Intervention de Olivia Gregoire

Réunion du mardi 19 janvier 2021 à 17h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Olivia Gregoire, secrétaire d'État :

Monsieur Leseul, ce n'est pas parce qu'on partage le même étage à Bercy que les choses sont plus faciles pour moi. Je vous garantis qu'il a fallu sacrément argumenter pour obtenir des augmentations de budget. Ce n'est pas parce que l'on partage les tâches que les crédits m'arrivent plus facilement, et c'est normal. Je vais demander à ma conseillère économie responsable, Mme Mariella Morandi, de vous contacter pour que nous échangions au sujet du volet « directives européennes ».

S'agissant du fonds pour le réemploi solidaire, créé par la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite « loi AGEC », les ministres de Bercy et le Premier ministre ont été saisis il y a quelques mois par les acteurs de l'ESS. Nous avons gagné un important combat au niveau interministériel : alors que le projet de décret prévoyait 50 % de financement de guichets en faveur des entreprises solidaires d'utilité sociale, les ESUS, et 50 % d'appels à projets, nous avons fait supprimer la part d'appels à projets en raison de la difficulté pour les structures de l'ESS de consacrer des ressources à remplir des dossiers de candidature. Le projet de décret prévoit ainsi 100 % de financement de guichets, sous la forme de subventions directes, dont 50 % au moins sont réservés aux ESUS. C'est un signal fort pour l'ESS car la loi AGEC précisait seulement que les fonds de réemploi devaient prendre en compte les critères ESUS. Cela étant, des acteurs voudraient que l'ensemble des aides soient fléchées vers les ESUS. Il faut néanmoins faire attention : la loi ne dit pas que les fonds de réemploi sont intégralement au bénéfice des ESUS. Si le décret allait jusque-là, il y aurait un risque non négligeable de contentieux. Or si le décret était invalidé, plus aucun financement n'irait aux ESUS : je ne suis pas encline à prendre ce risque.

Par ailleurs, beaucoup de structures de l'ESS, bien que n'étant pas des ESUS, peuvent légitimement accéder au fonds de réemploi. Je ne crois pas utile, en période de crise, d'exiger qu'elles commencent par effectuer les démarches pour devenir ESUS avant de leur donner accès au fonds de réemploi. Il faut laisser une ouverture aux structures de l'ESS comme les recycleries ou les ressourceries.

Madame Brulebois, je suis avec beaucoup d'intérêt la mission parlementaire qui vous a été confiée sur le traitement des masques usagés, sujet important et cohérent avec la politique que nous essayons de mener. Nous étudierons les recommandations de votre rapport pour éclairer notre action publique. La question des masques est urgente et il faut trouver des solutions, d'autant que nos concitoyens garderont peut-être garder l'habitude d'en porter, notamment quand ils sont malades. Le plan de relance est au rendez-vous : 10 millions d'euros sont mobilisés pour déployer des « banaliseurs » permettant de recycler les masques qui présentent un risque infectieux. Il faut que la filière se mobilise en instaurant une responsabilité élargie du producteur pour le textile sanitaire. J'imagine que vous suivez ces pistes de près et vous aurez le soutien du Gouvernement lorsque vous présenterez votre rapport avec des solutions à court terme.

Concernant les pépinières d'entreprises, nous développons les coopératives d'activité et d'emploi (CAE), créées par la loi de 2014. Ce sont de véritables incubateurs de l'ESS. Il faut rassembler les entreprises de l'ESS et les faire travailler ensemble. Fin 2020, j'ai saisi l'Inspection générale des affaires sociales et l'Inspection générale des finances pour sécuriser juridiquement les CAE et les SCIC. En effet, la loi est récente et, à l'épreuve du réel, elle a démontré qu'il y avait quelques failles. Les personnes en CAPE et en CAE sont toutes éligibles aux aides du Gouvernement, que ce soit en matière de chômage partiel, de fonds de solidarité ou de prêts garantis par l'État. Ce n'était pas le cas quand je suis arrivée, j'y ai travaillé, et la direction générale des entreprises les a intégrées dans les entreprises éligibles.

