Votée à la suite du terrible accident survenu à l'usine AZF de Toulouse, qui a fait 31 morts et près de 2 500 blessés le 21 septembre 2001, la loi du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages a fait avancer la culture de la sécurité en France. Mais l'histoire parlementaire retiendra que le rendez-vous qui avait alors été pris, travailler sur les infrastructures de transport de matières dangereuses, comme les ports fluviaux et maritimes, les gares de triage ou les centres routiers, n'a pas été honoré. C'est, mes chers collègues, ce que je vous propose de faire.
Cela faisait pourtant partie des demandes de la commission d'enquête parlementaire créée quelques jours après le drame ; de fait, au cours de l'examen du projet de loi, on a longuement évoqué les infrastructures, Mme Roselyne Bachelot, alors ministre de l'écologie et du développement durable, indiquant qu'elle avait « pris l'initiative, avec Gilles de Robien, de lancer une réflexion sur la sécurité des nœuds de transports, comme les ports ou les gares de triage, sujet primordial sur lequel on ne s'est pas penché sérieusement jusqu'ici. »
Certes, l'article L. 551-2 du code de l'environnement prévoit la réalisation d'une étude de dangers tous les cinq ans, mais le résultat est bien maigre comparé aux enjeux dont les députés de tous bancs soulignaient l'importance. On s'est contenté de « poser une rustine » car tout le monde s'accordait sur l'urgence de traiter en priorité les entreprises dites « Seveso seuil haut ». C'est, depuis, un provisoire qui dure… Il est temps d'avancer sur le sujet, tout en respectant les équilibres trouvés lors des débats de 2003 : les infrastructures de transport de marchandises dangereuses doivent être considérées comme des sites « Seveso seuil haut » et soumises à ce titre à des plans de prévention des risques technologiques (PPRT).
Si cette proposition de loi a étonné certains de mes interlocuteurs, je reste convaincu que cette avancée changera la donne et permettra de protéger les habitants des zones où les marchandises dangereuses sont chargées, déchargées ou stockées. Beaucoup d'entre eux ignorent qu'ils vivent dans un lieu dangereux et n'ont pas la même culture de la sécurité – d'autres parlent de culture du risque – que les habitants des zones classées « Seveso seuil haut ».
Je le mesure dans ma circonscription. À Gonfreville-l'Orcher, les habitants vivent en face d'une très grande raffinerie et de sa zone pétrochimique. Ils entendent l'activité, la sentent, perçoivent parfois les vibrations et voient les torches. Bien informés, ils sont conscients des risques et adaptent leur manière de vivre et de se protéger. Les PPRT ont permis de valoriser cette culture et de renforcer la sécurité. Malgré la présence de 16 entreprises « Seveso seuil haut », et autant de cercles de dangers et de responsabilités imbriquées, les acteurs ont dialogué et évalué collectivement les risques. Grâce à des choix favorisant la dynamique locale, de nombreux travaux de mise en conformité ont été engagés sans que les riverains n'aient à en avancer le montant. Cette réussite a fait beaucoup de bien aux habitants et aux industriels, ces derniers parvenant à faire accepter, dans le dialogue, leurs procédés dangereux mais indispensables à l'économie. C'est important car il n'y a plus un seul endroit, dans notre pays, où la population accepterait le développement d'une usine à risque. Dans les territoires où ces usines et ces infrastructures à risque existent, il faut travailler pour conforter cette acceptation.
À l'inverse, au Havre, les habitants du quartier des Neiges, proche d'un terminal portuaire où il y a des marchandises dangereuses, ignorent tout des risques auxquels ils sont exposés. Aucun ne s'attendait d'ailleurs à ce que la préfecture indique, par un « porter à connaissance », fin 2019, qu'ils vivaient dans une zone dangereuse nécessitant des restrictions d'urbanisme, les empêchant d'agrandir des biens, par ailleurs considérablement dévalorisés. La préfecture a transmis ce « porter à connaissance » à la mairie sans qu'aucune communication officielle ou réunion publique ne soit organisée. Cela laisse croire que l'État se déresponsabilise auprès d'une collectivité et érode la confiance que les habitants portent à l'État et aux exploitants des infrastructures.
Cette mesure a été vécue comme une grande injustice, d'autant que les habitants du quartier des Neiges avaient connaissance du travail collaboratif réalisé à Gonfreville-l'Orcher, qui fait partie du même établissement public de coopération intercommunale (EPCI).
Appliquer les PPRT aux infrastructures liées au transport de marchandises dangereuses permettra de traiter également les riverains, en utilisant au mieux les deux phases de ces plans.
La première phase, qui est fondamentale, consiste à réduire le risque à la source. Dans les ports, il peut s'agir d'éloigner le lieu de stockage temporaire des marchandises dangereuses des habitations afin d'exclure celles-ci du cercle de danger. Ainsi, après une concertation initiée par la municipalité de Gonfreville-l'Orcher, les ingénieurs ont trouvé le moyen de remplacer l'hydroxyde fluoré, produit très dangereux dont l'emploi conduisait à inclure la moitié de la ville dans une zone de risque de deux kilomètres de rayon.
La seconde phase, lorsque la réduction à la source n'est pas satisfaisante, est d'organiser le dialogue entre les exploitants, la population, les élus locaux et les représentants des services de l'État, afin que tous s'accordent pour procéder à la prévention des risques – on se souvient qu'à Toulouse, une route à grande circulation passait à côté de l'usine – et à l'aménagement ou à l'indemnisation pour les habitations éventuellement concernées.
En France, près de 40 infrastructures de transport de marchandises dangereuses pourraient être soumises à cette disposition. Aujourd'hui, la priorité est de mener des réflexions sur la réduction des risques à la source et d'améliorer la façon dont les études de dangers sont portées à la connaissance des riverains. Tel est l'objet de cette proposition de loi.
Afin de ne pas perturber la philosophie des PPRT, qui font l'objet d'un compromis intéressant entre acteurs concernés, je propose d'intégrer les « ouvrages d'infrastructure routière, ferroviaire, portuaire ou de navigation intérieure », les « installations multimodales où sont stockées, chargées et déchargées des matières dangereuses », ainsi que « les entreprises de transport routier de matières dangereuses », à la sous-section 2 de la section 9 du chapitre V du titre Ier du livre V du code de l'environnement qui porte sur les « installations présentant des dangers particulièrement importants pour la sécurité et la santé des populations voisines et pour l'environnement. » Cette sous-section crée des obligations de prévention des riverains et institue une obligation pour l'exploitant de mettre en place un système de gestion de la sécurité ainsi qu'un plan d'opération interne. Elle crée aussi des servitudes d'utilité publique concernant l'utilisation du sol ainsi que l'exécution de travaux soumis au permis de construire.
Le seul enjeu de cette proposition de loi est d'améliorer la sécurité des riverains. L'humain doit être au cœur des politiques de gestion des risques. J'ai entendu quelqu'un dire que, « quoiqu'il en coûte », il fallait protéger les Français… Bien sûr, cette proposition de loi aura des conséquences financières pour les exploitants des infrastructures mais la loi du 30 juillet 2003 a amélioré la relation entre les usines et les acteurs de proximité et redonné à ce secteur économique une nouvelle dynamique, alors qu'on affirmait lors des débats qu'elle entraverait la compétitivité. La loi de 2003 est une réussite ; il s'agit simplement d'y ajouter ce qui en a été exclu, au motif que les usines « Seveso seuil haut » étaient la priorité : le transport et la manipulation de marchandises dangereuses.