Intervention de Clément Beaune

Réunion du jeudi 21 janvier 2021 à 11h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Clément Beaune, secrétaire d'État chargé des affaires européennes :

Sur le sujet du développement durable, et en particulier celui du climat, il ne peut y avoir de politique efficace sans un échelon européen fort. Cela ne signifie pas que tout se décide à Bruxelles, à Strasbourg ou à l'échelle de l'Union européenne, mais nous avons besoin d'une ambition européenne forte.

À la fin de l'année dernière, le sommet européen a décidé d'une réévaluation des ambitions climatiques pour 2030 : l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre à cet horizon a été porté à au moins 55 %, au lieu de 40 %. Ce nouvel objectif, ambitieux, est difficile. Il constitue un jalon dans la trajectoire de neutralité carbone à l'horizon 2050, elle‑même ambitieuse. L'Union européenne a été la première zone économique et politique à se donner cette ambition. Les États-Unis reviennent dans l'accord de Paris et réaffirment une ambition climatique. La Chine s'est fixé des objectifs à l'horizon 2060, c'est une évolution significative. L'Union européenne est le cadre pour définir nos objectifs, les défendre au niveau international et discuter de leurs déclinaisons sectorielles et au niveau national.

Le Conseil européen de décembre dernier est une étape. L'objectif de réduction des émissions de 55 %, rehaussé de 15 points, est global et collectif. Il doit maintenant être décliné par pays. La discussion sera difficile et nous nous sommes donné rendez-vous, avec obligation de résultat, d'ici la fin du printemps. Un sommet européen sera sans doute consacré à ce sujet au mois d'avril. Nous devons être prêts pour la COP 26 qui se tiendra à Glasgow, au Royaume-Uni. Ce sera le rendez-vous marquant de l'année 2021 au niveau international et il faut que l'Union européenne soit au rendez-vous. J'espère que les États-Unis seront à nos côtés pour défendre un renforcement des engagements de l'accord de Paris, comme nous nous étions engagés à le faire tous les cinq ans, en 2015.

Au niveau européen, le cadre pour atteindre notre objectif global est le Green Deal, le Pacte vert européen. Il a été présenté en décembre 2019 – c'était la première action de la nouvelle Commission européenne dirigée par Mme von der Leyen – mais sa déclinaison en législations sectorielles et thématiques a pris du retard en raison de la crise de la covid-19 qui a accaparé la Commission et les chefs d'État et de gouvernement.

Ce cadre va néanmoins se mettre en place, notamment avec la loi climat. En 2021, des propositions très importantes seront formulées par secteur. Nous allons renforcer un certain nombre d'outils, notamment le système ETS (Emissions trading system). Mais il faut aussi renforcer nos outils d'équité – de protection internationale, osons le mot – pour que l'Europe ne soit pas seule à réaliser un effort environnemental et climatique sans demander l'équivalent à nos grands partenaires et nos concurrents internationaux.

Sur le plan budgétaire, le cadre financier pluriannuel va guider l'action de l'Union européenne pour la période 2021-2027. Il est complété par un plan de relance européen de 750 milliards d'euros qui comprend 390 milliards de subventions budgétaires directes dont une partie – que j'espère large – sera disponible dès le printemps 2021 pour soutenir les plans des États membres.

Ce plan de relance a été accepté lors du sommet de décembre 2020, suite à la levée des vétos de la Pologne et de la Hongrie. C'est un outil majeur de l'ambition climatique européenne. Sur proposition de la France, un objectif transversal de dépenses consacrées au climat y a été inscrit. Ces dépenses devront représenter 30 % du plan de relance de l'Union et 37 % des plans de relance nationaux. Au cours des sept prochaines années, entre 30 et 40 % des 1 800 milliards d'euros inscrits au budget européen ordinaire et au plan de relance complémentaire seront consacrés aux dépenses environnementales, soit environ 700 milliards qui seront disponibles pour le climat.

On a tendance à l'oublier, mais la Banque européenne d'investissement, réformée l'an dernier, est un acteur important dans cette ambition climatique. Elle effectue des prêts aux collectivités, notamment pour le financement d'infrastructures. Dans sa feuille de route stratégique, elle s'est donné pour ambition d'avoir 50 % de son portefeuille de prêts et d'actions consacrés directement au climat d'ici à 2025. C'est une mutation importante qui complète cet effort budgétaire massif. Il s'agit d'un puissant outil de soutien à l'ambition climatique 2030-2050.

