Intervention de Clément Beaune

Réunion du jeudi 21 janvier 2021 à 11h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Clément Beaune, secrétaire d'État :

S'agissant des appels d'offres pour les marchés publics, nous sommes parfois obligés de contourner les règles pour privilégier un approvisionnement local sur le plan agricole ou industriel. Nous soulevons souvent le sujet lors des réformes de la politique de concurrence européenne. La France a peu d'alliés sur ce point, mais nous y reviendrons dans le cadre de la réforme de la politique européenne de concurrence qui va s'ouvrir cette année. Nous avons mobilisé la vice-présidente de la Commission, Mme Margrethe Vestager, pour permettre plus de souplesse sur ce point, mais aussi sur les seuils, les contenus locaux, la capacité d'assouplir ou de renforcer les exigences en matière de contribution et de participation des PME – ce que l'on appelle parfois « le Small Business Act à l'européenne ». Ces éléments du droit européen de la concurrence doivent être améliorés dans les mois qui viennent et j'espère que la future réforme permettra d'apporter davantage de bon sens. Nous y arrivons parfois, mais au prix de contorsions inutiles et compliquées.

Nous ne pourrons atteindre les objectifs européens de neutralité carbone sans aider les pays les plus éloignés de ces objectifs. Le Fonds pour une transition juste est un investissement logique, une solidarité légitime qui permettra d'aider nos pays voisins à suivre une trajectoire de réduction des émissions plus difficile que la nôtre, compte tenu de leur mix énergétique.

Il faut aussi accepter une neutralité technologique ou une neutralité de nos mix énergétiques nationaux ; c'est un point inscrit dans les conclusions du sommet européen du mois de décembre. La France ne pourra pas atteindre les objectifs de réduction des émissions en 2030 et 2040 sans une énergie stable et décarbonée. C'est essentiel pour nous, mais aussi pour d'autres pays qui abandonnent le charbon. Nous nous battons sur la taxonomie des investissements pour que l'énergie nucléaire civile ne soit pas exclue des programmes de recherche européens. Certains voudraient exclure toute production d'hydrogène à partir d'électricité nucléaire. Nous devons tenir la neutralité technologique, qui se traduit pour la France par la préservation du recours à l'énergie nucléaire. C'est indispensable pour atteindre nos objectifs : nous ne pouvons pas avoir des objectifs ambitieux et écarter une énergie non carbonée stable, essentielle et souveraine comme le nucléaire. Au niveau européen, ce débat prend de l'ampleur.

La France est aussi en retard sur la méthanisation. Le programme d'investissements d'avenir (PIA) prévoit un effort supplémentaire et le plan de relance permettra de l'accélérer dans les années à venir.

S'agissant des transports publics dans le contexte du Brexit, la France pousse plusieurs initiatives. Les 37 % du plan de relance européen consacrés au climat financeront des initiatives nationales, telles que le report modal, le développement des transports propres ou les mobilités douces. En pratique, ces initiatives sont une condition de validation du financement des plans de relance par le budget de l'Union européenne. Certains appels d'offres pour les transports publics non polluants, tels que les tramways en site propre, sont financés par l'Europe, indépendamment du plan de relance. Leur montant sera renforcé dans le cadre budgétaire 2021-2027 et ils permettront une accélération du report modal.

Avec la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire qui a été défendue par Mme Brune Poirson, nous avons été exemplaires en matière de réduction des usages des plastiques et d'interdiction progressive de produits. La Commission européenne a repris certains objectifs de cette loi et le Green Deal prévoit, en 2025 puis en 2030, une réduction de l'usage des plastiques. Des propositions législatives européennes seront présentées dès ce premier semestre, fixant des objectifs européens pour 2025, puis renforcées sous la présidence française au premier semestre 2022.

