Intervention de Jean-Baptiste Djebbari

Réunion du mercredi 6 octobre 2021 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué chargé des transports :

M. Damien Pichereau, sur la question du transport routier de marchandises qui fait le lien avec celle sur le fret, je rappelle que s'est établie entre le rail et la route une double concurrence : une concurrence sur les prix et un défaut d'attractivité des infrastructures, en raison notamment de l'abandon d'une partie du réseau ferroviaire, telles les installations terminales branchées. Dans ce contexte, également marqué par la désindustrialisation, la part du fret ferroviaire a diminué et la France n'a pas su trouver ses avantages comparatifs dans le cadre de l'ouverture à la concurrence. Nous nous retrouvons donc avec seulement 9 % de marchandises transportées par le rail, ce qui est bien trop faible. L'objectif, grâce aux dispositifs que j'ai exposés, est de passer à 18 % d'ici à 2030. Certains pays voisins ont atteint un taux bien supérieur et nous voudrions aller vers 30 % des marchandises transportées par le rail et rééquilibrer cette concurrence qui joue en faveur de la route.

Sur le volet social, je veux d'abord vous remercier de votre action, à la fois sur le projet de résolution européenne et sur sa traduction en actes au travers du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine des transports, de l'environnement, de l'économie et des finances.

Après l'adoption du paquet « mobilité », le volet social comporte des avancées très concrètes. Je pense à l'interdiction de rémunérer les conducteurs en fonction de la rapidité de livraison, à l'introduction de sanctions à l'encontre des entreprises qui ne respecteraient pas le droit au retour des conducteurs, au durcissement des sanctions pour celles qui ne respecteraient pas les conditions de repos ou encore au renforcement de la lutte contre la concurrence déloyale pour éviter le cabotage systématique qui, nous le savons, se produit encore et impose le renforcement des contrôles à la fois au niveau européen – nous l'avons demandé à la Commission – et à l'échelle des inspections que nous diligentons en France.

Deuxième grand sujet : le prix de la transition énergétique. La particularité du secteur tient au fait que l'offre hydrogène ou électrique existe peu, voire est inexistante pour le transport de marchandises lourdes. Le gaz et le biogaz nécessitent une période de transition.

Une task force, à laquelle vous participez, nous permet d'étudier l'ensemble des leviers d'action, notamment au travers du suramortissement, et de préparer les différentes aides, dès lors que l'offre française et européenne existera.

Je précise par ailleurs que la mesure visant à équiper les véhicules d'un tachymètre s'applique depuis le 15 juin 2019 aux véhicules lourds immatriculés pour la première fois. À compter de 2023, conformément au paquet « mobilité », elle sera déployée avec des fonctionnalités supplémentaires et s'appliquera en 2026 aux véhicules utilitaires légers ainsi qu'aux véhicules de plus de 1,5 tonne qui opèrent à l'international.

Un mot de la philosophie générale de l'AIT, en lien avec le conseil ministériel que nous avons créé et qui fonctionne plutôt bien. Elle vise deux objectifs : d'abord, « désiloter » l'innovation entre les secteurs. En d'autres termes, l'hydrogène intéresse l'ensemble des secteurs : le secteur maritime, le monde portuaire, le transport terrestre et le transport aérien. Or, bien souvent, ces secteurs ne communiquaient pas, peu ou trop peu.

Ensuite, il faut entendre davantage les différentes parties prenantes, singulièrement les industriels et les exploitants, ce qui se fait encore trop peu.

Je crois pouvoir dire que ce conseil ministériel est opérationnel et que l'AIT représente une avancée. Les deux directeurs généraux, M. Damien Cazé pour l'aviation civile et M. Marc Papinutti pour les infrastructures terrestres et de la mer, en lien avec les deux directeurs en charge de l'innovation des deux grandes administrations, M. Frédéric Médioni et Mme Claire Baritaud, préfigurent cette avancée de l'innovation dans les transports qui sera prête à entrer dans sa phase de croisière avec une direction unifiée.

Monsieur Jean-Marie Sermier, vous avez évoqué les effets de la crise de 2020 et 2021 sur les recettes de l'AFITF, s'agissant de la part de ressources assise sur les billets d'avion. Pour pallier ces insuffisances de ressources, telle la taxe de solidarité sur les billets d'avion, dite « taxe Chirac », nous avons procédé, en 2020 et en 2021, à des abondements exceptionnels, de l'ordre de 250 millions d'euros. Nous prévoyons au budget 2022 des recettes affectées à l'AFITF d'environ 91 millions d'euros pour la taxe de solidarité sur les billets d'avion.