Le plan de relance favorise l'émergence de tiers-lieux, où je me rends souvent. J'ai visité hier un tiers-lieu à Montreuil : 1 800 mètres carrés, 60 expertises différentes, notamment des menuisiers, des ferrailleurs, des tapissiers, des fleuristes et des jeunes gens faisant de l'impression 3D. C'est une fourmilière d'artisanat, de numérique et de coopération. Les tiers-lieux, en plus des CAE, sont très inspirants, et je m'investis d'ailleurs de plus en plus dans France Tiers-Lieux. Si vous connaissez, dans vos territoires, des tiers-lieux en projet ou déjà constitués qui cherchent des financements, n'hésitez pas à me contacter, nous pouvons les orienter vers l'appel à projets correspondant. Nous y consacrons 45 millions d'euros dans le plan de relance, dont au moins 30 millions ont vocation à être investis dans l'ESS. Nous devons nous dépêcher de décaisser ces fonds. C'est le moment de créer, de financer les tiers-lieux, qui sont l'ESS « en vrai », avec des jeunes, des moins jeunes, de la technologie, de l'artisanat, de l'impact écologique et social. Je crois énormément à ce formidable modèle d'incubation.

S'agissant des recycleries, le plan de relance y consacre 350 millions d'euros au travers de deux appels à projets. Tous les appels à projets sont mis en ligne sur le site de Bercy. Un premier a été lancé, d'autres arrivent. Je suis là pour faire de l'assistance à maîtrise d'ouvrage, pour vous aider à « brancher » vos collectivités locales sur ces investissements. Si je dois vous connecter avec le DLA au plan national pour aider vos acteurs de l'ESS, je le ferai. Je ne peux imaginer que des investissements pour l'ESS partent ailleurs alors qu'on en a tellement besoin ! Mais je ne peux pas le faire sans vous : dépassons les étiquettes pour financer l'ESS dans les territoires.

Concernant l'après plan de relance, je sais que certains me soupçonnent de vouloir financiariser l'ESS. L'économie de l'ESS représente 10 % du PIB ; dans quinze ou vingt ans, cela pourrait être 30 %, donc 30 % des emplois. Les marqueurs d'une économie sont sa capacité à créer des emplois mais aussi à être financée. Avec les contrats à impact, j'essaye d'attirer les investisseurs, les assureurs et les acteurs économiques traditionnels vers le financement de l'ESS. Les planètes sont en train de s'aligner car des acteurs financiers recherchent des investissements à impact social et environnemental, ce qui est l'ADN de l'ESS. Il n'est pas nécessaire d'être un financeur ESS : un investisseur classique ou un gestionnaire de fonds ou d'actifs peut investir dans un projet d'ESS, pour répondre à la demande des épargnants recherchant un investissement durable. J'essaye de consolider la finance à impact en France, celle qui a un impact social et environnemental dans les territoires. C'est une façon de pérenniser les actions, au-delà du plan de relance.

Je pourrai vous en dire plus sur le plan ESS 2021 après le sommet d'étape qui se tiendra à Mannheim, en mai, et qui permettra de faire le point sur nos visions de l'ESS au plan européen. Je n'ai qu'une seule homologue en Europe : la secrétaire d'État espagnole chargée de l'économie sociale, au ministère du travail. C'est un signal fort pour la France. J'échange avec M. Nicolas Schmit, Commissaire européen chargé de l'emploi et des droits sociaux, chargé du plan ESS 2021 ; je l'ai vu à Bruxelles la semaine dernière. Je parlerai aussi avec M. Nicolas Hazard, conseiller spécial qui travaille à ses côtés.

Nous avons trois objectifs : faire reconnaître l'approche de « lucrativité limitée » au plan européen ; déployer les contrats à impact à l'échelle européenne en engageant la Banque européenne d'investissement (BEI) et le Fonds européen d'investissement (FEI) ; faciliter l'accès des structures de l'ESS à la BEI et au FEI. De toutes petites structures attendent parfois trois ans pour obtenir 20 000 ou 30 000 euros du FEI : il faut accélérer. Nous promouvons donc, au nom de la France, la création d'un guichet spécifique du FEI pour les structures ESS.

Pour les synergies dans les PTCE, on peut mélanger, au niveau local, économie traditionnelle, ESS et acteurs locaux. Dans les contrats à impact, il existe des synergies entre des investisseurs qui viennent de l'économie traditionnelle et des porteurs de projets venant de l'ESS. Je vous soumettrai bientôt plusieurs idées de missions pour des parlementaires sur ce sujet.

