La transition écologique et l'évolution du mix énergétique sont des sujets qui nous occupent de manière récurrente depuis le début du quinquennat. Nous vivons en la matière un moment inédit, d'abord en raison des progrès réalisés ces dernières années. La compétitivité des énergies renouvelables n'a cessé de progresser. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : les tarifs de soutien à l'énergie solaire ont baissé de 40 % en cinq ans et ceux de l'éolien terrestre de 20 % en trois ans. C'est aussi un moment inédit du fait de l'urgence climatique qui se fait chaque jour plus menaçante. Le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) l'a encore rappelé dans son rapport publié en août dernier et nous en avons vu, ces derniers mois, de nombreuses manifestations.
Nous connaissons un moment historique et sommes au début d'une décennie décisive, où les oppositions s'éveillent, se cristallisent et s'intensifient, en particulier sur le sujet des énergies renouvelables. Parce que nous franchissons un cap, les interrogations se multiplient. Certaines sont tout à fait légitimes et méritent une réponse ; d'autres consistent à polémiquer inutilement.
Hier, RTE a rendu public son rapport Futurs énergétiques 2050. Demandé il y a deux ans par le Gouvernement, il présente plusieurs options d'évolution de notre système électrique pour atteindre la neutralité carbone en 2050, objectif sur lequel nous nous sommes engagés dans les accords de Paris.
Je suis venue mettre ces sujets à plat. Permettez-moi de rappeler le cadre dans lequel je m'exprime.
Ma responsabilité de ministre en charge de l'énergie, c'est d'abord que les Françaises et les Français soient correctement alimentés en électricité, en gaz et en carburant, et ce, à un prix raisonnable. Ma responsabilité, c'est aussi de décarboner nos modes de vie et de nous faire sortir de notre dépendance aux énergies fossiles. La France, comme l'ensemble des pays européens, est confrontée à une forte hausse des prix de l'énergie du fait de la vigueur de la reprise économique mondiale et d'un contexte inédit, jamais observé dans l'histoire gazière européenne, affectant le prix de gros du gaz dont les évolutions influencent le prix de gros de l'électricité.
Face à cette situation exceptionnelle, nous avons pris des mesures pour protéger nos concitoyens. Le Gouvernement a annoncé le versement d'un chèque énergie de 100 euros à 6 millions de ménages modestes et a décidé de bloquer les tarifs réglementés du gaz à leur niveau du 1er octobre 2021.
Je tiens à rappeler que les consommateurs français bénéficient d'un cadre plus protecteur que nos voisins grâce à l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) qui permet d'aligner le coût d'une partie de la fourniture sur le coût de revient du nucléaire. Malgré cela, la hausse du prix du gaz aurait pu conduire à une progression de plus de 15 % des tarifs de l'électricité d'ici à 2022. C'est pourquoi le Gouvernement a décidé de limiter cette augmentation à 4 %, notamment en baissant la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE). Je me réjouis que l'Assemblée nationale ait validé cette mesure lors de l'examen du projet de loi de finances (PLF), la semaine dernière. Ce bouquet tarifaire protégera efficacement nos concitoyens face à l'inflation, en particulier pour leurs dépenses de chauffage cet hiver.
Le Gouvernement a également réagi à la hausse du prix du carburant. Comme le Premier ministre l'a annoncé la semaine dernière, nous allons mettre en place une indemnité inflation de 100 euros, au bénéfice de toute personne gagnant moins de 2 000 euros net par mois, soit 38 millions de Français.
Ces mesures exceptionnelles ne changent rien à notre politique énergétique de long terme. Au contraire, la situation actuelle nous conforte dans notre volonté de mettre fin à notre dépendance aux énergies fossiles. C'est pourquoi j'ai annoncé la prolongation du barème du bonus écologique et de la prime à la conversion jusqu'au 30 juin 2022, afin de continuer à encourager le passage à la voiture électrique.
Au-delà de la situation conjoncturelle, nous avons une responsabilité historique sur le plan énergétique puisque nous nous sommes engagés, par l'accord de Paris, à atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050. Cela implique de sortir au plus vite des énergies fossiles. Or, aujourd'hui encore – je le rappelle parce qu'on a tendance à l'oublier –, les deux tiers de notre consommation d'énergie finale reposent sur le pétrole et le gaz, ce qui est colossal.