S'agissant de la trajectoire de décarbonation, il est utile de rappeler que le secteur des transports représente en France environ 30 % des émissions de gaz à effet de serre, dont 50 % sont le fait des véhicules légers, d'où l'action que nous menons résolument pour la transition du parc automobile, avec des effets de levier non négligeables. Alors que les ventes de véhicules électrifiés, donc électriques et hybrides rechargeables, représentaient 1 % des ventes en 2017, elles en constituent 17 % en ce mois octobre, et j'ai l'espoir d'atteindre 20 % d'ici à la fin de l'année. La transition est engagée, elle est irréversible et s'appuie sur des annonces très ambitieuses des constructeurs français et européens.

À cela s'ajoute la stratégie pour le développement de l'hydrogène décarboné des mobilités. Dans notre esprit, c'est la mobilité lourde qui, la première, sera une bonne expérimentatrice de l'hydrogène. Nous pensons aux trains qui sont déjà, pour partie, en circulation, et aux bus, cars et poids lourds qui seront concernés dans un second temps.

Un mot sur les petites lignes pour répondre à la fois à M. Jean-Marie Sermier et à Mme Sophie Métadier. Nous avons choisi de sauver 9 000 kilomètres de petites lignes en procédant, dans le cadre du pacte ferroviaire, à un audit très précis de l'état des voies et du coût de régénération, au sens de leur pérennisation. Une fois l'audit mené, nous avons proposé aux régions un plan de co-investissement de 7 milliards d'euros pour sauver ces 9 000 kilomètres. Nous avons soit signé des protocoles, soit obtenu la délibération de huit régions sur les onze concernées, si l'on compte la Corse et l'Île-de-France qui obéissent à des régimes un peu particuliers. Voilà deux jours, je me suis entretenu avec le président de la région Hauts‑de‑France ; j'ai bon espoir que nous puissions avancer dans les tout prochains jours sur le sujet. Ainsi, 6 500 kilomètres de petites lignes sont d'ores et déjà sauvés et, sur les 7 milliards d'euros que j'évoquais précédemment, 5,2 milliards sont engagés sur dix ans. Nous avons financé les travaux en 2020-2021 sur les 300 millions d'euros du plan de relance : c'est un véritable levier pour accélérer les projets.

J'en viens à la ligne Tours-Loches, que je connais bien, tout en saluant l'action de votre prédécesseur. Elle fait partie des lignes qui permettront de démontrer l'intérêt des trains légers à hydrogène et donc, d'amorcer ce cercle vertueux. Nous étions enserrés dans un cercle vicieux, l'abandon du réseau entraînant la réduction du nombre de passagers dans des TER toujours plus lourds, et le système aboutissait progressivement à l'abandon des petites lignes. La logique s'inverse : nous voulons sauver les petites lignes, travailler à des référentiels ferroviaires adaptés pour faire rouler à l'avenir des navettes autonomes et des trains plus légers. Nous avons lancé un appel à projets dans le cadre de l'AIT et nous avons d'ores et déjà beaucoup de projets très qualitatifs sur les trains légers et très légers. Nous pourrons ainsi faire évoluer ou adapter le modèle économique aux petites lignes ferroviaires et retrouver de la sorte à la fois de l'appétit pour l'innovation et du service aux usagers.

S'agissant du fret ferroviaire, évoqué par un certain nombre d'entre vous, la logique est de considérer qu'il n'est pas un marché totalement unifié. Il existe schématiquement trois types de marché : le train, qui trouve des logiques de rentabilité, un certain nombre d'acteurs français et surtout européens étant rentables sur ce secteur, le transport combiné qui doit représenter à peu près 20 % de l'activité et le wagon isolé qui en représente environ 10 %.

Comme partout en Europe, ces deux derniers secteurs nécessitent des soutiens publics. C'est donc ce qui a prévalu et que nous traduisons en actes, que je détaillerai dans un instant pour M. Loïc Prud'homme. Nous portons également ce message au niveau européen et nous avons obtenu la signature d'une déclaration commune de seize pays européens sur vingt-sept. Dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, je continuerai à mener ce combat.

