Intervention de Christophe Béchu

Réunion du mercredi 2 juin 2021 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Christophe Béchu :

Je remercie M. Jean-Marc Zulesi pour sa question et, surtout, pour son assiduité au conseil d'administration de l'agence. Je le remercie également d'avoir souligné l'importance du secrétaire général, qui accompagne le conseil d'administration dans ses missions. Mme Katrin Moosbrugger, qui vient d'être choisie pour succéder à M. Jean Abèle, sera la première femme à occuper cette fonction. J'espère obtenir à l'issue de cette audition votre autorisation de travailler avec elle.

Au-delà du plan de relance, nos concitoyens ont des attentes qui pourraient amener l'agence à se positionner différemment : cela est au cœur de nos réflexions.

En premier lieu, se pose la question des mobilités douces, que vous avez évoquée. Le montrent le succès des appels à projets concernant le plan vélo, la pérennisation des infrastructures cyclables qui ont vu le jour dans une partie de nos territoires et, plus largement, les attentes en matière d'infrastructures, que nous mesurons partout sur le terrain. L'agence n'a pas vocation à apposer des logos de cycliste au sol ; payer des pochoirs n'est pas notre job. Notre travail est d'investir des fonds dans des infrastructures lourdes ou semi-lourdes : franchissements de rivières ou de voies de chemins de fer, réalisation de chaînons manquants… Or, culturellement, l'approche du coût des infrastructures cyclables n'est pas comparable à celle des infrastructures routières : quand on vous dit qu'une route coûte 3 millions d'euros, vous l'entendez, mais si l'on vous explique que la même somme est nécessaire pour une infrastructure cyclable, vous vous dites que cela coûte extrêmement cher pour des usagers qui roulent à bicyclette. Et pourtant, notre préoccupation est bien d'accompagner toutes les formes de mobilité, y compris celles qui sont les plus vertueuses en matière de sport, de santé, de décarbonation et, précisément, de capacité à limiter la congestion des autres modes. De ce point de vue, tout cela ne relève pas du gadget. Quelques yeux se sont plissés à l'annonce du plan vélo mais, à voir le succès qu'il rencontre, on en mesure le caractère très actuel et la nécessité de pérenniser son financement.

Je souhaiterais profiter du semestre que durera la présidence française de l'Union européenne pour réunir les patrons des autres agences européennes qui travaillent sur les infrastructures, parce que l'angle mort de notre plan de relance sur les infrastructures, ce sont les interconnexions. Un rapport sur les trains de nuit paru il y a quelques semaines souligne le fait qu'indépendamment de la liaison rétablie vers Nice et de ce qui se passe du côté de Briançon, les perspectives les plus prometteuses sont les lignes Paris-Florence-Rome, Paris-Madrid, Paris-Hambourg-Copenhague et Paris-Bruxelles-Berlin-Vienne. On voit bien que l'enjeu n'est pas seulement de nous mettre d'accord, mais de trouver des continuités et de réaliser un travail collectif.

Monsieur Jimmy Pahun, l'annexe n° 6 du rapport d'activité de l'agence, que vous avez reçu, détaille ce que nous faisons pour le littoral avec 5 millions d'euros. Elle comprend plusieurs pages, parce qu'il s'agit d'une multitude de petites opérations ciblées, qui ont en commun la protection concrète de l'environnement. Je suis totalement de votre avis : on se demande parfois ce que nous pourrions mettre en œuvre au titre de la transition écologique, alors que certains programmes, qui existent déjà, pourraient facilement être amplifiés au prix d'un effort financier mineur. La question du trait de côte et de la lutte contre l'érosion est centrale, et le tiers de ces financements, madame Maina Sage, concerne l'outre‑mer. Si le montant de 5 millions d'euros, rapporté à un budget de 3 milliards, doit évidemment être relativisé, cela permet d'accompagner nombre de projets d'infrastructures et d'éviter des coûts potentiellement bien plus lourds. Que souhaiter, si ce n'est que ce programme se développe au fil des conventions ?

Le budget de l'agence est, pour 35 %, consacré aux routes nationales, dont la RN 2 évoquée par M. Jacques Krabal, pour 45 % au transport ferroviaire, tous types de trains confondus – il s'agit là de dépenses d'infrastructure, même si les trains d'équilibre du territoire ont été ajoutés, suivant le principe que là où peu de travaux sont réalisés sur les rails, un moyen d'accroître le nombre de passagers consiste à améliorer le service proposé –, et pour 11 % aux mobilités douces et aux transports en commun. La part de ces derniers a progressé ; cela inclut l'accompagnement du développement des transports en commun en site propre au travers de conventions, ainsi que celui du vélo et des autres modes doux. Enfin, 5 % sont consacrés au transport fluvial et 4 % au reste, qui inclut les opérations sur le littoral et le transport maritime.

