Intervention de Jean-Bernard Lévy

Réunion du mercredi 10 février 2021 à 15h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Jean-Bernard Lévy, président-directeur général d'EDF :

L'une des difficultés du projet consiste à essayer de concilier un grand nombre des principes que vous avez rappelés avec les textes. L'État français et EDF estiment que ce projet est compatible avec les textes en vigueur. Mais les négociations sont difficiles, ce qui veut dire que la commission de Bruxelles ne partage pas la manière dont l'État français et EDF estiment qu'il faut mettre ces textes en œuvre. Ce sur quoi bloquent les négociations, ce n'est pas sur l'idée qu'il faudrait remettre en cause ce qui a été fait par soixante ans de construction européenne, trente-cinq ans d'Acte unique et plus de vingt ans de libéralisation du marché de l'électricité. Elles bloquent sur la manière dont sont mis en œuvre les textes fondateurs de l'Union européenne. Nous pouvons appliquer de façon intelligente ces textes tout en veillant à conserver un certain nombre de principes, qui sont pour nous essentiels et sur lesquels l'État français et moi ne transigerons pas.

J'entends ceux qui s'inquiètent, ceux qui manifestent, ceux qui ne participent plus aux instances de dialogue social tant qu'ils ne seront pas certains de ce qu'il se passera. Vous ne trouverez aucune déclaration dans laquelle les responsables politiques et le chef d'entreprise que je suis se sont écartés d'un certain nombre de principes. Nous nous battons de façon intense et coordonnée pour résoudre cette équation délicate et pour mettre en œuvre une réponse juridiquement stable et adaptée à notre besoin. Il n'y aura aucune privatisation. Il n'y aura aucun abandon de souveraineté puisqu'au contraire, nous écarterons la menace de voir des concessions qui ne soient plus exploitées dans le système hydroélectrique d'EDF. C'est donc plutôt un renforcement de notre souveraineté et du contrôle par la Nation.

En matière de structuration, nous avons étudié de nombreuses solutions, mais je n'en ai pas trouvé de meilleure que celle sur laquelle nous avons travaillé avec l'État, grâce à laquelle seraient protégés, préservés et peut-être inscrits dans la loi des sujets aussi importants que la détention capitalistique, la péréquation tarifaire et le rôle d'ENEDIS dans la distribution.

La mission qui m'a été confiée consistait à préparer une réforme portée par le Gouvernement, qui mettrait fin à l'ARENH et qui respecterait un certain nombre de ses principes. Une telle réforme ne se prépare pas dans le silence et dans le secret, mais, dès lors qu'il existe une négociation, il paraît naturel de ne pas arriver en mettant sur la table l'ensemble des données du problème. Tout au long des deux dernières années, la qualité du dialogue a évidemment dépendu des points qui nous paraissaient acquis et de ceux qui étaient encore en discussion.

S'agissant du dialogue avec les parlementaires, je suis déjà venu vous exposer les principes de la réforme fin 2019. Avec les organisations qui représentent les salariés au sein d'EDF, nous avons maintenu un dialogue permanent dès lors qu'elles l'ont bien voulu. Enfin, nous avons fait part à nos interlocuteurs des avancées dans la négociation lorsqu'elles nous paraissaient suffisamment claires et définitives. Lorsque nous avons estimé que le sujet de la quasi-régie était suffisamment avancé pour en faire état, nous l'avons rapidement fait pour démontrer que la négociation progressait. Monsieur Aubert, nous avons en effet découvert depuis peu la quasi-régie puisqu'elle est prévue par une directive très récente qui, pour l'instant, n'a été utilisée qu'une seule fois en France, par l'État, dans une autre activité. De la même manière, alors que nous avions plutôt assuré la promotion jusqu'à présent d'un prix pour la production nucléaire établi à l'intérieur de ce fameux « corridor », dès lors que la Commission nous a dit qu'elle préférait un prix fixe, nous en avons pris acte et avons diffusé cette information. Nous essayons de multiplier le dialogue, mais nous ne voulons pas que cette volonté affaiblisse nos positions, rende l'opération infaisable et signifie l'arrêt du projet de remplacement de l'ARENH.

L'ARENH est au cœur du sujet. Son prix est un enjeu essentiel puisque, pour EDF, il en va de la possibilité de se faire correctement rémunérer pour ses investissements passés et à venir sur le parc nucléaire. Les questions qui touchent aux conditions juridiques dans lesquelles pourrait s'exercer la régulation – dont je souligne qu'il s'agit d'une aide d'État – font aussi l'objet de discussions. Le troisième grand chapitre sur lequel portent les débats est celui de la gouvernance. Elle régit les relations entre les différentes parties d'EDF et s'apparente au thème du groupe intégré.