L'objectif est triple : il s'agit de soutenir les opérateurs en baissant le niveau des péages et en soutenant les marchés qui ne sont pas tout à fait ceux sur lesquels peut s'exercer une concurrence saine : wagon isolé et transport combiné. Sur l'aide additionnelle de 170 millions d'euros, 65 millions sont consacrés à la baisse de péage, 65 millions au wagon isolé et 30 millions à l'aide à la pince, donc au transport combiné. Par ailleurs, nous relançons trois autoroutes ferroviaires : Perpignan-Rungis, que nous voulons étendre au nord, vers les ports de Dunkerque et d'Anvers, et au sud vers Barcelone, Calais-Sète et Cherbourg-Bayonne sur la façade atlantique.

Je pense avoir répondu à M. Bruno Millienne.

Madame Maina Sage, le suramortissement a, en effet, été prolongé de deux ans, jusqu'en 2024. La proposition du Gouvernement, à l'aune de la discussion budgétaire qui s'engage, est de l'étendre à d'autres équipements acquis à l'état neuf, d'établir un plafond de soutien de 10 à 15 millions d'euros en fonction des dispositifs et d'assouplir les critères d'accès à l'ensemble des armateurs qui sont assujettis à la taxe au tonnage français.

J'ai pris note des propositions qui ont été présentées. Vous avez raison de dire qu'il faut tendre vers l'efficacité. Je suis tout à fait disposé à étudier dans le détail ce qui est proposé ainsi que les voies et moyens pour cheminer ensemble dans la discussion budgétaire.

J'en viens à l'aide au netwage et aux opérateurs maritimes en concurrence ou non – je ferai peut-être le lien avec la question de M. Colombani sur la Corsica Linea. Sur l'ensemble de ces questions, nous avons été particulièrement attentifs à la situation des opérateurs, à l' « effet Brexit » dont souffre Brittany Ferries. Pour parler de ce cas qui a été assez emblématique, nous avons garanti à hauteur de 90 % un PGE (prêt garanti par l'État) de 117 millions d'euros ; nous avons mis en place les dispositifs d'activité partielle, le netwag e a été prolongé à trois ans, dans la mesure où ces activités étaient ouvertes à la concurrence internationale. Nous avons également conclu un accord d'activité partielle longue durée de 21 millions d'euros entre 2021 et 2023, instauré des dispositifs « coûts fixes » que vous connaissez bien, et la compensation du préjudice lié à la crise de la covid-19 a été autorisée par la Commission à hauteur de 61 millions d'euros. D'autres acteurs, collectivités territoriales notamment, ont également financé des avances remboursables.

Outre ces aides circonstanciées pour passer la crise, l'objectif, à travers nos diverses actions en faveur du secteur portuaire, maritime et fluvial, est bien de se redonner des avantages comparatifs, de capter de nouveaux flux, de ne pas être dupes des stratégies non coopératives de nos amis – et néanmoins concurrents – britanniques.

Nous avons déjà traduit pour partie ces ambitions au travers des grands plans d'investissement sur certains axes, dont l'axe HAROPA ou encore l'axe Méditerranée, en remontant vers Marseille et Lyon, qui fera également l'objet d'actions résolues de l'État. Notre stratégie industrielle, commerciale et de services sur l'ensemble du secteur me paraît répondre à l'ambition collective.

Monsieur Paul-André Colombani, sur le caractère suffisant ou non des aides, les transports en commun ont été et sont une priorité réaffirmée par la loi d'orientation des mobilités. Ils auront bénéficié de 39 % de crédits supplémentaires lors du quinquennat, ces crédits passant de 230 millions d'euros par an entre 2013 et 2017 à 330 millions entre 2018 et 2022. Je rappelle l'annonce ce matin des lauréats du quatrième appel à projets de transports collectifs en site propre : nous sommes passés de 450 millions sur la période 2013-2018 à 900 millions sur la période qui s'ouvre avec, par exemple, des projets comprenant plus de 20 % de tramway, et de nombreux projets de bus en site propre, au titre desquels l'effort budgétaire des collectivités et de l'État est considérable.

S'agissant de l'accompagnement des véhicules propres, les chiffres sont éloquents : depuis le début du quinquennat, nous avons lancé différents dispositifs. Je citerai, entre autres, le bonus automobile et la prime à la conversion : plus de 400 000 bonus et plus de 860 000 primes ont ainsi été distribués. Cela participe de l'engouement et de la conversion du parc automobile aux fins environnementales que vous avez citées.

