Intervention de Jean-Pierre Farandou

Réunion du mercredi 2 décembre 2020 à 11h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF :

Les questions sur la soutenabilité de notre modèle m'amènent à revenir sur les pertes et le plan de relance. Nous subissons des pertes d'activité qui touchent la substance du chiffre d'affaires. Les recettes sont décalées parce que la mobilité accuse une diminution pour des raisons tenant à la crise sanitaire et à des changements de comportement. Du fait de l'ambiance économique dégradée, il y a beaucoup moins d'activité. Au cours des mois de septembre et d'octobre derniers – assez révélateurs, car nous n'étions pas confinés –, le chiffre d'affaires du TGV a été divisé par deux. À côté de cela, il y a un ensemble de coûts qu'il n'est pas aisé de faire varier, à l'image de la masse salariale ou des rames de TGV. Les coûts variables représentent une faible proportion.

L'équation n'est pas simple à résoudre. La solution, comme toujours, réside dans le volume. La seule manière d'assurer la soutenabilité financière durable du ferroviaire est d'avoir un niveau élevé de fréquentation des voyageurs et un plus grand nombre de marchandises dans les wagons. Cela ne nous dispense pas d'assurer un pilotage un peu plus serré, de mener une gestion plus rigoureuse au cours de cette période. Nous partageons la conviction profonde que le train doit jouer un rôle important dans la mobilité de demain. On n'imagine pas une mobilité durable qui ne s'appuierait pas sur le ferroviaire. Les objectifs stratégiques existent : il faut parvenir à les concrétiser.

La perte est constituée, à ce jour, par un décalage de 5 milliards d'euros de chiffre d'affaires, qui devrait augmenter d'ici à la fin de l'année. La perte financière s'est élevée à 2,5 milliards d'euros au premier semestre ; on verra ce qu'il en sera au second semestre. La SNCF a cherché des financements sur les marchés financiers, ce qui se traduira par un accroissement de la dette de la société. La dette structurelle a été très fortement réduite par la reprise de 35 milliards d'euros par l'État, en deux temps : 25 milliards ont déjà été pris en charge, 10 milliards le seront en 2022. Fort heureusement, ce nouveau mouvement d'endettement ne nous fera pas revenir au niveau de 35 milliards d'euros.

L'aide de 4,7 milliards d'euros avait pour objet de permettre la poursuite de l'activité économique de l'entreprise et non son désendettement. Le soutien de l'État donne à la SNCF les moyens de continuer ses investissements. Il faut, en particulier, poursuivre dans la durée la régénération du réseau, en faveur de laquelle nous engageons un gros effort. Trop de retards se sont accumulés, pour la raison que l'on sait. Il faut évidemment saluer les quarante ans de développement du TGV, dont nous sommes tous fiers. Toutefois, au cours de cette période, la SNCF a beaucoup investi dans la construction des lignes à grande vitesse et l'argent a manqué pour la maintenance du réseau, qu'il soit structurant ou capillaire. La situation de départ est donc difficile.

Je veux rendre hommage au Gouvernement qui a pris le problème à bras-le-corps. Il a d'abord sécurisé une somme comprise entre 2,8 et 2,9 milliards d'euros par an pour assurer la maintenance du réseau structurant. Il faudra engager cet effort pendant plusieurs années. C'est l'objet du contrat de performance en cours de négociation entre l'État et SNCF Réseau, qui accordera à ce dernier, pendant dix ans, les moyens de poursuivre le travail de régénération. Le plan de relance est venu boucher le trou d'air subi du fait de la crise.

S'agissant des petites lignes, que vous avez tous évoquées, il me semble que pour la première fois, une clarification est opérée en matière de répartition des rôles et des financements. L'ambiguïté a longtemps régné ; l'État et les régions se renvoyaient un peu la balle. La SNCF, au milieu, était le mauvais élève qui n'en faisait pas assez. Il faut être très clair : la SNCF agit à proportion des moyens qu'on lui donne. Il n'y a pas de génération spontanée d'argent à la SNCF. Les financements viennent principalement de l'État et des régions. Au début de l'année, le ministre des transports a pris une initiative – que le plan de relance a sécurisée –visant à définir, région par région, un plan de modernisation des lignes de voyageurs et de marchandises. J'ai à l'esprit des exemples très concrets : dans les régions Grand Est, Centre-Val de Loire et Auvergne-Rhône-Alpes, l'exécutif régional et l'État ont signé un pacte ferroviaire qui précise les choses. Le plan de relance comprend une première enveloppe de 300 millions d'euros en vue de la recapitalisation et une seconde enveloppe du même montant au titre des crédits budgétaires. Ces 600 millions d'euros seront versés à SNCF Réseau, qui accompagnera ces opérations. Le montant de 600 millions d'euros ne représente donc pas la totalité de la somme engagée, mais la participation de SNCF Réseau aux programmes de rénovation des lignes de desserte fine du territoire. J'espère que cela sera à nouveau concrétisé dans le contrat de performance entre l'État et SNCF Réseau et dans les contrats de performance liant l'État aux régions.

