Intervention de Vincent Thiébaut

Réunion du mardi 25 mai 2021 à 18h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVincent Thiébaut, rapporteur :

Je tiens à saluer le travail et l'engagement des parlementaires du Sénat, en particulier M. Patrick Chaize, auteur de la proposition de loi, et les rapporteurs MM. Guillaume Chevrollier et Jean-Michel Houllegatte. Ce texte fait suite à une mission parlementaire riche, sur un sujet qui fait l'objet de préoccupations croissantes.

S'il est indéniable que le numérique permet d'importants gains environnementaux – à l'image des visioconférences, qui se sont multipliées ces derniers mois, les technologies numériques, en réduisant la mobilité, permettent d'éviter des émissions de gaz à effet de serre (GES) – il a un impact, direct ou indirect, sur l'environnement. Le secteur représente près de 4 % des émissions de GES dans le monde – 2 % en France –, soit 15 millions de tonnes de CO2 en 2019. On estime que ce chiffre pourrait atteindre 24 millions en 2040, soit une croissance de 60 %. Il est donc urgent d'agir.

Le premier enjeu est celui de la bonne connaissance de l'impact environnemental du numérique et de la sensibilisation des utilisateurs. C'est l'objet du chapitre Ier de la proposition de loi. La formation des élèves à l'utilisation des outils et des ressources numériques doit comporter une sensibilisation à l'impact environnemental et inciter à la sobriété numérique, ce que prévoit l'article 1er. L'article 2 vise à généraliser les modules relatifs à l'écoconception au sein des formations d'ingénieur en informatique. Je pense qu'il faut aller plus loin et proposer cet enseignement dans les formations de niveau bac + 2 en informatique, dans les écoles de commerce ou d'architecture. Il convient aussi d'améliorer la connaissance de l'empreinte environnementale du numérique. L'observatoire de recherche des impacts environnementaux du numérique, que vise à créer l'article 3, nous permettra de disposer de données objectives et fiables.

Près de 80 % des impacts sont liés aux terminaux – smartphones, tablettes, ordinateurs portables – et 70 % à leur fabrication. Le chapitre II de la proposition de loi vise donc à limiter leur renouvellement en proposant une série de mesures qui viennent compléter celles inscrites dans la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (AGEC). Il s'agit de mieux lutter contre l'obsolescence programmée, en supprimant, à l'article 6, l'un des deux critères d'intentionnalité nécessaires pour caractériser ce délit. C'est une avancée majeure puisque la définition de l'obsolescence programmée rend impossible aujourd'hui toute condamnation sur ce motif. L'article 7 prévoit par ailleurs d'y intégrer l'obsolescence logicielle. Ces dispositions complètent utilement les articles 25 à 28 de la loi AGEC.

Les articles 8 à 11 permettent de faciliter l'installation et la désinstallation de mises à jour et d'améliorer les droits des consommateurs. Quant à l'article 12, il prévoit que les objectifs de recyclage, de réemploi et de réparation fixés par les cahiers des charges des éco-organismes de la filière des déchets d'équipements électriques et électroniques sont déclinés de manière spécifique pour certaines catégories d'équipements numériques, comme les téléphones ou les tablettes. Cette distinction est importante car ces produits sont aujourd'hui mal recyclés.

Afin de ne pas freiner le développement de la filière des appareils reconditionnés, l'article 14 bis B inscrit dans la loi le non-assujettissement de ces appareils à la rémunération pour copie privée, dès lors que ces équipements ont déjà donné lieu à une telle rémunération. Enfin, l'article 14 bis vise à renforcer l'information du consommateur sur les offres de mobiles subventionnés, qui associent l'achat d'un téléphone portable à la souscription d'un forfait mobile pendant une période d'engagement allant souvent jusqu'à vingt-quatre mois. Ces offres induisent un renouvellement forcé des appareils. Je souhaite que nous profitions de l'examen du texte en commission pour avancer encore sur cette question du renouvellement des terminaux et vous proposerai plusieurs amendements en ce sens.

Le chapitre III de la proposition de loi vise à développer des usages plus vertueux du numérique. L'utilisation des réseaux, en particulier mobiles, est en forte hausse, puisque le trafic de données double tous les trois ans en France. L'article 16 crée une obligation d'écoconception des services numériques en ligne, applicable aux plus gros utilisateurs de la bande passante. En France, ils ne sont qu'une quinzaine d'acteurs à se partager 80 % du trafic ! Cette obligation s'accompagne d'un référentiel général de l'écoconception, défini par voie réglementaire afin d'être souple et adaptable aux mutations, souvent rapides, du numérique. Toutefois, la difficulté tient au fait que ces acteurs ne sont pas toujours des entreprises françaises et qu'ils ne sont donc pas forcément soumis au droit français.

En parallèle, l'article 16 bis introduit une obligation d'information des utilisateurs de plateformes de vidéos à la demande sur l'impact environnemental du visionnage, lequel représente 64 % du trafic de données sur les appareils mobiles. Je souhaite renforcer ce dispositif car l'information des consommateurs est primordiale.

Le chapitre IV traite de la promotion de centres de données et de réseaux moins énergivores. Les articles 21 et 21 bis renforcent l'écoconditionnalité du tarif réduit de la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE) applicable aux data centers, que le rapporteur pour avis avait introduite dans le projet de loi de finances pour 2019. Il est en effet essentiel d'inciter les centres de données à valoriser leur chaleur fatale et à réduire leur consommation d'énergie ainsi que l'eau utilisée pour leur refroidissement. Il convient toutefois de conserver une approche pragmatique et juste puisque l'on constate que, bien qu'ayant décuplé leur puissance en dix ans, les data centers n'ont augmenté leur consommation d'énergie que de 6 % sur la même période.

Les articles 23 et 24 visent à réduire l'impact environnemental des réseaux. Ils prévoient que les opérateurs souscriront des engagements environnementaux auprès du ministre chargé des communications électroniques, après avis de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP). Pour assurer l'effectivité de la mesure, il est prévu que l'ARCEP dispose d'un pouvoir de sanction.

Enfin, le Sénat a introduit un chapitre V, qui vise à promouvoir l'établissement de stratégies numériques responsable dans nos territoires. Je suis heureux d'avoir pu échanger sur le sujet avec des représentants de collectivités, notamment la commission numérique commune à l'Assemblée des communautés de France (ADCF) et à France urbaine. Je suis favorable à la proposition d'inclure la stratégie numérique des collectivités dans les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), en particulier la valorisation de la chaleur des data centers. Nous serons ainsi cohérents avec l'objet de l'article 21. Nous aurons, à l'article 26, une réflexion à mener. Les collectivités sont très volontaires sur le sujet et elles y travaillent avec le cabinet du secrétaire d'État.

J'espère que notre travail en commission permettra d'enrichir cette proposition de loi, au travers de l'examen des quelque 250 amendements déposés, et de préciser certains des dispositifs proposés par le Sénat. Il faut en effet trouver une articulation avec les directives européennes que la France doit ratifier avant le 1er janvier 2022, les ordonnances qui seront bientôt publiées et le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dit « climat et résilience », actuellement examiné par le Sénat, notamment son article 5 ter. Ce débat s'annonce riche, il sera parfois technique. La loi qui en ressortira ne sera pas l'alpha et l'oméga dans le domaine, mais elle nous permettra de disposer d'outils de mesure pour suivre l'évolution des impacts environnementaux du numérique.

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