L'agence n'est pas le bras armé de la stratégie portuaire de notre pays, ni même de ses ambitions maritimes. Elle finance principalement des infrastructures maritimes qui servent le principe d'intermodalité, permettant une activité de déchargement, avec du fret associé à d'autres modes.

Si je partage votre préoccupation, madame Sage, l'agence ne me semble donc pas être le bon instrument pour y répondre. Quel dommage d'avoir un tel potentiel maritime et de ne pas l'utiliser autant qu'on le pourrait ! Mais demander à un opérateur de faire des choses trop différentes finirait par réduire son efficacité ou par remettre en cause sa légitimité.

Cela m'amène aux questions de M. Bertrand Pancher, en particulier à la troisième. C'est une chose d'avoir signé un contrat d'objectifs et de performance, de veiller à la transparence et à la mise à jour du site internet, de rédiger des rapports et de se rendre disponible chaque fois qu'il y a une audition, c'en est une autre d'étendre les responsabilités du conseil d'administration en lui conférant la capacité de définir ses propres orientations. Cela constituerait, de mon point de vue, une forme de déni de démocratie. Le président de l'agence tient sa légitimité d'un système indirect, dans lequel sa nomination est proposée par le Président de la République et validé par la représentation parlementaire. Cette légitimité n'est en rien comparable à celle d'une assemblée élue. Or je considère que la définition des grandes orientations doit rester l'apanage de ceux qui sont élus au suffrage universel pour cela. Qu'il y ait une courroie de transmission qui procède d'une légitimité démocratique et fasse le lien avec les opérateurs de terrain est plutôt souhaitable dans un pays où l'on a parfois tendance à ne pas suffisamment jouer sur les synergies entre le national et le local, mais je ne pense pas qu'il faille aller au-delà.

Les recettes et les dépenses sont des questions clés. Pour ce qui est des premières, une part stable est constituée par le produit de la TICPE, l'autre part stable étant issue des recettes des autoroutes : sur les 3 milliards d'euros de recettes de l'agence, 1 milliard provient des autoroutes, dont 365 millions de la redevance domaniale – c'est‑à‑dire de la taxe foncière payée par les sociétés d'autoroutes, qui n'évolue guère puisque le patrimoine est à peu près fixe – et un peu plus de 600 millions de la taxe d'aménagement du territoire (TAT), qui est une sorte de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) puisqu'elle est fonction du trafic. Si elle a été affectée par les confinements successifs du fait de la diminution de l'activité des péages, elle montre habituellement une assez grande stabilité. Il y a aussi cette petite bizarrerie qu'est la contribution volontaire exceptionnelle des sociétés concessionnaires d'autoroute. Dire que ces dernières versent une contribution de plusieurs dizaines de millions d'euros de manière « volontaire » relève, me semble-t-il, d'un abus de langage. Il s'agit en réalité de la contrepartie du plan de relance autoroutier visant à compenser l'abandon de l'écotaxe et à faire aboutir un certain nombre de projets. Cette contribution, dégressive, est de l'ordre de 60 millions d'euros cette année.

La part de la TICPE affectée à l'AFITF, qui est de 1,285 milliard d'euros cette année, avait été portée à 1,6 milliard d'euros l'an dernier pour compenser les pertes de recettes liées à la crise. Nous pouvons compter avec cette certitude sur cette somme, puisque, quoiqu'il puisse se passer, le rendement de la TICPE est proche de 40 milliards d'euros.

À cela s'ajoutent deux recettes.

La première est la taxe de solidarité sur les billets d'avion. Cette année, 230 millions d'euros avaient été inscrits à ce titre à notre budget. Il va de soi que nous ferons disparaître cette ligne dès que le conseil d'administration se réunira puisque nous ne percevrons pas cette somme. Il n'en reste pas moins que faire contribuer le secteur aérien à une stratégie globale en matière de transports n'est pas une mauvaise idée. Rapporté au flux de passagers annuels et aux enjeux, le montant de cette taxe n'est pas du tout disproportionné. En revanche, il me paraît de bonne politique qu'elle ne soit pas prélevée lorsqu'il n'y a personne dans les aéroports et que les compagnies sont contraintes de solliciter des plans d'aide. Il faut ajuster la temporalité du dispositif, plutôt que sa finalité.