Cependant, il ne suffit pas d'aligner les chiffres et ce cadre budgétaire est également important par son contenu. Le Fonds pour une transition juste va permettre à plusieurs pays, dont la France, mais plus encore la Pologne, de réaliser leur transition écologique. Il faut clarifier une ambiguïté : nous devons assumer d'aider les pays européens dont le mix énergétique est plus carboné, parfois pour des facteurs historiques dont ils héritent, comme le recours au charbon. C'est le cas de la Pologne. Il faut soutenir cette solidarité et c'est le but du Fonds pour une transition juste : il apportera plusieurs milliards d'euros dédiés, en Pologne ou dans d'autres pays, à cette transition. Toutefois, le bénéfice de cette solidarité européenne doit être conditionné – sinon son action ne servirait à rien sur le plan climatique et serait injuste sur le plan budgétaire et politique – et doit permettre d'accélérer la transition, mais aussi conduire, en premier lieu, à accepter les objectifs européens. La Pologne, même si le débat sur les cibles nationales demeure, a pris cet engagement en acceptant l'objectif global et collectif de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre. Elle doit désormais confirmer son engagement sur l'objectif de neutralité carbone pour 2050.

Tout au long de l'année 2021, des propositions législatives européennes sectorielles importantes – sur le système ETS et sur les normes d'émissions dans le secteur automobile – viendront nourrir le débat législatif. Nombre d'entre elles aboutiront sous la présidence française de l'Union européenne en 2022 ; il est donc important de les suivre attentivement.

Cette ambition climatique doit aussi passer par le verdissement de politiques européennes essentielles. Consacrer plus de 30 % du budget européen et du plan de relance au climat impose de transformer des politiques européennes importantes et traditionnelles ; c'est évidemment le cas de la PAC. Il ne faut pas opposer les politiques les unes aux autres : la principale contribution sectorielle à la transition écologique dans le budget européen, c'est la politique agricole commune, qui représente près d'un tiers des fonds européens. On ne peut faire de transition verte en Europe, ni affirmer une ambition climatique crédible, sans y intégrer cette politique.

La PAC doit évoluer et la réforme en cours doit faire l'objet d'un accord entre le Parlement européen et les États membres afin de renforcer les conditionnalités environnementales. Cela concerne notamment les éco-régimes environnementaux qui seront renforcés, au moins à hauteur de 20 % des crédits, et surtout qui deviendront obligatoires, car ils constituent un point clé de la transition écologique et agricole. Il n'est pas possible qu'au sein de l'Europe, des exigences supplémentaires s'appliquent à certains pays – la France est en avance sur la réglementation environnementale qui s'impose aux agriculteurs – sans s'appliquer dans la totalité du marché intérieur. Ces différences sont mal perçues sur le terrain et créent une concurrence intra-européenne. Avec les éco-régimes obligatoires pour tous les pays dans la nouvelle politique agricole commune, nous ferons œuvre utile dans les deux sens : imposer ces nouvelles conditions à tous les agriculteurs d'Europe sera bénéfique pour le climat et plus juste, donc plus efficace. Ainsi, 20 % des paiements directs agricoles seraient soumis à ces engagements environnementaux.

En 2021, une nouvelle proposition législative concernera le renforcement et l'harmonisation de nos réglementations européennes en matière de pesticides et de produits chimiques, qui concernent largement l'agriculture. Le débat sur le glyphosate sera élargi à d'autres substances. Nous ne pouvons pas être ambitieux seuls, et il est important de montrer les efforts déjà faits. En France, le recours au glyphosate est déjà réduit de 50 % pour les usages agricoles, les collectivités et des entreprises publiques – l'usage du glyphosate est déjà proscrit à la SNCF. La France a déjà adopté une démarche ambitieuse de réduction du recours à ce produit, mais nous n'arriverons pas à franchir les étapes suivantes sans un cadre européen plus ambitieux. Dès l'été 2021, une évaluation des possibilités de réduction supplémentaire des usages sera réalisée au niveau européen et nous proposerons des évolutions législatives dans le cadre de la présidence française, au premier semestre 2022. L'harmonisation du cadre européen est une condition de justice et d'efficacité pour permettre le verdissement de la PAC.

J'en viens à la dimension internationale de cette politique européenne de développement durable. Ce qui vaut pour la concurrence intra-européenne vaut davantage pour la concurrence internationale : nous ne pouvons pas mener une politique environnementale exemplaire et ambitieuse sans inciter – parfois forcer – nos partenaires internationaux à respecter un même niveau d'exigence. L'exemplarité européenne ne doit pas se transformer en une espèce de naïveté ou d'isolement sur le sujet climatique. Cela touche à plusieurs outils, notamment à la politique commerciale et nos accords commerciaux internationaux.

