Intervention de Christophe Béchu

Réunion du mercredi 2 juin 2021 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Christophe Béchu :

Merci, madame la présidente, monsieur le rapporteur, pour votre accueil. La variété et la précision des questions que vous m'avez posées balisent ce que pourrait être mon propos liminaire, celui-ci n'ayant certainement pas la prétention d'être exhaustif – mais l'intérêt d'une audition est de répondre aux éventuelles questions que vous pourriez avoir. Je vais m'autoriser un petit zoom arrière qui nous ramènera rapidement à la situation actuelle, avant d'aborder les principaux enjeux à venir.

Une idée préside à la création de l'agence à la fin de l'année 2004 : il faut un gardien du temps long. Depuis la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, il est un principe que vous incarnez, celui du consentement à l'impôt, qui doit se renouveler annuellement au travers des représentants du peuple. Le problème est que la succession de consentements à l'impôt rend difficile la possibilité de concevoir des financements pluriannuels, puisque l'on ne peut théoriquement pas préjuger qu'un nouveau consentement sera accordé l'année suivante. Or il est parfois nécessaire, notamment pour ce qui concerne les chantiers d'infrastructures, de s'engager au‑delà du principe d'annualité budgétaire, fondamental en matière de finances publiques.

C'est ainsi que naît l'AFITF, et elle naît avec une forme de malédiction – je finis par le croire au fur et à mesure que le temps passe – qui fait qu'à chaque fois qu'une recette lui est affectée, une catastrophe atteint cette recette !

On commence ainsi par adosser le financement de l'agence aux dividendes des autoroutes. Est-ce parce qu'on s'est aperçu à cette occasion qu'il y en avait beaucoup ? Toujours est-il qu'un an après, on privatise les autoroutes ! Il est alors décidé de verser à l'agence des crédits budgétaires jusqu'au moment où naît une idée de génie : l'agence bénéficiera du produit de l'écotaxe, qui sera perçue au moyen de portiques installés sur les routes. Vous connaissez la suite : en raison du mouvement des « bonnets rouges », non seulement l'agence ne touchera pas un centime de l'écotaxe, mais elle devra verser 950 millions d'euros à Ecomouv' à titre d'indemnités et de frais.

La dernière fois qu'il a été décidé d'affecter à l'agence le produit d'une taxe, il s'agissait du produit des amendes radars, dont les recettes ont bien progressé jusqu'à ce qu'à la fin de l'année 2019, des personnes portant des gilets jaunes s'organisent sur les ronds-points pour en limiter le rendement. Dans la foulée, on s'est dit que s'il était un secteur qui ne connaissait pas la crise, c'était le secteur aérien, lequel enregistre chaque année une progression sensible du nombre de passagers et dont les billets pourraient faire l'objet d'une taxe. Depuis que le principe en a été évoqué, jamais aussi peu d'avions n'ont décollé et aussi peu de passagers n'ont fréquenté les aéroports, tant et si bien que la recette n'a même pas été instaurée !

C'est dire si, au-delà de la cocasserie de la situation, le terme de « résilience » s'applique bien à l'agence. Or la crise que nous traversons rend plus nécessaire que jamais un gardien du temps long et une structure capable de se projeter et d'aller au‑delà du seul financement des infrastructures. C'est ainsi qu'hier, l'agence s'est vu confier la responsabilité d'accompagner le Grenelle de l'environnement et qu'aujourd'hui, elle est un levier, dans le cadre de la transition écologique, pour accompagner une feuille de route visant à la décarbonation d'une partie de nos déplacements et à la régénération des réseaux, ainsi que, plus largement, à la relance.

Malgré ces vicissitudes, on peut éprouver fierté et satisfaction face à ce qui a été accompli au cours des dernières années. La fierté naît de la cohérence de la politique qui a été conduite.

La critique de la Cour des comptes, monsieur le rapporteur, consiste à dire qu'avoir un opérateur parapublic dont on mesure mal les objectifs et plus encore les liens avec la représentation nationale n'est pas confortable d'un point de vue juridique.

Deux réponses ont été apportées. La première est la LOM, la loi d'orientation des mobilités. Tout à coup, la représentation nationale a fixé le schéma, les objectifs et le scénario. Préalablement, la mise en place d'un Conseil d'orientation des infrastructures (COI) – au moins aussi structurant qu'une LOM – a permis de ne pas se contenter de fixer des chiffres en fonction du possible ou du souhaitable, mais de commencer par déterminer ce qui était nécessaire. Théoriquement, c'est cela la politique : non pas se préoccuper des modalités, mais déterminer où l'on veut aller, laisser les experts proposer les modalités, puis les valider.

