur des affaires financières d'Air France nous a indiqué que la compagnie entrait dans une période d'« hibernation » pour l'hiver. Du côté des constructeurs, Airbus a précisé avoir reçu deux fois moins de commandes au deuxième trimestre 2020, par rapport à la même période en 2019.
En second lieu, toute mesure qui pénaliserait la compétitivité de nos aéroports ou de nos compagnies aériennes serait inopportune dans ce contexte inédit. La Convention citoyenne pour le climat propose des mesures fortes pour limiter les émissions de gaz à effet de serre du transport aérien. Je pense en particulier à la mise en place d'une écocontribution renforcée. Si les objectifs sont louables, une telle écocontribution risquerait d'être fatale au secteur du transport aérien. En effet, elle porterait la recette de la taxe de solidarité sur les billets d'avion (TSBA) à environ 4,2 milliards d'euros, sur la base du trafic de 2019 : le niveau de fiscalité spécifique du secteur serait ainsi multiplié par trois et celui de la TSBA serait multiplié par dix. Si elle était mise en place uniquement au niveau national, une telle mesure serait donc contre-productive. Certes, les ministres Mme Barbara Pompili et M. Jean-Baptiste Djebbari ont indiqué la semaine dernière, lors de leur audition par notre commission, que cette mesure n'était plus d'actualité tant que le secteur aérien ne serait pas sorti de la crise. Il convient toutefois de rester vigilant.
En troisième lieu, la transition énergétique du transport aérien n'en reste pas moins nécessaire, même si je rappelle que le secteur aérien ne représente que 3,7 % des émissions de dioxyde de carbone du secteur des transports et 1,4 % des émissions de la France en 2017. Ce secteur est plus que jamais soumis à une pression importante pour réduire son empreinte environnementale. Il faut y répondre. Je pense que les acteurs du secteur ont besoin de stabilité et de visibilité. La prise de conscience de leur responsabilité dans les émissions de gaz à effet de serre est récente mais elle est bien réelle. Les constructeurs, les compagnies aériennes et les aéroports, tous les acteurs s'efforcent de réduire leur empreinte carbone. Ils mobilisent à cette fin plusieurs leviers, en particulier l'optimisation des trajectoires de vol, le déploiement des carburants aéronautiques durables et le développement de la recherche en faveur de l'hydrogène vert. Il convient d'accélérer les efforts de recherche pour pouvoir augmenter rapidement la part des biocarburants dans le kérosène des avions et pour parvenir à des avions fonctionnant à l'hydrogène d'ici 2035. Les pouvoirs publics doivent donc accompagner et encourager les acteurs du transport aérien dans leurs démarches vertueuses en faveur d'une rupture technologique, tout en soutenant ce secteur très fragilisé par la crise.
En quatrième lieu, je souhaiterais évoquer une thématique largement développée dans mon rapport, à savoir le maillage aéroportuaire français. Ce maillage est le fruit de l'histoire d'un pays pionnier de l'aviation civile ; il est important, dense et varié. Surtout, il constitue une chance pour nos territoires. Il joue en effet un rôle majeur, à la fois en termes d'aménagement du territoire, de désenclavement des régions isolées et de soutien au tissu économique local.
Concernant tout d'abord le désenclavement, je rappelle que certains territoires particulièrement isolés ne disposent que du transport aérien pour les relier au reste du territoire ou au reste du monde. Il s'agit bien évidemment des îles, des collectivités ultramarines ou de la Corse mais également de certains territoires métropolitains très enclavés. Rodez ou Aurillac, par exemple, se situent à environ six heures de route et à plus de sept heures de train de la capitale. Cet isolement justifie l'existence de lignes d'aménagement du territoire.
Par ailleurs, les aéroports constituent un atout essentiel pour le développement économique et l'attractivité des territoires. L'impact économique d'un aéroport est ainsi estimé entre 1,4 et 2,5 % du PIB régional (hors tourisme). En effet, pour de nombreuses entreprises, le transport aérien apporte une connectivité que le réseau ferroviaire, essentiellement centré sur la capitale, ne peut apporter. L'entreprise pharmaceutique Fabre située à Castres, l'assureur Verlingue ou l'entreprise de prêt-à-porter Armor Lux à Quimper, la multinationale Bosch à Rodez… nombreuses sont les entreprises qui ont besoin de lignes aériennes pouvant relier leurs employés et leurs clients à Paris et au reste du monde.
Enfin, l'utilité d'un aéroport ne saurait se mesurer à l'aune de la seule rentabilité économique. Au plus fort de la crise, le transport aérien a montré qu'il jouait un rôle indispensable. Les rapatriements de Français au début du confinement, les évacuations sanitaires d'urgence ou encore l'acheminement de masques provenant de Chine ont été rendus possibles grâce à la mobilisation du secteur aérien. Demain, les liaisons aériennes joueront également un rôle central dans la livraison de vaccins en France.
En cinquième lieu, je souhaite mettre l'accent sur le rôle particulièrement central que joue le transport aérien pour nos territoires ultramarins. Le maillage aéroportuaire français contribue pleinement à la continuité territoriale et au lien entre l'outre-mer et l'hexagone. Or, certaines propositions pourraient, si elles étaient mises en œuvre, pénaliser ce lien entre la France et ses outre-mer. Je pense en particulier à une augmentation de la fiscalité du transport aérien, qui serait probablement fatale aux compagnies desservant l'outre-mer. D'une manière générale, la desserte aérienne entre la métropole et les territoires ultramarins était relativement compétitive avant la crise, grâce notamment à un nombre d'opérateurs élevé (jusqu'à cinq par liaison). Toutefois, les compagnies XL Airways et Level ont arrêté leurs activités respectivement fin 2019 et au printemps 2020. La compagnie Corsair, qui dessert notamment La Réunion et les Antilles, fait face à d'importantes difficultés financières et est mise en vente. Il convient donc, au regard des nombreuses incertitudes pesant sur le marché, de rester vigilant quant à l'évolution de la desserte de l'outre-mer dans les prochains mois.
Je souhaite également attirer votre attention sur l'interdiction des vols pouvant être remplacés par un trajet en train de moins de 2 heures 30, et en particulier sur la question des vols en correspondance, qui concerne l'outre-mer. Après des décennies d'investissements dans la haute vitesse ferroviaire, la desserte aérienne se réduit naturellement sur nombre de liaisons radiales comme Paris-Strasbourg ou Paris-Nantes. Il semblerait donc qu'il y ait une « maturité française » particulière pour envisager un certain niveau de substitution de l'avion par le train. Toutefois, la suppression de certains vols pourrait pénaliser directement la connectivité entre les régions de métropole et les territoires d'outre-mer, dans la mesure où les liaisons qui pourraient être supprimées concernent principalement l'aéroport de Paris-Orly qui dessert l'outre-mer. Là encore, il faudra être très vigilant dans la mise en œuvre de cette mesure, de manière à ne pas entraver la connectivité des territoires ultramarins.
Avec la crise, le secteur aérien est amené à se restructurer mais les liaisons indispensables et les aéroports doivent être préservés. Il faudra y veiller, sans perdre de vue que la France n'est pas uniquement continentale.