L'autre recette, ce sont les amendes radars. Elles présentent la particularité d'avoir non seulement un rendement qui varie suivant les années, mais aussi un mode de répartition qui fonctionne par sédimentation : on ne fixe pas un pourcentage pour chacun des bénéficiaires, on leur affecte des tranches selon un ordre de priorité arrêté, dans lequel l'AFITF arrive en dernier. Une fois que tous les autres bénéficiaires ont touché leur part, si le rendement des amendes radars sur la totalité de l'année se révèle plus élevé, c'est une bonne nouvelle pour l'agence ; sinon, c'est une mauvaise nouvelle.

Parmi les bénéficiaires de cette recette figurent le ministère de l'intérieur au titre des actions de sécurité routière, certaines collectivités locales au titre de leur désendettement et l'agence. Jusqu'en 2017, tous les ans, les recettes étaient supérieures à la somme inscrite au budget. Depuis 2018, la situation a changé et elle s'est particulièrement aggravée en 2019, en raison du mouvement des gilets jaunes, puis en 2020 en raison de l'épidémie de covid-19. En 2017, l'agence bénéficiait de 400 millions d'euros à ce titre ; en 2020, nous avons reçu 167 millions ; cette année, 278 millions ont été inscrits au budget. Je ne sais pas, à cet instant, dans quelle mesure cette prévision est réaliste. Mon problème est aussi le vôtre : dès lors que nous touchons le produit des amendes radars à la fin de l'année seulement, nous n'avons aucune visibilité sur le rendement avant le mois d'octobre ou de novembre, début des premiers encaissements. Cela ne laisse qu'un temps très réduit pour combler un éventuel déficit de recettes – car, en regard de ces recettes qui sont variables, nos dépenses, quant à elles, ne le sont pas.

Une grande part des dépenses de l'agence sont liées à la couverture financière des partenariats public‑privé (PPP), qui ont été conclus sur des temps longs. Ainsi, nous nous sommes engagés à financer les tranches de la rocade L2 à Marseille jusqu'en 2042 – mais je pourrais citer bien d'autres exemples, dont la LGV Bretagne-Pays de la Loire.

J'ai donc la certitude d'avoir des dépenses et une incertitude quant à certaines recettes : voilà qui n'est guère compatible avec l'idée que l'agence est le gardien du temps long ! Par conséquent, il convient de sécuriser les recettes. Une solution simple serait d'obtenir une majoration de la part de TICPE, en considérant que les amendes radars sont prioritairement affectées à d'autres et que, tant que la TSBA ne peut être mise en œuvre, une compensation pourrait s'opérer par l'intermédiaire de la TICPE. D'autres hypothèses ont été évoquées, telle l'instauration d'une eurovignette. Toutefois, si des écotaxes régionales étaient mises en place, il serait sans doute compliqué d'y ajouter un dispositif national avec une péréquation – mais c'est un autre sujet.

Quant aux dépenses, vous avez raison, monsieur Pancher. J'ai indiqué que la trajectoire fixée par la LOM était de 13,7 milliards d'euros. Or, quelques semaines après l'adoption de la loi, il nous a été demandé d'ajouter 1,1 milliard d'euros de dépenses au titre de la liaison Seine-Nord Europe, dans la perspective de l'inscription de nouvelles recettes – mais, depuis, avec l'épidémie de covid-19, d'autres priorités sont apparues. Néanmoins, nos restes à payer s'élevaient au 1er janvier à 12 milliards d'euros, c'est‑à‑dire exactement le même montant qu'en 2016, à ceci près que 1 milliard correspond au canal Seine-Nord Europe. Nous avons donc conservé notre capacité à financer ce que nous devions et absorbé le surplus dans le stock à financer, même si, sur le plan de la stricte orthodoxie comptable, des sommes que nous avons à décaisser au titre d'autres projets de la LOM pourraient ne pas être au rendez-vous. Toutefois, les crédits ouverts dans le cadre du plan de relance pourraient jouer le rôle de soupape pour certaines opérations.

S'agissant de la liaison Lyon-Turin, je rappelle que 30 kilomètres de tunnels et galeries ont déjà été réalisés sur les 160 prévus. J'entends parfois parler d'un « projet », mais il est lancé : c'est déjà, en quelque sorte, une réalité. Le problème est de savoir comment atterrir financièrement.

Le mécanisme est assez complexe. Dans l'enveloppe de 10 milliards d'euros, la part européenne est théoriquement de 40 %, mais elle pourrait monter à 50 %. Le reste à charge est réparti entre l'Italie et la France en fonction de la longueur de tunnel, à raison de 57,9 % pour l'Italie et de 42,1 % pour la France. Si l'on s'en tient à une participation de l'Union européenne à hauteur de 40 %, cela représente donc un coût de 2,5 milliards d'euros pour la France.