Dès cette année, nous avons réalisé 1,8 milliard d'euros d'économies. C'est un effort substantiel, que nous allons poursuivre. L'année 2021 sera marquée par un budget de rigueur économique, pour ajuster l'offre à la demande. Nous allons adapter le niveau des investissements, à l'exception de ceux consacrés au réseau, qui sont sanctuarisés.

Nous procéderons parallèlement à des cessions. Je veux être clair sur ce point, car des rumeurs ont circulé : nous gardons Geodis et Keolis, la décision ayant été validée par notre actionnaire – l'État. Nous avons en effet besoin de ces sociétés. En revanche, j'ai accepté le principe de la cession d'Ermewa. Il n'est pas anormal qu'une société acquière et cède des actifs – cela fait partie de la vie des entreprises. On se trouve, qui plus est, dans un contexte particulier, qui nous contraint à atténuer l'effet de la crise de la Covid-19 sur la dette. J'ai donc donné mon accord à la cession de cette belle société, qui loue des wagons en Europe. Cette activité ne constitue pas tout à fait notre cœur de métier. Nous ne sommes pas obligés, d'un point de vue stratégique, de détenir Ermewa, à qui nous pourrons continuer de louer des wagons. Les opérations techniques de cession interviendront début 2021 et la vente interviendra dans le courant de l'année. C'est un enjeu important, puisqu'on parle d'un objectif de 2,5 milliards d'euros, somme qui atténuera l'effet de la crise sur la dette.

Je suis sensible au thème de la confiance, qui est la clé du retour de la fréquentation. Or, la confiance est en partie liée à la dimension sanitaire. On sait qu'une partie de la population – j'ai entendu le chiffre de 30 % – est inquiète à l'idée de revenir dans les trains ou les transports en commun. Je crois que cela concerne essentiellement les bus et les métros, mais c'est tout de même loin d'être négligeable. Je le redis devant vous : le transport en train est sûr. Il n'y a pas de problème sanitaire. Les trains sont désinfectés quotidiennement et nettoyés plusieurs fois par jour, au sol et à bord. La propreté y est irréprochable. Par ailleurs, tout le monde y porte le masque. Les Français ont manifesté un grand esprit civique et ont répondu à la demande que nous leur avions faite de porter le masque dans les gares et les trains. Les personnels de la SNCF y veillent et cela fonctionne. Les études du ministère de la santé montrent que le secteur des transports publics ferroviaires, au sens large, est à l'origine de moins de 1 % des contaminations. Il n'y a quasiment pas de cluster dans le ferroviaire. Enfin, l'air à bord des trains est ventilé toutes les trois minutes. On fait entrer de l'air frais, comme si l'on ouvrait la fenêtre, ce qui nous distingue du transport aérien – puisqu'à bord d'un avion, l'air doit être retraité. Il n'y a donc aucun problème sanitaire dans les trains : il faut le dire et le redire.

J'en viens à l'accessibilité tarifaire. Il y a une trentaine d'années est apparu le yield management, une technique qui venait du secteur aérien, que l'on a utilisée pour optimiser le remplissage des trains. Aujourd'hui, la situation a complètement changé car, pour la première fois, la demande est inférieure à l'offre. On doit à présent conquérir la clientèle. Le yield management demeure peut-être pertinent, mais selon une logique complètement différente. Vous avez raison : il n'existe plus de petits prix, à l'heure actuelle, quand on part au dernier moment. Deux à trois jours avant le départ, on ne trouve plus que les prix maximaux, qui sont très élevés. Ceux qui ne peuvent partir qu'au dernier moment ont le sentiment que c'est toujours cher. Nous devons changer cela et proposer des prix accessibles. Le train ne doit pas casser son image de transport populaire. Ouigo est une vraie réussite, qui doit nous inspirer.

