Je commencerai, Madame la députée Rossi, par revenir sur votre emploi du terme d'inquiétude, que je comprends évidemment. À la place qui pourrait être la mienne, je n'utiliserais toutefois pas un tel mot. J'estime nécessaire une attention permanente, notamment à la maîtrise des risques, car j'y vois une notion clé de la réussite du projet. Je serai d'ailleurs amené à l'évoquer encore à propos d'un certain nombre de questions, tant elle s'avère essentielle à une maîtrise d'ouvrage de ce type. Les risques ont-ils été bien analysés au départ ? Est-on capable de les actualiser suffisamment ? Quelle est la nature du dialogue noué avec les entreprises conduisant les chantiers ? Tous ces points m'apparaissent déterminants. Voilà pourquoi je ne veux pas commencer par laisser supposer de l'inquiétude de ma part ; simplement une vigilance permanente.
Plusieurs questions ont porté sur l'association des élus ; un point essentiel correspondant à une part significative de ma vie professionnelle. Au cœur de mes fonctions de sous-préfet ou de secrétaire général pour les affaires régionales résidaient le dialogue et l'échange avec les élus. Je ne le mentionne pas uniquement au titre de mon expérience mais de mes convictions. Aucun projet d'une telle nature n'est possible sans cela. M. Bricout a souligné la nécessité d'associer les citoyens au projet. Je n'envisage pas d'entamer un dialogue avec ceux-ci sans passer par les élus. La réussite du projet en dépend. Territorial par nature, il aura un impact, en termes de nuisances notamment, à un échelon territorial. Il sera donc impératif de s'y atteler d'abord en concertation avec les élus.
Vous m'avez également interrogé, Madame Rossi, sur la sécurisation des financements. L'essentiel me semble ici la maîtrise des risques. L'existence même, à l'intérieur de la SGP, d'un dispositif robuste, solide, permanent de maîtrise des risques marque un pas en avant. En toute transparence, ce dispositif était selon moi encore perfectible. Il y a trois ans, d'après ce que je comprends aujourd'hui de sa consistance, il s'est notablement professionnalisé. Je suis bien sûr incapable à ce stade de juger de sa nature et de son efficacité, néanmoins mon ressenti est positif.
Au sujet des ressources humaines, je ne dispose pas d'éléments sur la rotation du personnel. En tant que président du conseil d'administration d'un autre établissement public, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, je suis confronté, quoiqu'indirectement, mes fonctions n'étant pas exécutives, à ce problème aigu. Je me garderai quoi qu'il en soit de trop inférer d'une telle comparaison, qui n'a de toute façon pas lieu d'être. Les conditions de recrutement à la SGP sont particulières. Avant même la question du turn-over se pose celle de la capacité à drainer vers la SGP des compétences parfois extrêmement pointues, souvent techniques et la plupart du temps de très haut niveau. Il convient d'y rester vigilant. J'ai quelques idées sur la manière de gérer cette difficulté. La direction des ressources humaines ou ce qui en tient lieu à la SGP – vous noterez que je ne suis pas encore au fait de son organigramme – fera l'objet de ma plus vive attention. La SGP envisage de recruter 250 personnes au cours des dix prochains mois. Il va de soi que le président de son directoire ne peut pas ne pas en tenir compte.
Monsieur Sermier, vous avez soulevé la question cruciale de notre capacité à être prêts pour les Jeux olympiques et paralympiques. L'aveu de mon incapacité à vous fournir une réponse définitive à ce stade vous décevra, je le sais. Il serait imprudent, malvenu, déplacé de ma part, avant ma nomination, sans avoir même pu mettre les pieds à la SGP pour en consulter les dossiers ou échanger avec les uns et les autres, de me prononcer à ce propos. N'aimant cependant pas laisser en suspens une question, je vous ferai part de ma vision de ce dossier.
