Si l'on voulait paraphraser Proudhon, on pourrait dire que la publicité, c'est le viol : le viol de notre temps de cerveau disponible, le viol de l'espace public, parfois même le viol de l'esprit de nos enfants, incités à consommer par des techniques de manipulation très perfectionnées. Certes, des évolutions législatives très récentes vont dans le bon sens, comme l'obligation d'indiquer l'étiquette énergie des voitures dans les publicités. Cependant, une personne reste exposée chaque jour à un flux allant de 1 200 à 2 200 messages publicitaires. La publicité est partout – sur nos écrans, sur nos routes, dans nos villes, nos gares et nos aéroports, et jusque dans nos toilettes, comme l'a rappelé notre collègue François Ruffin. La publicité nous vante un mode de consommation débridée comme modèle d'épanouissement individuel. Elle nous éloigne en permanence de l'objectif d'une consommation sobre et responsable. Elle vise non à informer, mais à susciter l'envie.
Quant aux publicités numériques et lumineuses, elles ajoutent de nouvelles formes de pollution visuelle et des dépenses énergétiques aisément évitables à l'encombrement de nos esprits. Un panneau numérique de deux mètres carrés consomme 7 000 kilowattheures par an, ce qui équivaut à la consommation annuelle d'un foyer avec un enfant. Or, comme Delphine Batho l'a rappelé dans l'exposé des motifs de sa proposition de loi relative à l'interdiction de toute forme de publicité numérique et lumineuse dans l'espace public, on compte déjà plus de 704 écrans numériques dans le métro parisien. Ils se multiplient également à Lyon, à Rennes et dans de nombreuses autres villes.
En outre, les marques dépensent des fortunes pour influer sur nos choix de consommation ou de non-consommation : 31 milliards d'euros ont été dépensés en 2019, dont plus de 4,3 milliards pour le secteur automobile – autant d'argent qui n'est pas consacré aux investissements nécessaires à la transition écologique. Même les promoteurs de la concurrence libre et non faussée devraient rejeter la publicité, puisqu'elle est surtout l'affaire de quelques grandes multinationales qui renforcent leur position hégémonique sur le marché. En effet, seulement 1 % des 3 millions d'entreprises en France ont accès au marché publicitaire, et à peine plus de 600 d'entre elles, soit 0,02 %, représentent 80 % des dépenses publicitaires engagées. Plus grave encore, une étude comparative menée dans plusieurs pays – Australie, Royaume-Uni, Italie, Pays-Bas, États-Unis – auprès d'enfants âgés de 6 à 11 ans a montré que l'exposition à la publicité alimentaire télévisée contribuait à la prévalence de l'obésité des enfants, dans des proportions allant de 4 à 40 % selon les pays.
Que faisons-nous face à ce désastre ? Derrière les mots, il n'y a que des demi-mesures. Certes, le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets pose le principe de l'interdiction de la publicité en faveur des énergies fossiles, mais celle-ci est marginale : c'est la publicité sur les produits qui utilisent ces énergies fossiles qu'il faudrait cibler. Pour ces derniers, tout est renvoyé à des dispositifs d'autorégulation et des codes de bonne conduite assez peu efficaces.
Comme les mentions légales, ces dispositifs reposent sur la responsabilité individuelle, au lieu de mettre l'accent sur la responsabilité juridique des producteurs et des diffuseurs. Mme la ministre Barbara Pompili a résumé cette vision libérale en indiquant qu'à ce stade, le Gouvernement privilégiait, plutôt que des interdictions, une approche fondée sur l'information du consommateur et des codes de bonne conduite, promue par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA).
Pourtant, un cadre légal a autrefois permis d'interdire la publicité sur l'alcool et le tabac, pour des raisons de santé publique. Une nouvelle loi Évin doit aujourd'hui s'appliquer aux produits et aux pratiques nocives à l'environnement et à la santé, physique et psychique, des êtres humains, car les risques que le changement climatique et nos modes de production et de consommation font courir ne peuvent être contestés.
Les Français sont prêts à des mesures plus ambitieuses : 65 % d'entre eux sont favorables à l'interdiction des publicités pour les marques contribuant au changement climatique. Tel est le sens de la proposition de loi, dont l'article unique est composé de trois parties distinctes.