En ce qui concerne le numérique, nous déployons 5 000 conseillers numériques pour former les associations d'inclusion et de médiation numérique. Il faut faire savoir aux acteurs de l'ESS, notamment les coopératives, les fondations et les ESUS, qu'ils sont éligibles à l'accompagnement numérique du Gouvernement, notamment au chèque de 500 euros. Les ESUS et les coopératives peuvent d'ailleurs mutualiser cette somme : s'il est difficile de créer une plateforme avec 500 euros, cela est beaucoup plus facile quand dix structures mettent leurs aides en commun. J'ai encouragé ce type d'actions dans ma circonscription, pour des commerçants en difficulté – cela dépasse le cadre de l'ESS.

Je relancerai courant mars un appel à projets pour les PTCE. J'ai des ambitions pour leur animation dans les territoires avec le DLA. Pour créer des PTCE, il faut que les acteurs dans les territoires répondent à cet appel à projets. Mon cabinet est réactif et disposé à vous accompagner. Le Labo de l'ESS et ESS France peuvent aussi vous aider.

La crise actuelle touche l'économie traditionnelle comme l'ESS. Pour l'heure, je me méfie des chiffres et des évaluations car nous sommes encore en crise. Depuis six mois, j'essaye de rattraper les structures qui n'ont pas demandé d'aides. Nous devons combattre ensemble le fléau du non-recours car les structures pensent qu'elles ne sont pas éligibles à l'ensemble des aides prévues pour les entreprises « normales ». Il faut donc combattre les a priori. Sans vous, je ne peux pas démultiplier le message, même si je m'y essaye dans la presse quotidienne régionale. Il y a beaucoup d'autocensure ; dites bien à vos acteurs qu'ils ont accès à l'ensemble des aides.

J'ai aussi demandé une enveloppe budgétaire supplémentaire quand j'ai réalisé la grande difficulté dans laquelle les petites associations employeurs pourraient se trouver dans les prochains mois. Dès mon arrivée au ministère, j'ai créé un fonds d'urgence pour l'ESS de 30 millions d'euros. Il sera opérationnel le 22 janvier 2021 à l'adresse : www.urgence-ess.fr. Il sera dédié aux petits employeurs de l'ESS, comptant moins de dix salariés. Il offrira aux structures éligibles un diagnostic de situation économique pour les diriger vers des aides ou des mesures rapides auxquelles elles ont droit, mais n'auraient pas candidaté. Ce fonds d'urgence sera opéré par France Active, qui a remporté l'appel d'offres et sera le guichet unique pour verser ces 30 millions d'euros. Après un diagnostic flash, très rapide, une subvention pourra être versée – 5 000 euros pour un à trois salariés et jusqu'à 8 000 euros pour trois à dix salariés –, en fonction de la taille de la structure et des besoins. Un accompagnement est également prévu par les DLA.

La priorité sera donnée aux petites structures n'ayant encore rien reçu. Nous ferons régulièrement un point avec l'opérateur du dispositif pour voir s'il faut ajuster nos efforts ; nous le ferons si nécessaire, notamment à l'endroit des petites associations. Je sais que je pourrai compter sur les parlementaires si nous devons demander plus, dans l'intérêt des petites structures de l'ESS. En effet, 8 000 euros peuvent faire vivre une petite association quelques mois : ces montants peuvent paraître dérisoires mais ils sont fondamentaux pour nos structures.

J'ai une tendresse pour ces petites associations de nos territoires, qui n'ont pas toujours les reins aussi solides que les grosses associations nationales, et dont je fais une priorité. Elles ont connu beaucoup de souffrances et de difficultés ces derniers mois parce qu'elles n'ont pas pu mener à bien leur mission première, leur trésorerie s'est effondrée et elles n'ont pas de fonds propres. Nous sommes tous sensibles à leur sort. Cette aide doit être déployée rapidement car ces 30 millions d'euros permettront d'aider 5 000 à 10 000 associations employeurs.

Enfin, le LDDS est une voie très intéressante. Je suis favorable à l'augmentation de son plafond mais je ne peux pas m'avancer avant d'avoir reçu les statistiques que nous avons demandées à la Banque de France.

Merci à tous pour la qualité de vos questions.

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