D'abord, l'échéance des Jeux olympiques et paralympiques n'implique pas uniquement la réalisation de la ligne 16 ou du tronçon 16-17 mais aussi celle de la ligne 14 et de cet équipement structurant fondamental qu'est la gare de Pleyel. Les différents chantiers n'en sont pas au même degré d'avancement. La récente inauguration du 14 décembre a envoyé un signal plutôt positif quant à la ligne 14 et son prolongement nord. Je crois comprendre que le calendrier reste tendu. Là encore, la maîtrise des risques à très court terme demeure un enjeu crucial. Au vu des informations dont je dispose, le rendez-vous des Jeux olympiques et paralympiques devrait être honoré.
Où en sommes-nous des lignes 16 et 17, du tronçon entre Pleyel et Le Bourget, ainsi que des équipements eux aussi nécessaires aux Jeux olympiques et paralympiques ? Le Premier ministre a tenu en février 2018, dans un contexte de crise, une conférence de presse à l'origine d'un recalage des calendriers. La feuille de route qualifiait alors déjà de tendu le tronçon 16-17 tout en l'envisageant comme livrable à temps pour les Jeux olympiques. Nous savons qu'il n'en ira pas ainsi. Le tronçon 16-17 Le Bourget-Pleyel tel qu'envisagé à l'origine ne sera pas opérationnel en 2024. La nouvelle a d'ailleurs déjà été rendue publique.
Entre-temps se sont déroulés les événements que vous connaissez depuis mars 2020. Ils ont entraîné une interruption totale, et selon moi judicieuse, d'un mois, due au confinement, du 17 mars à la mi-avril, des chantiers de la SGP. Cette interruption n'a pas été la seule à bouleverser les délais de livraison des chantiers. Dans un projet de cette nature, le moindre retard, par le biais d'un effet domino, se traduit par la désynchronisation des chantiers voire le renoncement à une intervention, possible uniquement dans une fenêtre de temps qui ne se rouvrira qu'ultérieurement.
En somme, d'après les évaluations actuelles que j'utilise avec prudence, les retards sur les chantiers du Grand Paris Express s'étalent entre trois et neuf mois selon les lignes, les tronçons et les travaux ; et ce, avant mesures correctrices. Les retards dans la réalisation du tronçon 16-17 Le Bourget-Pleyel ne découlent pas uniquement des aléas survenus depuis février 2018. Quoi qu'il en soit, il ne sera pas achevé dans les délais sous l'aspect que prévoyait la feuille de route 2018.
Des solutions dégradées ont été envisagées. Elles ont fait l'objet d'études, de travaux et sont encore en cours d'analyse. Il faudra clairement prendre des décisions qui supposeront des arbitrages selon deux critères : les moyens de pouvoir honorer, y compris en recourant à ces solutions dégradées, le rendez-vous des Jeux olympiques et paralympiques – un moment de visibilité maximale de notre pays et de sa capacité à mener à bien des chantiers de ce type – mais aussi la qualité de ces solutions dégradées et leurs conséquences sur l'ensemble du projet. Je regrette de ne pouvoir donner d'éléments plus précis. Ces sujets figureront en tête de mon agenda personnel si ma nomination se confirme.
La question du rayonnement et des retombées de la crise sanitaire me permettra d'aborder les missions, les fonctions et le rôle de la SGP en matière d'aménagement et d'urbanisme. La loi et le décret de 2010 ont logiquement et judicieusement confié à la SGP des prérogatives d'établissement public d'aménagement. Il aurait été inopportun de ne pas attribuer une telle compétence au maître d'ouvrage d'un équipement prévoyant la construction de 68 gares. La décision relève d'un principe de cohérence.
J'offrirai à ce propos un exemple personnel. Habitué à mettre depuis trente ans mon vélo dans un train, du fait des contraintes de ma vie personnelle et professionnelle, je me considère comme un pratiquant fanatique de l'inter-modalité. Je me suis souvent heurté aux difficultés que présente ce type de déplacements. Voici 30 ans, il était impossible de mettre un vélo dans un train sous peine d'être verbalisé. La situation a heureusement changé mais la question demeure cruciale. Je l'aborde car elle rejoint toutes celles qui supposent un principe de cohérence et justifient l'intervention de la SGP dans ces questions d'aménagement.