À notre demande, la Commission a inscrit dans le Pacte vert l'idée d'intégrer dans les accords commerciaux à venir une clause essentielle portant sur le respect de l'accord de Paris. Le non-respect d'une telle clause pourrait faire tomber un accord. La France est encore minoritaire parmi les États membres pour soutenir cette proposition, mais elle a été reprise par la Commission. Il n'y a pas d'amour du climat, il n'y a que des preuves d'amour pour le climat, qu'il faut maintenant matérialiser dans les accords commerciaux. Plusieurs projets sont en cours de négociation. Nous avons conclu un accord commercial de principe avec le Royaume-Uni, au sein de l'accord plus large sur le Brexit, qui inclut le respect de l'accord de Paris comme clause essentielle. Cet accord commercial est le plus important de notre histoire, par son volume et son montant. Y avoir inséré cette clause essentielle démontre que c'est possible et que les choses bougent.

Nous devons aller plus loin. Cette ambition a motivé le refus français d'ouvrir une négociation commerciale avec les États-Unis au printemps 2019. Les sujets des normes alimentaires, de la déforestation et de la biodiversité ont également conduit le Président de la République et le Gouvernement français à refuser le projet d'accord avec le Mercosur. Actuellement, il ne satisfait pas aux exigences alimentaires, sanitaires, climatiques et de développement durable. Tant que ce sera le cas, nous ne pouvons pas l'accepter, car nous ne serions ni crédibles ni cohérents avec notre ambition climatique.

Au-delà des accords commerciaux, nous devons promouvoir des outils climatiques internationaux plus ambitieux et plus innovants. Il en est un qui me tient à cœur et que nous défendons avec Mme Barbara Pompili et M. Bruno Le Maire : le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Il est parfois appelé « taxe carbone » aux frontières de l'Union européenne, mais il ne s'agit pas vraiment d'une taxe et le mot taxe carbone est souvent mal compris ; soyons prudents sur ce point. Son principe est d'imposer aux entreprises qui souhaitent exporter en Europe le respect des mêmes exigences que les nôtres, notamment en termes de prix du carbone.

À défaut, l'effort européen serait à la fois injuste et inefficace. Inefficace, car l'Europe ne représente que 9,5 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Si nous étions seuls à faire l'effort, nous ne résoudrions qu'une petite partie du problème. Injuste, car ce non-respect serait insoutenable et inacceptable. Nos entreprises, nos consommateurs et nos concitoyens ne comprendraient pas que nous nous imposions de payer des quotas carbone pour verdir nos processus de production tandis que d'autres entreprises peuvent venir sur nos marchés en proposant des prix plus bas, annihilant tous nos efforts et détruisant nos emplois.

Ce mécanisme d'ajustement carbone est donc très important. Ce combat a été engagé il y a plusieurs années, avant le début de ce quinquennat, et nous l'avons relancé. Il a longtemps été bloqué avant d'être désormais repris à son compte par la Commission européenne dans son projet de Pacte vert. Il est inscrit comme un engagement de travail dans les conclusions du Conseil européen sur le plan de relance et sur le budget, et dans la feuille de route budgétaire adoptée par tous les États membres et le Parlement européen. Il y aura également une proposition législative de la Commission européenne sur ce point au premier semestre 2021.

Il faudra mener un combat collectif pour faire aboutir ce mécanisme nouveau au niveau européen dans les prochains mois. Pour réussir, il faut être pragmatique et agir de façon expérimentale. Il est difficile de définir techniquement et juridiquement un prix du carbone international pour tous les biens et produits. En revanche, on peut le faire rapidement dans quelques secteurs où la concurrence internationale est forte et où l'on sait mesurer le prix du carbone dans les processus de production. C'est le cas de l'acier, de l'aluminium et des fertilisants ; nous pouvons commencer par ces secteurs. Il ne s'agit pas de protectionnisme mal placé, c'est une protection légitime et la condition d'une ambition européenne efficace et juste sur le plan climatique.

Une proposition de stratégie européenne de lutte contre la déforestation sera discutée en 2021. Elle viendra compléter notre stratégie nationale engagée depuis 2018. D'autres projets sectoriels nourriront les ambitions de réduction des émissions en 2030 et de neutralité carbone en 2050, ainsi que des mécanismes de financement de l'innovation destinés à verdir beaucoup de secteurs, comme l'automobile et les batteries électriques qui bénéficieront de financements européens supplémentaires dans le cadre du plan de relance national et européen.

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