Intervention de Jennifer De Temmerman

Réunion du mercredi 31 mars 2021 à 11h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJennifer De Temmerman, rapporteure :

Madame la présidente, chers collègues, je suis heureuse de vous présenter le fruit d'un long travail sur les objectifs de développement durable. Les objectifs de développement durable, couramment appelés ODD, sont au nombre de dix-sept : dix-sept propositions pour un avenir plus durable, solidaire, démocratique et responsable, un avenir où l'on cesserait d'opposer écologie, économie et social. Adoptés le 25 septembre 2015 par les cent quatre-vingt-treize États de l'Organisation des Nations Unies (ONU), ils ne sont pas une construction abstraite mais une matrice opérationnelle pour repenser notre société et nos politiques. Il suffit pour s'en rendre compte d'aller voir les cibles et les indicateurs proposés.

Parfois éclipsé par l'accord de Paris sur le climat, l'agenda 2030 constitue un formidable travail, résultat de négociations intenses entre gouvernements et acteurs de la société civile. Les ODD ne concernent pas que la lutte contre le changement climatique, mais également l'accès à des emplois décents (objectif 8), la promotion d'infrastructures résilientes et d'une industrialisation durable (objectif 9), la réduction des inégalités (objectif 10), la consommation et la production responsables (objectif 12) ou encore la vie aquatique et terrestre (objectifs 14 et 15).

Les ODD constituent ainsi une base référentielle, un langage commun, dans lequel les acteurs publics et privés peuvent trouver des orientations susceptibles de guider leurs initiatives législatives, sociales, économiques et environnementales. Malheureusement, selon le bilan 2019 publié par le réseau Sustainable Development Solutions Network (SDSN) pour l'ONU, aucun pays ne suit actuellement une trajectoire alignée avec l'atteinte des 17 ODD et même les États les mieux notés éprouvent de sévères difficultés. La France est notamment en retard sur les ODD 8, 12 et 13, relatif à la lutte contre le changement climatique, ce qui appelle à renforcer les actions en faveur d'un développement plus juste et plus vertueux sur le plan écologique et de la lutte contre les inégalités. Aujourd'hui plus que jamais, alors qu'il nous reste moins de dix ans, le sujet est d'une actualité brûlante.

La pandémie ne les fait pas passer au second plan, bien au contraire. Comment ne pas être frappé par les cibles de l'objectif 3 « bonne santé et bien-être » : mettre fin aux grandes épidémies, renforcer la résilience des systèmes sanitaires, développer l'accès aux médicaments et aux vaccins, renforcer les moyens dont disposent les pays en matière d'alerte rapide, de réduction des risques et de gestion des risques sanitaires nationaux et mondiaux ?

À ce jour, les ODD n'ont pas de valeur contraignante directe dans l'ordre juridique. Certes, le développement durable a déjà une valeur constitutionnelle puisque cette notion a été intégrée en 2004 dans la Charte de l'environnement, composante du bloc de constitutionnalité. La loi décline même une série de principes et d'objectifs qui sont ceux de la Charte, notamment le principe du pollueur-payeur ou le principe de précaution. Il est temps de mettre en œuvre des dispositifs concrets. Ces ODD, cet agenda 2030, certains d'entre vous le savent, je les ai défendus, en me sentant parfois seule, au départ, avant la création d'un groupe d'études dédié – certains m'appelaient même « Madame ODD ». Sans doute en ai-je ennuyé plus d'un parmi vous…

Aujourd'hui, nous sommes de plus en plus nombreux à nous emparer du sujet. C'est une bonne chose, et l'exposition de janvier est un symbole magnifique que nous avons adressé collectivement à la nation. Je tiens encore à remercier ceux qui, dans le groupe d'études, m'ont aidée et accompagnée dans ce projet. Je remercie également ceux qui ont cosigné le texte de la proposition de loi que nous étudions aujourd'hui. Nous avons appelé de nos vœux la prise en compte des ODD dans les entreprises, les politiques publiques et nos travaux à l'Assemblée, que ce soit avec la proposition de résolution de notre collègue Aina Kuric, adoptée cet hiver, ou lors de l'exposition et de la conférence, hélas en comité restreint du fait de la crise sanitaire. Hier, Mme la ministre Barbara Pompili a déclaré dans l'hémicycle qu'il fallait donner plus d'importance aux ODD. C'est ce que propose ce texte, en toute humilité : concrétiser une partie des engagements pris dans la résolution et réaliser le vœu de la ministre.