Concernant l'hydrogène, nous consolidons notre effort d'investissement au niveau national grâce au plan de relance présenté début septembre par le Premier ministre et à la stratégie présentée deux semaines plus tard par Mme Barbara Pompili et M. Bruno Le Maire. Le plan de relance national prévoit de consacrer 2 milliards d'euros de crédits supplémentaires au plan hydrogène. À la demande du Président de la République, nous avons aussi commencé au mois d'août une coordination des plans allemands et français sur l'hydrogène. Les Allemands ont un plan de relance post-covid financièrement plus ambitieux que le nôtre. Nous devons mettre en commun une partie de ces crédits dans des appels d'offres conjoints, afin d'éviter de définir des standards différents et de placer des acteurs en concurrence. Nous pourrons ainsi proposer une offre européenne et franco-allemande à l'international sur l'hydrogène. Au premier trimestre, un plan franco-allemand sur ce sujet sera présenté par M. Bruno Le Maire et son homologue allemand, M. Peter Altmaier.

J'en viens aux sanctions et aux incitations pour le respect des objectifs en matière de réduction d'émissions et de neutralité carbone. Le bénéfice du Fonds de transition juste est soumis au respect de l'objectif de neutralité carbone en 2050. À chaque versement supplémentaire, la Commission européenne vérifiera que chaque pays, par exemple la Pologne, a souscrit à l'objectif 2050 de neutralité carbone et a réalisé les actions jugées suffisantes. La moitié de l'enveloppe du Fonds de transition juste est conditionnée à l'acceptation de cet objectif. C'est une garantie que les fonds européens seront utilisés pour une réduction des émissions.

Nous devons réfléchir à des objectifs et des sanctions plus précis, mais cela ne peut s'envisager que de manière sectorielle. Il serait difficile de mettre en place un outil de vérification globale dès 2030, même si tous les pays disposent déjà d'instances nationales équivalentes à notre Haut Conseil pour le climat, dont le rôle est de publier, vérifier et analyser la trajectoire de réduction des émissions. La possibilité de sanctionner dépendra aussi de la confiance entre la Commission et les États membres ; le respect de la trajectoire de chaque État fera l'objet de discussions infinies.

Des outils spécifiques existent cependant déjà. Sur la qualité de l'air, la France est régulièrement mise en cause, et nous pourrions être sanctionnés juridiquement et financièrement si, au regard des règles européennes, nous ne sommes pas sur la bonne trajectoire. Je crois cependant davantage aux incitations sur le plan financier et aux sanctions sectorielles sur un sujet précis facile à mesurer qu'à un outil global de sanction des trajectoires nationales. Ce point sera renforcé dans la loi européenne sur le climat. Des instances d'évaluation européennes pratiqueront le « name and shame » et dénonceront les pays manifestement hors de la trajectoire vers la neutralité carbone ou la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Nous constatons que les rapports du Haut Conseil pour le climat sont de plus en plus visibles dans le débat public ; un organe équivalent européen aura un poids considérable, au-delà de la sanction.

Le produit généré par le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières dépendra de la façon l'outil sera calibré. Il concernera d'abord certains secteurs. Il n'y aura pas de mécanisme d'ajustement carbone le premier jour pour tous les produits. Aujourd'hui, selon l'estimation de la Commission européenne, ce produit devrait représenter entre 6 et 14 milliards d'euros par an. Cette somme n'est pas négligeable : le remboursement annuel du plan de relance européen à vingt-sept représentera près de 17 milliards d'euros par an à la fin de la décennie. Alors que l'on évoque de nouvelles ressources propres, ce mécanisme d'ajustement carbone associé à une ou deux taxes sur le numérique permettra de financer des politiques publiques européennes, à commencer par le remboursement de notre plan de relance.

J'ai bien noté la préoccupation quant à la prise en considération des particularités de certains territoires. Certains outils financiers européens tiennent compte de ces contraintes spécifiques en matière environnementale et de financement de la politique régionale, mais je suis prêt à regarder précisément comment intégrer ces dimensions dans d'autres outils européens, comme le Fonds de transition juste.