Sur cette somme, 200 millions d'euros ont d'ores et déjà été fléchés dans la première tranche du plan de relance. Cependant, nous ne pourrons pas absorber le reste dans le cadre de la trajectoire financière qui nous est impartie. C'est impossible. Cela reviendrait à remettre en cause les ambitions et les orientations que vous nous avez fixées.

S'agissant de la RN 2, monsieur Krabal, je crois avoir compris que vous n'attendiez pas de réponse précise de ma part... C'était plutôt pour vous l'occasion de souligner le caractère concret de l'arrivée des financements sur le terrain. Néanmoins, j'ai bien entendu vos interrogations concernant la sécurisation des passages à niveau et, plus largement, l'évolution des lignes ferroviaires.

L'agence consacre 45 millions d'euros par an, au titre du programme 203, au financement de la sécurisation des passages à niveau. Nous commençons à avoir une bonne visibilité en la matière. Il en est question depuis des années, et si quelques points noirs subsistent, leur nombre diminue fortement. Je pense qu'à l'horizon d'une législature, la question devrait être à peu près réglée.

Comment répondre en même temps au besoin de sillons pour le fret ferroviaire et aux attentes concernant les trains du quotidien ? Quel arbitrage opérer entre la demande d'une collectivité régionale d'augmenter l'offre de TER et celle d'un opérateur de fret d'obtenir un créneau lui permettant de ne pas rompre la chaîne logistique ? Il n'existe pas cinquante solutions. Les investissements dans des sillons ferroviaires permettant de faire du fret font partie du mix. En la matière, les choses sont en train d'évoluer. Grâce à la prise de conscience des acteurs, à travers des interpellations, des tribunes, des colloques, des prises de position, grâce aussi aux enjeux européens, nous bénéficions en ce moment, le rapporteur l'a souligné, d'un alignement des astres favorisant un changement de braquet pour ce qui est du fret et des modes de transport alternatifs.

Se pose notamment la question de la motorisation. Parmi les freins au développement de l'hydrogène, vous avez pointé, monsieur le président du groupe d'études sur l'hydrogène, une certaine hétérogénéité dans les positions des présidents de région sur le sujet. Nos concitoyens étant appelés à la fin de ce mois à se prononcer sur les orientations qu'ils souhaitent donner dans divers domaines, je ne souhaite pas interférer dans leur choix. Cela dit, étant attaché à la décentralisation, j'estime que c'est une chance d'avoir des territoires qui ne choisissent pas tous les mêmes stratégies. Aussi surprenant que cela puisse paraître quand on est, comme vous l'êtes, persuadé qu'il n'y a qu'une seule solution, je considère qu'avant qu'une technologie soit généralisée, il est bon que certains misent fortement dessus et que d'autres s'y refusent : cela permet de voir qui a raison et de dessiner un chemin pour les indécis. Au-delà, je suis convaincu qu'il faut développer le mix énergétique. L'hydrogène semble tellement plein de promesses que, si je caricature un peu, le premier argument avancé par ses opposants, c'est que c'est trop beau pour être vrai !

Vous le savez, il existe des partenariats entre la SNCF et Alstom sur le sujet. De plus en plus d'initiatives se font jour dans les collectivités territoriales, autour des bus, des bennes à ordures ménagères et, peut-être moins fréquemment, du réseau ferroviaire. Je plaide pour qu'on laisse aux territoires une liberté de choix. Cela fait vivre le débat démocratique et contribue à ce que nos concitoyens se forgent une opinion.

Le fait de se poser la question est en outre une manière de préparer les esprits à ce qui pourrait bien être une révolution à de multiples égards. Les enjeux ne se limitent pas en effet à la décarbonation du déplacement, ils concernent aussi le lieu de production de l'énergie, donc le bilan carbone de l'ensemble de la chaîne, ainsi que le stockage et les emplois locaux. Bref, on voit bien l'intérêt qu'il y aurait à s'engager dans cette voie. On voit aussi le chemin qui est en train de se dessiner. Même si vous estimez que cela ne va pas assez vite, je pense qu'il y a trois ans, vous auriez signé pour en être au point où nous sommes arrivés aujourd'hui !

Le rôle de l'agence n'est pas d'opérer de tels choix technologiques. Nous nous occupons des infrastructures, non de la motorisation des véhicules qui les emprunteront. Nous mettons en place des réseaux performants et, sur ces réseaux, des opérateurs, publics ou privés, avec ou sans mise en concurrence, dotés de tel ou tel type de moteur, assurent un service. Cette répartition des tâches me semble appréciable.

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