Un débat est en cours, mais, pour ma part, je serais assez favorable à un prix psychologique maximal, au moins en seconde classe. Dans la tête des Français, il n'est pas raisonnable de payer plus qu'un certain montant. Il faut les écouter, à l'instar des associations de consommateurs. Nous allons mener un travail très précis sur la tarification et l'accessibilité des trains. À côté de la tarification que nous proposons aux jeunes dans les TGV et les TER, qui donne de bons résultats, je pense qu'il faut améliorer notre offre à destination des jeunes retraités actifs. Au-delà de la carte traditionnelle, peut-être faudrait-il proposer à ces derniers plus de services, d'offres combinées, de bout à bout. On a des choses à faire pour conquérir ou reconquérir des gens qui privilégient la voiture, qui est notre rivale. Je souhaite des politiques commerciales beaucoup plus conquérantes, à même de convaincre un plus grand nombre de Français de prendre le train.

S'agissant des politiques environnementales, la grande préoccupation de la SNCF est la sortie du diésel. Voilà encore un héritage de l'histoire : près d'une ligne sur deux, en France, n'est pas électrifiée – heureusement, seul 20 % du trafic est concerné. Cela touche beaucoup les petites lignes. Il ne serait pas raisonnable de les électrifier, car cela entraînerait des coûts très élevés. Les solutions résident dans l'adaptation du matériel. À court terme, on peut utiliser des trains hybrides qui utilisent leur moteur électrique, par exemple, à l'entrée dans les villes. Cela permet de se passer de la motorisation diésel sur certaines parties du parcours. On va aussi lancer des trains à batteries, entre Marseille et Aix-en-Provence. Les batteries, placées sur le toit du train, peuvent être utilisées sur certains tronçons.

À long terme, je crois à l'hydrogène. Les moteurs et les piles à hydrogène existent. On sait déjà stocker de l'hydrogène, en employant certaines précautions. L'enjeu consiste à en fabriquer de grandes quantités, à un prix raisonnable, ce que s'emploient à réaliser les énergéticiens. Avec Alstom, on a la chance d'avoir un fabricant disposant d'une certaine avance sur ce marché. Notre objectif est de recevoir des commandes de trains à hydrogène en France ; j'espère que, d'ici à la fin de l'année, quatre régions joueront le jeu avec nous. Il y a des commandes en Allemagne, une est en cours en Italie. Il faut absolument qu'en France, on arrive à concrétiser ce prototype pour amorcer le processus. Il s'agit de démontrer que l'hydrogène constitue une grande part de la solution pour assurer une mobilité ferroviaire pleinement écologique sur l'ensemble de nos lignes.

Compte tenu de la crise, les objectifs financiers 2022-2024 ne seront en effet pas faciles à atteindre, mais je n'entends pas baisser les bras aussi facilement. L'enjeu est la maîtrise du coût pour le pays. La question est de savoir si le ferroviaire coûtera indéfiniment beaucoup d'argent au pays, aux contribuables. On n'a pas envie de répondre par l'affirmative. La réforme de 2018 avait pour objet de lancer un cycle vertueux en désendettant SNCF Réseau pour parvenir, grâce aux efforts de la SNCF, à maîtriser l'économie du système ferroviaire. Il ne faut pas renoncer à l'objectif, même si on a subi une secousse. La clé sera le retour du TGV. Si on a la chance de voir l'épidémie se terminer à l'été, grâce aux vaccinations – même si l'on s'en tient, pour l'heure, à des conjectures –, et si les Français ont envie de reprendre le train, nous serons tout près d'y arriver. Le TGV, qui nous met dans la difficulté, peut nous sauver en repartant. Ce sera la variable principale. Si l'épidémie durait et que le TGV ne repartait pas, il serait difficile d'être au rendez-vous. À ce stade, ce n'est pas encore totalement perdu et on se bat pour atteindre l'objectif.

Je sais ce qu'est la concurrence, pour avoir été patron de Keolis pendant sept ans. Tous les secteurs – ou presque – de l'économie française y sont soumis. Je l'accepte – ce sont les règles du jeu européennes – même si je reconnais que c'est un choc pour l'entreprise. La concurrence n'est pas chose anodine pour une société en situation de monopole. On s'y adapte, on s'y prépare, mais c'est difficile sur le plan culturel. Un cheminot qui est entré à la SNCF il y a vingt ou vingt-cinq ans n'envisage pas de gaieté de cœur d'être transféré dans une entreprise qui n'est pas la sienne. Il faut se mettre à la place d'un salarié qui apprend que, si la SNCF perd un appel d'offres, il devra travailler dans une autre société. Tout en prenant en compte cette dimension humaine, on va s'engager dans cette voie et se battre. Le calendrier des régions ne connaît qu'un léger retard : la région Sud s'ouvrira à la concurrence l'été prochain, les Hauts-de-France et le Grand Est ne devraient pas tarder à s'y engager. Les Pays de la Loire y pensent. Le calendrier d'Île-de-France Mobilités s'étale davantage dans la durée, mais le mouvement est impulsé.