Concernant la prise en compte de la question climatique dans les accords commerciaux conclus par l'Union européenne, je crois que nous sommes arrivés au bout d'un modèle. Le CETA est appliqué à titre provisoire et l'accord avec le Mercosur a été « mis au congélateur », car il n'est pas acceptable en l'état. Fondamentalement, c'est la façon dont on négocie les accords commerciaux qui est en question. La Commission européenne en est restée au modèle qui existait il y a vingt ans, lorsque les négociations avec le Mercosur ont été engagées, consistant à baisser les droits de douane et quelques autres barrières non tarifaires. À l'époque, la Commission européenne se préoccupait assez peu des enjeux climatiques et environnementaux, alors moins prégnants, ou de la vérification des standards et des règles.

Aujourd'hui, les Français et les Européens sont extrêmement préoccupés, parfois de manière excessive – on l'a vu avec le CETA – par le respect des normes sanitaires et alimentaires. Il est désormais clair que nous ne pourrons plus soumettre au Parlement européen et aux parlements nationaux des accords commerciaux qui ne respecteraient pas davantage les standards européens et dont l'effectivité ne serait pas vérifiée. Nous le ferons dans le cadre du Brexit : aucun produit britannique n'entrera s'il ne respecte pas nos règles sanitaires ou phytosanitaires, et nous nous sommes donné les moyens de le contrôler. Des règles plus fortes et des contrôles plus stricts sont la condition sine qua non de tout accord commercial dans le futur. L'accord que nous avons conclu avec le Royaume-Uni définit, de fait, un nouveau standard et nous ne pourrons plus dire que nous ne savons pas établir des procédures de respect des règles.

Le Président de la République a soulevé la question de la dé-surtransposition dans sa campagne présidentielle et dès le début de son mandat. Nous avons réalisé quelques actions ciblées de dé-surtransposition, mais nous ne sommes pas allés au bout de la logique ; il faut envisager un changement culturel. Vous connaissez cela au Parlement, qui est soumis à des demandes sectorielles. Parfois c'est son administration même qui suggère un amendement pour ajuster une règle, ou les ministères. Dans les projets de loi européens, dont l'objet est large, on essaie d'insérer quelques règles qui vont au-delà de la directive européenne. Il n'y a pas de remède miracle. On peut faire une action ciblée de dé-surtransposition, mais on reprendra le chemin connu quelques années après si le fonctionnement du Gouvernement et du Parlement n'a pas été modifié. Sans alourdir la bureaucratie, je suis prêt à relancer le chantier pour mettre en place un dispositif d'alerte étudiant les mesures de transposition pour vérifier si elles s'en tiennent à la directive européenne ou si elles ajoutent des éléments sans aucun rapport.

Nous avons décidé, dans le Traité d'Aix-la-Chapelle, que la France et l'Allemagne adoptent les mêmes textes de transposition des directives, pour ne pas avoir de règles différentes de celles de notre premier partenaire économique et commercial. C'est souvent la France qui se fixe plus de règles que les autres. Ce processus est très long ; il n'entre pas dans les habitudes des administrations, à commencer par le Gouvernement, qui est à l'origine de la grande majorité des normes. Il est compliqué d'envisager un nouveau vecteur législatif de dé‑surtransposition, il faut surtout parvenir à cette mutation culturelle pour éviter de toujours rajouter des couches de règles.

Concernant la question des transports, les efforts supplémentaires doivent passer par des investissements et des réflexions sur l'extension du système de quotas d'émissions (ETS). Le risque est d'imposer à des secteurs très émetteurs des règles que nos concurrents et voisins immédiats ne s'imposeraient pas. Nous devons donc trouver un équilibre entre une ambition environnementale supplémentaire et des normes qui ne seraient qu'européennes.

Enfin, je ne peux m'aventurer sur le terrain de la politique des tests covid, mais s'il est possible d'apporter des ajustements et une simplification tout en gardant une protection sanitaire, nous le ferons ensemble.

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