Avec le COI et la LOM, un cadre, un horizon et une ambition ont été donnés à notre politique d'infrastructures. Institutionnaliser le COI a été une manière d'inscrire qu'au‑delà de la personnalité du ministre des transports, un groupe pluridisciplinaire examine les besoins de notre pays en infrastructures.

La trajectoire est ensuite marquée par une augmentation des moyens. Dieu sait si les élus locaux et les professionnels alertaient depuis des années sur le fait que si l'on se targuait d'avoir un patrimoine ferroviaire et routier exceptionnel, la réalité était que nous avions sans doute sous‑investi dans la régénération du réseau, dans les transports du quotidien et dans le ferroviaire, notamment pour le développement du fret. Un retard que n'explique pas notre géographie se constatait également dans le secteur fluvial. Dans notre pays, assez étrangement, le fret est assuré à près de 90 % par la route, alors que nous disposons d'un réseau ferroviaire et d'un réseau fluvial qui, sur le papier, ou vus du ciel, devraient nous permettre de faire plus et mieux. Non seulement vous avez adopté la LOM, mais vous avez augmenté de 40 % en moyenne les fonds consacrés aux infrastructures.

À cette ambition, il était nécessaire d'ajouter un cadre et des règles du jeu. Elles figurent désormais dans le contrat d'objectifs et de performance (COP) que je m'étais engagé devant vous, il y a trois ans, à signer. C'est la meilleure des réponses aux critiques – justifiées – de la Cour des comptes quant au fait qu'une agence ne peut pas s'exonérer de suivre une feuille de route. Nous nous trouvions dans la situation paradoxale où notre agence, alors qu'elle bénéficie de recettes fiscales affectées et que ses moyens sont en augmentation, ne disposait pas d'un tel outil. Le calendrier fait que la signature, en avril, de ce contrat clôt le mandat qui m'avait été confié.

Nous sommes à l'aube de nouveaux enjeux.

D'abord, s'agissant de la LOM, je tiens à dire que malgré les gilets jaunes et l'absence de taxe sur le transport aérien, nous respectons la trajectoire fixée. Sur les 13,7 milliards d'euros qui doivent être consommés à la fin de l'année 2023, nous aurons dépensé à la fin de l'année 2021 un peu plus de 8 milliards, soit un retard de 315 millions seulement par rapport la trajectoire, et cela malgré l'épidémie de covid-19, les chantiers différés et tous les soucis que je viens de mentionner. Cela se rattrape !

Ensuite, un nouveau volet est venu s'ajouter aux missions confiées à l'agence : la mise en œuvre du plan de relance. Cela représente cette année 549 millions d'euros, programmés dans le cadre des 2,4 milliards inscrits au budget. Là aussi, on note une convergence entre les objectifs à long terme – régénération, investissements dans le réseau, décarbonation, soutien au ferroviaire et au fluvial – et les moyens nouveaux : ceux-ci permettront d'aller plus rapidement vers la trajectoire définie dans le deuxième scénario du COI, soit un stade intermédiaire entre ce que tout le monde aurait souhaité mais qui n'était pas finançable et un scénario au fil de l'eau consistant à ne plus rien entreprendre de nouveau dans ce pays. Nous disposons donc d'un levier supplémentaire au service de la relance et de la reprise économique et, potentiellement, des ambitions et objectifs de transition écologique, d'aménagement du territoire et de développement durable, que votre commission, tout particulièrement, soutient.

Voilà, très rapidement brossé, l'état des lieux. Il soulève un certain nombre de questions que vous me permettrez de suggérer à ceux qui s'apprêteraient à en formuler.

En premier lieu, compte tenu des incertitudes que j'ai rappelées, nous avons une idée plus précise de la structure des dépenses que de celle des recettes. Plusieurs hypothèses ou options s'offrent à nous.

Ensuite, vous l'avez signalé, monsieur le rapporteur, le projet de loi « climat et résilience » et certains articles du projet de loi dit « 4D » risquant d'impacter les règles applicables en matière de transports, les prochains mois seront l'occasion de préciser les choses, notamment s'agissant des compétences territoriales.

Subsistent enfin des enjeux de transparence, de soutenabilité et d'efficacité, trois mots-clés sur lesquels se fondait déjà ma candidature il y a trois ans. C'est dans le même état d'esprit, avec la même détermination, la même volonté et quelques connaissances supplémentaires, que je me présente aujourd'hui devant vous.

Je suis à votre disposition pour répondre aux questions que vous voudrez bien me poser.

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