Comme vous l'avez indiqué, un appel d'offres a été lancé concernant les trains d'équilibre du territoire, pour les lignes Nantes-Lyon et Nantes-Bordeaux. Il semblerait que nous soyons les seuls à avoir répondu, ce dont je ne suis pas responsable. Les concurrents, d'ailleurs, mettent en avant la Covid-19 et les risques liés à l'exploitation des lignes, mais n'imputent pas leur décision à la SNCF. Nous avons beaucoup travaillé sur cet appel d'offres ; nous avons dépensé 2 millions d'euros pour y répondre. J'entends que certains auraient l'idée de le déclarer infructueux. C'est possible, juridiquement, mais j'en serais un peu marri. Nous avons fait l'effort qui était attendu de nous, nous avons démontré notre volonté de répondre, nous avons des propositions pour améliorer le service. Pourquoi ne choisirait-on pas la SNCF ? Quand j'étais président de Keolis, il m'est arrivé d'être seul à répondre à un appel d'offres, par exemple à Lyon ou à Orléans. Je comprends que la collectivité puisse être un peu embêtée, mais ce sont des choses qui arrivent. Pourquoi ne pas aller au terme de la discussion avec celui qui a eu le courage, la patience, l'énergie d'y mettre les moyens et de faire des propositions ? Je serais heureux qu'on poursuive la discussion avec le ministère des transports pour mener cette démarche à son terme et pour que la SNCF se voie attribuer ces lignes.

S'agissant du fret ferroviaire, l'objectif, difficile à atteindre, est de doubler la part de marché en dix ans, au niveau européen comme à l'échelle française. Un premier pas est fait avec le plan de relance. Pour la première fois, notre pays va se doter d'un système d'aide aux wagons isolés, dont la survie était en jeu. Nous suivons le modèle autrichien. Un wagon et un camion ont un tonnage comparable, de l'ordre de 30 à 35 tonnes, mais le wagon doit être acheminé dans l'entreprise, à l'aide d'un locotracteur, pour être chargé, puis il faut revenir le chercher, l'incorporer à un train, le faire transiter par une gare de triage avant de le remettre à l'entreprise par un locotracteur. Cela demande quatre jours ! Pendant ce temps, le camion a fait plusieurs allers-retours. S'il n'est pas soutenu, le wagon isolé ne peut rivaliser avec le transport routier. Je remercie le Gouvernement d'avoir décidé de lui accorder une aide, qu'il faut accompagner par des investissements dans les infrastructures, les triages, les voies de service, etc. Nous avons du travail devant nous, mais le mouvement est lancé.

Vous avez raison de souligner le manque d'accessibilité des gares, domaine dans lequel nous sommes en retard. Le dossier a glissé au fil du temps, et la Covid-19 a encore reporté l'échéance de quelques mois. Notre schéma directeur national indique que, sur 160 gares nationales, 100 doivent encore être rendues accessibles. On s'est donné l'objectif de terminer les travaux d'ici à la mi-2025 et on se met en condition d'y parvenir aux niveaux national comme régional. Il faut rendre possible l'accès au train aux personnes en situation de handicap, d'abord pour se conformer à la loi, ensuite parce que cela correspond à la philosophie de l'intérêt public dans laquelle je souhaite inscrire l'action de la SNCF.

Nous discutons beaucoup de la présence des guichets avec les régions, car la question se pose essentiellement dans les gares régionales. Il y a un équilibre à trouver. Il faut de la présence humaine, mais lorsque l'on ne vend que deux billets en huit heures, il y a un petit problème… Je suis tout à fait d'accord sur le fait qu'il ne faut pas vendre seulement sur internet. Il convient au moins d'offrir un service téléphonique – en l'occurrence, le 36 35. Les solutions avec les commerçants locaux méritent d'être explorées. On a de belles réussites, à l'image des initiatives lancées sur les marchés où des camionnettes se transforment en guichets. Cela marche très bien, car cela s'inscrit dans la vie sociale des campagnes. Nous utilisons une palette de solutions.

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