En ce qui concerne les liens capitalistiques, il est prévu qu'EDF Bleu détienne une large majorité du capital d'EDF Vert. J'ai eu l'occasion de proposer que le taux qui figure aujourd'hui dans la loi, de 30 % de détention d'EDF par des actionnaires tiers, soit retenu sur la part de capital qui pourrait ne pas être détenue par le secteur public dans la société EDF Vert. Je ne crois pas que le Gouvernement ait pris position sur ce sujet.

Les investissements qui sont permis par la réforme sont essentiels. Ils permettraient à EDF de jouer tout son rôle dans la transition énergétique. Je vous donnais l'exemple frappant du doublement du parc renouvelable que nous pourrions viser à l'horizon de 2030. Il s'agit de sommes importantes, qui sont de l'ordre de 15 à 20 milliards d'euros additionnels sur la période, et qui feraient beaucoup de bien à l'économie française.

Nous menons la bataille pour la taxonomie du nucléaire avec d'autres électriciens européens et je serais très heureux que des parlementaires et des partis français et européens se joignent à nous dans cette bataille. Nous espérons pouvoir compter sur toutes les forces qui croient au nucléaire dans la durée pour refuser cette aberration qu'est le projet de taxonomie, qui pourrait amener à ne construire au sein de l'Europe des vingt-sept que des centrales nucléaires d'origine extra-européenne.

En ce qui concerne la formation des tarifs réglementés, Mme Tuffnell a très justement insisté sur le couplage actuel entre le prix du TRV et la volatilité des matières premières fossiles. Votre analyse est exacte : si la réforme voit le jour, nous allons découpler le prix du TRV – en tout cas la composante « production » à l'intérieur du TRV – de la volatilité des matières premières et faire en sorte que ce prix reflète bien davantage le prix de la production nucléaire française et bien moins le prix des matières premières telles qu'elles s'échangent sur les marchés. Le remplacement de l'ARENH aurait donc des vertus de stabilisation et de moindre volatilité du prix. Les modes de calcul et les principes du TRV ne seraient pas modifiés.

Je salue le soutien que M. Quatennens a apporté à notre production nucléaire. Il faut faire reconnaître l'importance pour la France et pour l'Europe de ce parc nucléaire dans l'avenir décarboné, ainsi que le fait que la France soit d'ores et déjà l'un des meilleurs élèves en matière de contenu carbone de son électricité. Monsieur Quatennens, en abordant ce sujet, vous êtes au cœur de ce que nous cherchons à préserver : la compétitivité, puisque les prix français sont plus bas que ceux des pays voisins ; l'emploi, puisque le nucléaire est à la source de 220 000 emplois en France ; et la faiblesse des émissions de carbone.

La recherche et développement d'EDF se trouve dans une situation difficile puisque les contraintes qui pèsent dans notre compte d'exploitation du fait de l'ARENH nous ont imposé de réduire nos ambitions dans certains domaines. Si la réforme voit le jour, le groupe disposera d'opportunités plus nombreuses. Cette activité est une caractéristique très forte d'EDF, j'y tiens beaucoup et j'essaye de la préserver malgré les difficultés.

De nombreux chantiers du Grand carénage ont été arrêtés du fait de la crise de la covid-19, mais les grands objectifs de ce programme ne sont en rien changés. Nous dépensons un peu plus de 4 milliards d'euros par an pour prolonger la durée de vie de nos centrales nucléaires et pour améliorer leur niveau de sûreté. Certains programmes, lancés il y a quelques années, sont achevés et le Grand carénage se déroule conformément à nos objectifs.

Aucun changement n'y est prévu en ce qui concerne la nature des concessions sur le Rhin. Il n'est pas non plus prévu de modifier les règles en matière d'autoconsommation. L'autoconsommation est en effet un moyen important d'associer les Français à la politique de décarbonation et nous en faisons la promotion.

Un pas important a été fait ces derniers mois en ce qui concerne la possibilité de créer un technocentre à Fessenheim. À l'occasion du plan de relance, le projet de technocentre a été cité. S'agissant des conditions de fonctionnement et des débouchés, il y a aujourd'hui en discussion un projet de mise en œuvre en France, comme dans la quasi-totalité des pays européens, d'un seuil de libération qui permettrait aux produits issus du technocentre d'être commercialisés à nouveau dès lors que leur radioactivité serait inférieure à un seuil lui-même inférieur à la radioactivité naturelle.

En conclusion, il me paraît évident que, si les discussions avec la Commission européenne avancent et se concluent, il faudra une grande campagne d'explication du Gouvernement et de l'entreprise EDF auprès de leurs parties prenantes. Je voudrais en particulier rassurer les autorités concédantes qui s'inquiètent – de façon totalement infondée, à mes yeux – d'une réforme qui, en fait, ne va rien changer. Je leur dirais même que c'est le statu quo qui me paraît dangereux parce que la protection d'ENEDIS dans une EDF affaiblie serait bien moins bonne que si EDF était renforcée.

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