La proposition de loi répond à trois objectifs principaux : encourager les acteurs privés à s'approprier encore plus formellement les ODD ; renforcer le contrôle de la conformité des politiques publiques aux ODD ; se doter de nouveaux outils parlementaires et administratifs permettant un suivi plus efficace des ODD. Bien sûr, pour satisfaire ces ambitions, il faudrait aller plus loin. C'est pour cela que la proposition de loi ordinaire que nous examinons ce matin appartient en réalité à un triptyque comportant une proposition de loi constitutionnelle et une proposition de loi organique.

L'article 1er vise à intégrer les objectifs de développement durable dans le champ des informations extra-financières défini à l'article L. 225-102-1 du code de commerce. En effet, l'inflation des labels volontaires est problématique, lorsqu'ils n'adoptent pas le même mode de fonctionnement ou d'évaluation. Il faut donc rationaliser et définir un langage commun. Néanmoins, cette intégration des ODD devra se faire de manière non contraignante, en laissant le choix aux entreprises de sélectionner les indicateurs les plus pertinents pour juger de leur activité propre.

Par amendement, je vous proposerai d'aller plus loin, en ajoutant un article. De nombreux amendements ont été déposés à ce sujet sur le projet de loi « climat et résilience » actuellement examiné en séance. Or ils n'y auraient, paraît-il, pas toute leur place. Ma proposition de loi arrive ainsi à point nommé pour donner corps à ces ambitions et satisfaire les demandes des associations et des entreprises engagées pour le développement durable, comme celles du Global Compact, qui réunit près de 12 000 entreprises à travers le monde, dont Roquette ou Danone sur mon territoire, Pernod Ricard, Suez, Veolia ou des PME comme les cafés Méo ou Acteos.

L'article 2 prévoit que la Cour des comptes peut, dans le cadre de sa mission d'évaluation, contrôler la conformité des politiques publiques aux ODD. Je suis cependant consciente que les missions de la Cour sont définies constitutionnellement et que la modification que je propose pourrait nécessiter une révision constitutionnelle. En tout état de cause, la question soulevée ici est celle du contrôle de la conformité des politiques publiques aux ODD signés par la France. Il faut des organes capables d'assurer la transversalité du contrôle. Je sais que notre collègue Erwan Balanant a proposé une disposition proche de la mienne dans le cadre du projet de loi « climat et résilience ».

Les articles 3 et 4 prévoient un alignement du vocabulaire législatif sur la notion d'objectifs de développement durable au lieu de la seule mention du développement durable, afin d'insister sur le caractère économique et social des ODD.

L'article 5 propose la création d'une nouvelle délégation parlementaire consacrée au suivi des objectifs de développement durable à l'Assemblée nationale comme au Sénat. Son fonctionnement et sa composition seraient classiques puisque l'ensemble des groupes parlementaires et des commissions permanentes seraient représentés proportionnellement. En complément des commissions permanentes, elle permettrait de mieux appréhender le caractère transversal et le suivi des ODD. Lors de la discussion générale sur le projet de loi « climat et résilience », hier, j'ai entendu soulever à plusieurs reprises, y compris dans la majorité, la question de l'évaluation des politiques publiques et des textes de loi sous l'angle de la lutte contre le changement climatique, l'acceptation sociale ou encore la biodiversité. Ce que je vous propose aujourd'hui, c'est une évaluation qui permette de prendre en compte tous ces aspects.

Enfin, l'article 6 vise à instaurer un Conseil national du développement durable, présidé par le Premier ministre ou son représentant, en remplacement du Conseil national de la transition écologique (CNTE). En confiant ainsi la responsabilité de la présidence du Conseil au Premier ministre et non plus au seul ministre chargé de l'écologie, cet article place au plus haut niveau de l'État la responsabilité de donner un avis sur les projets de loi et les stratégies gouvernementales ayant un impact sur l'environnement ou le développement durable. Il cherche également à alerter sur la multiplicité des acteurs concourant désormais à la production d'avis et de connaissances concernant les objectifs de développement durable.

Je sais pouvoir compter sur votre engagement pour les ODD et je vous remercie de votre attention.

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