C'est, dès le départ, en fonction de la qualité et de la nature du réseau d'infrastructures, qu'il faut concevoir les réaménagements urbains et la requalification des gares et des quartiers qui les entourent, pour rendre l'équipement agréable, confortable, utile et efficace du point de vue de l'usager. La SGP assume en matière d'aménagement et d'urbanisme un rôle crucial. Il en va de la cohérence du projet, de son utilité à terme et de la qualité de sa réalisation.
Je veillerai en outre au respect d'un principe de complémentarité. L'Île-de-France compte un certain nombre d'aménageurs publics compétents. Je retrouverai avec plaisir le directeur de Grand Paris aménagement, avec qui j'ai commencé à échanger. La mission qui m'est proposée à la tête de la SGP requiert une attention permanente dans un esprit de coopération intelligente.
Je rappelle enfin, en guise de réponse à la dernière question de M. Sermier, que nous avons affaire à un projet de développement durable. Le projet Grand Paris Express ne saurait être conçu « hors-sol » mais au contraire dans sa dimension globale en lien avec l'aménagement du territoire et le développement durable.
J'en viens aux questions de M. Millienne sur les contraintes financières et les retards. J'ai eu connaissance de retards de trois à neuf mois dus à la crise pandémique. Quant aux économies et à leurs éventuelles conséquences sur le calendrier et les dessertes, je me reporte à la feuille de route de 2018 chargeant la SGP de trouver une trajectoire de coût permettant des économies.
Le rapport remis fin 2017 par la Cour des comptes, et confirmé par la suite par une expertise indépendante, pointait entre autres lacunes l'insuffisance des provisions pour risques. Le chiffrage de 35,1 (ou 35,6 selon le rapport du Sénat) milliards d'euros de coût à terminaison les prend bien évidemment en compte. Le travail sur la maîtrise des coûts supplémentaires évoqué dans la feuille de route de 2018 consiste d'abord à recaler le niveau des provisions. Je ne considère pas encore qu'il faille sortir de ce cadrage. Ces programmes de réduction de coût consistent en l'identification de toutes les pistes d'économies possibles sans pour autant menacer la consistance du projet. Ils ont donné lieu à un travail de fourmi. Le moindre élément du plan a fait l'objet d'une expertise détaillée ayant débouché sur des milliers de propositions d'économies. L'étude des 700 pistes de réduction de coût repérées à l'intérieur du projet se poursuit jour après jour. Voilà où nous en sommes. Une telle manière de procéder me semble judicieuse. Selon ce que je constaterai à mon arrivée, je poursuivrai dans cette voie.
Pour en terminer avec votre question, Monsieur Millienne, je soulignerai que, dans mon esprit, cette recherche permanente de maîtrise des coûts passe par la préservation de la consistance du projet, impliquant elle-même celle du calendrier ainsi que la maîtrise des risques, dont j'ai fait mon mantra ce matin.
Monsieur Bricout, je vous prie de me pardonner mon incapacité à donner des réponses complètes à vos questions d'une extrême importance. Je me ferai un plaisir de revenir vous apporter plus de précisions dans quelques mois.
La question des déblais m'apparaît cruciale puisque les chantiers ont déjà produit un tiers des 45 millions de tonnes attendues. Se pose dès lors la question de leur transport. Vous avez évoqué votre intérêt pour le transport fluvial. La SGP a naturellement pour objectif d'y recourir aussi souvent que possible. Selon les informations à ma disposition, la dynamique a bien été engagée. Il faudra continuer en ce sens. On songe tout de suite, quand il est question de déblais et de développement durable, au transport ferroviaire, mais nul ici n'ignore sa complexité en Île-de-France. Si la capture des sillons ferroviaires dans la région était un chemin semé de roses, je ne crois pas qu'aurait germé l'idée d'y construire un réseau supplémentaire. Le réseau francilien est largement saturé, y compris en fret. Ce n'est pas une raison suffisante pour ne pas envisager cette piste. Seulement, elle m'apparaît difficile à exploiter, et le directoire, de même que l'ensemble des équipes de la SGP, devront s'y montrer attentifs.