Comment réduire efficacement nos émissions de gaz à effet de serre ? Le rapport de RTE apporte plusieurs réponses dépourvues d'ambiguïté. Il souligne d'abord la nécessité de poursuivre nos actions en matière d'efficacité énergétique. Pour atteindre la neutralité carbone, nous devons réduire notre consommation d'énergie d'au moins 40 % d'ici à 2050. C'est un objectif exigeant mais indispensable. Nous nous sommes déjà engagés dans cette voie, au moyen, par exemple, de la massification de la rénovation énergétique des logements, grâce à MaPrimeRénov' et au lancement de France Rénov' qui simplifiera les démarches de nos concitoyens. Nous avons également renforcé les exigences en matière d'économies d'énergie pour les bâtiments neufs dans le cadre de la réglementation RE2020.
Les travaux menés par RTE indiquent que dans tous les cas, on ne pourra atteindre la neutralité carbone sans électrifier de nombreux usages, qu'il s'agisse de la mobilité, du chauffage ou de l'industrie. Il faudra, par exemple, cesser d'employer des carburants fossiles et passer à la voiture électrique. Tous les scénarios de RTE concluent à une hausse de la consommation d'électricité d'ici à 2050 comprise entre 15 et 60 %, malgré des efforts substantiels de sobriété, en fonction des hypothèses sur la réindustrialisation de notre pays.
Nous sommes à la croisée des chemins. Deux voies s'offrent à nous. La première consisterait à répondre à cette demande d'électricité en ayant recours au pétrole et au gaz, ce qui représenterait un immense retour en arrière, totalement incompatible avec nos objectifs de neutralité carbone. La seconde voie nous conduit à développer massivement les énergies décarbonées, en particulier renouvelables. C'est ce que je défends ; c'est le projet du Gouvernement.
D'ici à 2035, le parc nucléaire historique constituera le socle de notre production d'électricité décarbonée, même si sa part dans le mix électrique a vocation à décliner progressivement, au rythme des mises à l'arrêt des réacteurs. À court et à moyen termes, il est indispensable de développer de manière très volontariste toutes les énergies renouvelables pour atteindre nos objectifs climatiques. En toute hypothèse, nous n'aurons pas le temps de mettre en service de nouveaux réacteurs nucléaires avant 2035, même si nous le décidions immédiatement.
Réduire notre consommation d'énergie fossile et déployer dans les quinze prochaines années les véhicules électriques, l'hydrogène ou les pompes à chaleur, tout en accueillant de nouvelles activités industrielles, exige un développement massif des énergies renouvelables. Ce choix, j'en suis consciente, demande du courage. C'est loin d'être l'option de la facilité, mais les travaux de RTE confirment qu'il n'y a pas d'autre solution. Ceux qui s'y opposeront fragiliseront notre sécurité d'approvisionnement et nous empêcheront d'atteindre la neutralité carbone en 2050, comme nous nous y sommes engagés.
J'entends les critiques au sujet de l'éolien, mais je tiens à souligner un point que l'on a souvent tendance à oublier. Produire de l'énergie n'est jamais neutre : cela a des conséquences, cela façonne les territoires. J'en ai fait très jeune l'expérience, dans le bassin minier. La production d'énergie renouvelable ne fait pas exception. Mais s'il faut opter entre d'un côté, l'impact du charbon, du pétrole et du gaz et, de l'autre, celui des éoliennes et des panneaux solaires, le choix est vite fait – ce qui ne signifie évidemment pas que le développement des énergies renouvelables doit se faire de manière anarchique. Pour atteindre la neutralité carbone d'ici à trois décennies, nous devons développer massivement ces dernières, le solaire, bien sûr, mais aussi l'éolien terrestre et maritime.
Vous le savez, les objectifs de notre programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) sont ambitieux : nous devons passer de 20 % d'électricité produite par les énergies renouvelables aujourd'hui à 40 % en 2030. Le Gouvernement soutient cette évolution par un financement sans précédent de plus de 6 milliards d'euros par an. Nous développons d'abord l'énergie photovoltaïque, qui a atteint une capacité de production de 12 gigawatts (GW) en 2021. Nous devons tripler notre capacité en sept ans, car notre PPE prévoit une capacité d'au moins 35 GW en 2028. Des signaux positifs confirment déjà que nous avons enclenché une dynamique : la capacité d'installations raccordées a augmenté de plus de 1,3 GW en à peine six mois, soit plus que chaque année pleine depuis 2012. Nous poursuivons sur cette lancée en simplifiant, en soutenant financièrement et en libérant tous les potentiels d'installation photovoltaïque.