Les trois premiers alinéas visent à interdire toute publicité numérique et lumineuse ainsi que l'affichage de publicités commerciales dans les gares, aéroports et stations de transport public de personnes. Nous assumons de proposer des interdictions dans ces espaces collectifs. L'interdiction n'a rien d'inédit dans sa logique : la loi prévoit déjà certaines interdictions d'affichage publicitaire en dehors des lieux qualifiés d'agglomérations, dans les espaces naturels ou sur les monuments historiques. Quant aux publicités lumineuses ou numériques, elles sont déjà encadrées par des règles particulièrement complexes, qui imposent par exemple leur extinction d'une heure à six heures du matin. Les interdire purement et simplement permettra de simplifier le dispositif.
Les dix alinéas suivants posent les fondements d'une « loi Évin climat », qui interdit notamment les publicités relatives aux véhicules les plus polluants, aux vols aériens entre deux villes métropolitaines, aux téléphones portables ou à l'eau en bouteille plastique jetable. Ces interdictions sont ciblées sur des produits ou des pratiques dont la nocivité pour l'environnement n'est plus à démontrer. La logique de ces alinéas n'est donc pas différente de celle de l'interdiction de la publicité pour les énergies fossiles : elle est simplement étendue à d'autres produits ou pratiques, tout aussi nocifs, et dont les messages publicitaires sont plus nombreux.
Les trois derniers alinéas encadrent la publicité relative à la malbouffe à destination des enfants. Elle propose de limiter la publicité aux produits alimentaires et boissons classés A ou B sur l'échelle du nutri-score, qui deviendrait obligatoire pour les produits de ce type.
En février 2019, l'Assemblée nationale a adopté une proposition de loi visant à améliorer la qualité nutritionnelle des aliments et à encourager les bonnes pratiques alimentaires. Déposée par le groupe La France insoumise, adoptée par la majorité dans une version remaniée, elle attend toujours d'être discutée au Sénat. Elle imposerait de mentionner le nutri-score de tous les produits alimentaires.
La présente proposition de loi va plus loin pour lutter contre la malbouffe puisqu'elle réserve le droit de faire de la publicité aux produits alimentaires ou boissons ayant un nutri-score A ou B. Dans un pays qui compte 49 % de personnes en surpoids, dont 17 % d'obèses, adopter une telle réglementation constitue un enjeu majeur de santé publique.
Rappelons aussi que l'Organisation mondiale de la santé recommande l'interdiction de la publicité à destination des enfants pour des produits trop gras, trop sucrés, trop salés. Aujourd'hui, les engagements volontaires sous l'égide du CSA n'ont pas donné de résultats significatifs. Quant à la loi relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique, dite « loi Gattolin », elle s'avère insuffisante. Il est grand temps de mettre le droit en accord avec le savoir et les recommandations formulées de manière convergente par les scientifiques, les institutions et les associations.
Enfin, je veux dissiper les craintes concernant la validité juridique des dispositions proposées. Dans une décision du 8 janvier 1991 sur la loi relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme, le Conseil constitutionnel a considéré que « la liberté d'entreprendre n'est ni générale ni absolue », et qu'« il est loisible au législateur d'y apporter des limitations exigées par l'intérêt général à la condition que celles-ci n'aient pas pour conséquences d'en dénaturer la portée ». C'est pourquoi la loi Évin a pu interdire toute publicité, directe ou indirecte, en faveur du tabac, et encadrer fortement celle en faveur des boissons alcoolisées. L'article 6 de la Charte de l'environnement, de valeur constitutionnelle, prévoit que les politiques publiques « concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social ». La liberté d'entreprendre n'est donc pas au-dessus de l'exigence de préservation de l'environnement, d'autant que, dans une décision du 31 janvier 2020, le Conseil constitutionnel a consacré la protection de l'environnement comme objectif de valeur constitutionnelle, au même titre que la protection de la santé. Cela peut justifier des limites au principe de traitement égalitaire entre les produits. C'est d'ailleurs bien cette logique que le Gouvernement applique en interdisant la publicité pour les énergies fossiles.
Enfin, les restrictions de publicité dans certains espaces publics existent déjà. Nous voulons juste les étendre dans d'autres lieux que nous considérons comme des lieux collectifs devant être protégés d'un matraquage publicitaire subi et non choisi. La liberté d'expression ne saurait exister sans la liberté de réception.
Les propositions contenues dans ce texte rejoignent largement les préoccupations exprimées par la Convention citoyenne pour le climat. Elles sont ciblées, soit sur des lieux collectifs qui exigent une protection, soit sur des pratiques ou des produits dont la nocivité pour l'environnement est avérée. Elles ne courent donc pas le risque d'une censure, contrairement à des interdictions générales disproportionnées et non ciblées. Il nous revient de nous saisir de cette occasion, une fois de plus, pour opérer un véritable changement de paradigme.