Nous progressons également s'agissant des bornes de recharge. D'ici à la fin de l'année, nous compterons un million de bornes en France, toutes bornes confondues, l'essentiel étant destiné aux entreprises et aux particuliers. Quasiment 150 000 bornes seront ouvertes au public, la moitié des aires de service sur les axes routiers et autoroutiers seront équipées et l'intégralité le sera d'ici à la fin 2022 sur ces grands axes.

Il nous reste deux cas difficiles à traiter : celui des copropriétés, au titre desquelles différentes lois permettent d'ouvrir des dispositifs réglementaires, et celui des bornes publiques ouvertes aux voiries. Les études montrent que l'on s'oriente plutôt vers des bornes de forte puissance autour de hubs de recharge afin de maximiser l'intérêt de tous et de faciliter l'utilisation par les conducteurs qui auront fait cette conversion.

Pour ce qui est de l'aide « illégale » destinée au sauvetage de la SNCM, en dehors de votre proposition qui est intéressante – peut-être est-ce le sens de l'histoire –, se pose la question de la capacité de l'État à décider du port d'origine et de destination, dans le cadre de la DSP, ce qui n'est pas prévu à ce jour ou pas permis par le droit de l'Union européenne. En effet, une telle situation peut se produire dans d'autres secteurs, à d'autres moments et conduire à cette incompréhension. C'est un objet de débat politique pour la présidence française de l'Union européenne et je suis en accord avec la philosophie que vous avez développée.

Monsieur Loïc Prud'homme, l'aide au fret ferroviaire s'élève à 70 millions d'euros pour l'axe Perpignan-Rungis, dont 65 millions alloués aux wagons isolés. De manière générale, la stratégie pour le fret national et le fret ferroviaire est annoncée. Elle fixe les montants financiers qui sont alloués, gare de triage par gare de triage, ligne par ligne.

Je vous adresserai rapidement une réponse écrite et chiffrée sur la gare de triage de Bègles.

En ce qui concerne la complémentarité des activités du groupe SNCF entre Geodis et le fret, l'objectif est de rehausser très largement le recours au fret ferroviaire, en le portant à 18 % dans un premier temps, davantage plus tard. Si un déséquilibre existe, une complémentarité s'instaurera à moyen terme entre la route et le rail. La totalité des marchandises ne passera pas par le rail, pour des raisons évidentes, mais il faut travailler à la fois sur les infrastructures, qui ont trop longtemps été délaissées, et sur le signal prix.

Il existe deux façons de considérer l'aide au signal prix : soit baisser les taxes, soit subventionner des secteurs où des segments de marché du fret ferroviaire le nécessitent. J'ai évoqué les mesures prises en faveur du wagon isolé et du transport combiné.

Je connais et respecte votre avis sur le mythe de la décarbonation aérienne et sur la décroissance. C'est d'ailleurs une partie des élèves de Supaéro qui a porté cette voie de la décroissance de l'aérien. J'observe toutefois que la France n'est pas une île, que le trafic aérien repart moins fortement en Europe que dans d'autres parties du monde, mais que la décarbonation de l'aviation intéresse évidemment l'ensemble des acteurs. Nous observons toujours une croissance forte en Afrique, en Amérique latine, en Asie du Sud-Est. C'est donc un sujet dont nous devons nous saisir ; c'est précisément parce que nous avons des acteurs industriels d'envergure mondiale qu'engager cette décarbonation est une bonne chose.

Vous avez pu noter hier que les acteurs du secteur se sont prononcés pour une décarbonation nette en 2050 et que, d'ores et déjà, des mesures sont prises au niveau français et européen sur les carburants alternatifs au kérosène qui permettent une très forte décarbonation. Je le rappelle, un carburant alternatif représente une réduction immédiate de 90 % des émissions de CO2, en plus des filières industrielles que nous pouvons implanter sur le territoire autour des huiles de cuisson usagées, de la biomasse et, demain, des carburants de synthèse.

Monsieur Saïd Ahamada, nous sommes à votre disposition pour tenter de converger vers des propositions qui satisfassent les objectifs de suramortissement au sens large, notamment de suramortissements pour l'aérien.

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