La SGP s'est fixé pour objectif de valoriser 70 % des déchets. En tant qu'ancien commissaire du Gouvernement auprès de l'ADEME, je sais qu'un sujet d'une complexité à la fois technique et politique comme la valorisation des déchets doit être traité en lien étroit avec les élus. Il m'a semblé que c'était déjà le cas. Quoi qu'il en soit, l'objectif de 70 % des déchets valorisés me semble extrêmement ambitieux. Il faudra s'y tenir.
Nous ne l'atteindrons pas sans une capacité d'innovation, qui me paraît d'ailleurs inscrite dans l'ADN de la SGP. Je me rappelle des discussions passionnées avec celle qui en était alors la première directrice environnementale. Avec ses équipes, elle s'est d'emblée lancée dans la construction d'un modèle spécifique (CarbOptimum, aujourd'hui utilisé par d'autres chantiers) d'analyse de l'empreinte carbone, étape par étape, l'environnement ayant toujours été au cœur des préoccupations de la SGP. Il faudra cultiver cet esprit d'innovation, de recherche de solutions à la fois transposables et adaptées aux contraintes de la SGP. Tous les organismes susceptibles de participer à cette réflexion doivent s'y associer. Le traitement des déblais présente un enjeu financier qui n'est pas mince ; raison de plus pour y prêter attention.
J'ai tenté d'apporter quelques éléments de réponse sur le rôle de la SGP en matière d'aménagement. À ce jour, les Franciliens n'en voient que d'énormes chantiers de gares, sources de nuisances, même si beaucoup d'initiatives visent à limiter celles-ci. Je m'attellerai dès mon arrivée à l'étude du potentiel de développement des gares et aux possibilités de les envisager dans leur ensemble. Ceci passera par le dialogue avec les riverains. Mes premiers interlocuteurs n'en resteront pas moins les élus. J'ai cru comprendre qu'existaient d'ores et déjà à la SGP des dispositifs associant au projet les riverains. Des équipes vont à leur rencontre sur les chantiers. Là non plus, je n'inventerai rien mais poursuivrai dans cette voie.
Vous m'avez demandé, d'une part, si la stratégie globale en matière de besoins de financement était tenable, et d'autre part, ce que je pensais de cette stratégie de préfinancement par emprunt.
Je porte sur elle une appréciation positive. Je trouve intelligent d'avoir profité de taux d'intérêt historiquement faibles pour sécuriser ce financement, dans l'idée de plus de visibilité sur les décaissements à l'échéance 2027. Je ne reviendrai pas en détail sur le modèle financier. Un effort manifeste y a été consacré à l'occasion du tournant 2018. Sera-t-il suffisant ? Les débats sur la loi de finances 2021 ont fourni l'occasion de s'interroger à ce propos. Le rapport de Gilles Carrez évoquait un besoin de financement annuel de l'ordre de 250 millions d'euros, basé sur les ressources liées aux recettes fiscales que vous connaissez.
Ce chiffre ne correspond pas tout à fait à ce qui a finalement été décidé, même si un effort conséquent a été consenti. Des questions continuent assurément de se poser. Leur réponse ne viendra pas dans l'immédiat, du fait de la stratégie suivie, mais elle sera apportée dans la transparence puisque la SGP, constituant de la dette publique, se trouve sous le contrôle du Parlement. L'occasion me sera sans doute donnée de venir devant vous et vos collègues évoquer régulièrement cette question de la soutenabilité de la dette à l'échéance 2070. Ce sujet d'une grande complexité, très étudié depuis onze ans, fera l'objet de prochains rendez-vous cruciaux.