Pour l'éolien, le débat public est souvent virulent et parfois biaisé par des contre-vérités : je me suis beaucoup battue, ces derniers mois, pour démonter les fausses informations. Cela étant, les projets éoliens doivent être exemplaires. C'est pourquoi, début octobre, j'ai annoncé avec la filière dix mesures pour un développement responsable et maîtrisé de l'éolien. La capacité installée de l'éolien terrestre est d'environ 17 GW, pour un objectif de 35 GW en 2028. Nous devons donc doubler notre capacité en huit ans.
Ce choix a été soigneusement réfléchi, pensé et soupesé. Développer l'éolien est nécessaire pour tirer parti des ressources en vent de notre pays, les deuxièmes d'Europe, et pour disposer d'une énergie compétitive, d'un coût de moins de 60 euros par mégawattheure (MWh) pour l'éolien terrestre. J'en profite pour rappeler que l'Allemagne a cinq fois plus d'éoliennes au kilomètre carré que la France, le Danemark, trois fois plus, et le Royaume-Uni, près de deux fois plus.
L'éolien en mer fait aussi l'objet d'oppositions, alors que notre mix électrique à quinze ans nécessite un développement massif de cette filière. C'est pourquoi, afin de répondre aux craintes qui peuvent s'exprimer, nous allons consacrer 50 millions d'euros à un programme d'étude sur l'ensemble des façades maritimes. Nous allons parallèlement créer un observatoire national de l'éolien en mer qui sera chargé de mettre à la disposition de tous l'ensemble des connaissances scientifiques disponibles sur les effets des parcs éoliens en mer sur la biodiversité.
L'accélération indispensable du déploiement des énergies renouvelables suppose d'en créer les conditions d'acceptabilité en évitant une concurrence destructrice avec l'usage agricole des terres, en limitant les effets en termes d'artificialisation et sur la biodiversité, et en s'assurant d'une bonne intégration paysagère. Chaque projet de développement d'énergies renouvelables devra impérativement s'inscrire dans une vision territoriale et associer les parties prenantes locales. C'est le sens des décisions que nous avons prises ces derniers mois. Dans la loi « climat et résilience », nous avons créé les comités régionaux de l'énergie, étendu les obligations d'installation de panneaux photovoltaïques sur les toitures ou encore accru le rôle des communes en amont des projets éoliens.
Peut-être allez-vous me demander quel scénario je choisis parmi ceux proposés par RTE ? Mon rôle de ministre en charge de l'énergie est de faire en sorte que la discussion repose sur des fondements solides. Le débat, que j'ai appelé de mes vœux lorsque j'étais députée, va enfin pouvoir se tenir sur des bases objectives et robustes. Il ne s'agit pas, dès aujourd'hui, de choisir l'un des scénarios publiés hier. Chacun de ceux-ci constitue une voie pour atteindre la neutralité carbone en 2050, avec ses avantages et ses inconvénients. Nous devons tous nous en emparer pour comprendre quels enseignements on peut tirer de cette étude, dans son ensemble, et quels enjeux économiques, sociétaux, environnementaux et techniques sont associés à chacun des scénarios.
D'ores et déjà, des décisions claires ont été prises : réduire nos consommations, développer les EnR et moderniser notre système électrique en développant sa flexibilité. Au‑delà, RTE nous fournit une boussole pour relever le défi aussi ambitieux que stimulant de la neutralité carbone, un défi comme nous n'en avons pas connu depuis un demi-siècle en matière énergétique, qui suppose une mobilisation générale, forte et rapide. Je veux rappeler que le Parlement sera pleinement associé à la construction de notre politique énergétique, puisqu'une loi de programmation sur l'énergie et le climat sera débattue au premier semestre 2023. Nous étions nombreux dans cette salle à l'appeler de nos vœux.
Tel est, mesdames et messieurs les députés, le cap que le Gouvernement se fixe. L'objectif est clair : atteindre la neutralité carbone en 2050, ce qui nécessite dès à présent une mobilisation forte et déterminée. L'heure de la responsabilité a sonné. Nos énergies ne sont pas un sujet anecdotique ; notre modèle énergétique est indissociable de la société que nous voulons construire demain. Il y va du monde que nous voulons laisser à nos enfants, à nos petits-enfants et à ceux qui habiteront la Terre après nous. Il s'agit, quelles que soient les options retenues, d'un grand plan industriel mobilisateur et fédérateur, notamment pour la jeunesse, comme la France a su en faire par le passé. Ce qui est en jeu, dans les prochaines décennies, c'est la compétitivité de l'économie française, la création d'emplois qualifiés, une réelle souveraineté énergétique et notre capacité à réussir dans la lutte contre le changement climatique.