La France assume depuis quelques semaines sa treizième présidence du Conseil de l'Union européenne. Elle a placé tout en haut de ses priorités la question du climat et de l'environnement, qui a de nombreuses déclinaisons, notamment législatives et thématiques.
Du fait de sa brièveté, la présidence de l'Union européenne doit être minutieusement préparée. Si l'on veut que notre pays fasse avancer ses priorités, joue un rôle d'accélérateur et d'accoucheur de textes importants, il faut que les idées soient injectées dans le débat européen longtemps à l'avance.
Nous l'avons fait, d'abord, pour le cadre général de la neutralité carbone d'ici à 2050. Au début de 2019, la France, suivie par trois pays, a demandé que l'Europe des vingt-sept se fixe pour objectif d'atteindre la neutralité carbone en 2050. Nous avons trouvé des alliés, bataillé, proposé des initiatives qui ont fait basculer certains pays, comme l'Allemagne. Dès la fin de 2019, un consensus sur cet objectif était atteint. Aujourd'hui, il paraît presque évident mais il résulte d'une bataille politique interne à l'Europe, qui est la première région du monde à se l'être assigné. Nous avons donné à cet objectif général une déclinaison intermédiaire, avec la baisse des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 55 % en 2030.
En juillet 2021, la Commission européenne a proposé les textes législatifs permettant de l'atteindre : le paquet « Fit for 55 ». Celui-ci constitue un ensemble de treize textes sectoriels ou transversaux qui concernent, par exemple, la fiscalité de l'énergie, le système communautaire d'échange de quotas d'émission de l'Union (ETS), le fonds social d'accompagnement des ménages, en particulier pour faire face au coût de l'énergie, ou encore le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF). Ce paquet législatif est essentiel. Ce n'est pas simplement un slogan, c'est une trajectoire que l'on construit avec ces textes qui sont déjà en discussion au Parlement européen et au Conseil.
Pendant sa présidence, la France peut faire avancer aussi loin que possible le débat sur ce paquet qui est très lourd et qui suscite encore de nombreuses divisions entre les États membres, et plus spécifiquement – car une présidence, ce sont des priorités –, sur la question climatique. Nous avons mis l'accent sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, parfois désigné sous l'appellation approximative de taxe carbone aux frontières de l'Europe. L'idée est simple : on ne peut pas demander aux entreprises de nos grands secteurs économiques de se verdir au prix d'efforts considérables, sans exiger de celles qui exportent sur notre marché qu'elles respectent, en particulier, le même prix du carbone. Cela ne serait souhaitable ni économiquement, ni socialement, ni écologiquement. Ce mécanisme essentiel donnera l'image d'une Europe qui défend mieux ses valeurs et ses standards. Si nous sommes capables de garder notre marché ouvert tout en y faisant respecter nos règles – par exemple, les clauses miroirs en matière de sécurité alimentaire –, nous aurons fait œuvre utile et, plus encore, nous aurons défini un nouveau modèle de régulation à l'européenne, dont le mécanisme de l'ajustement carbone tirera le fil.
Nous devons assumer, en la matière, un certain pragmatisme. Il y a beaucoup de littérature économique et de débats politiques sur le mécanisme carbone. De nombreux pays en discutent, parmi lesquels les États-Unis, mais personne ne l'a institué sur un grand marché. Nous devrons accepter de procéder par essai-erreur, en commençant par appliquer le dispositif à quelques secteurs économiques pour en mesurer l'effet sur les chaînes de valeur – par exemple, le coût économique, social et environnemental de l'acier importé renchéri par le prix du carbone sur toute la chaîne automobile. L'important, c'est de lancer le mouvement. L'un des objectifs clés de la présidence française est d'obtenir un accord politique sur ce mécanisme.
Le volet climatique comprend bien d'autres dispositions. On peut mentionner, au sein du paquet « Fit for 55 », l'extension du système ETS ou l'accompagnement social. Par ailleurs, à l'initiative de la France et de quelques États, nous avons obtenu que plus d'un tiers de chaque programme national de relance financé par l'Europe – 40 % dans le cas français – soit consacré aux dépenses en faveur de la transition écologique.
Sur la question énergétique, la Commission européenne a présenté deux propositions de révision des directives relatives aux énergies renouvelables et à l'efficacité énergétique. Elles visent à rehausser notre ambition, en portant à 3 % par an d'ici à 2030 la surface des bâtiments publics traités pour atteindre nos objectifs de rénovation thermique des bâtiments et de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Pour rester sur le sujet de l'énergie, la Commission européenne a proposé, au début de l'année, un acte délégué incluant dans la taxonomie l'énergie nucléaire, qui avait fait débat, et le gaz, sous certaines conditions. La France ne faisait pas partie des nombreux pays européens à avoir demandé l'inclusion du gaz, mais l'on peut comprendre qu'il soit considéré comme énergie de transition dès lors que le recours aux centrales au gaz vise à remplacer des centrales plus polluantes, comme celles à charbon. Les paramètres, notamment les seuils d'émissions, ont été longuement débattus pour dessiner une trajectoire de baisse des émissions dans des pays comme l'Allemagne ou la Pologne.
L'inclusion du nucléaire dans la taxonomie n'est pas seulement une demande française ; une majorité d'États membres en a formulé la demande. Des clauses de rendez-vous ont été prévues, ainsi que des dates limites – qui pourront être revues – pour les investissements dans les réacteurs existants et les nouvelles technologies de réacteurs. Même si, pour des questions de base juridique, le nucléaire est rangé dans la même catégorie que le gaz, il n'est pas explicitement qualifié d'énergie de transition. C'est important, parce qu'il n'est pas de même nature : le nucléaire n'est pas un outil au service de la transition vers une énergie propre, il est une énergie propre. Des pays ont choisi d'en sortir ; c'est leur droit et nous le respectons. Aucune énergie n'est parfaite et, s'il y a des questions de sécurité et de traitement des déchets dont il faut discuter, il faut voir le nucléaire tel qu'il est : une énergie décarbonée. L'acte délégué devrait être adopté d'ici au mois de juin, à moins d'une opposition, qui doit atteindre un seuil très élevé, du Parlement européen ou d'une majorité d'États membres.
Autre sujet énergétique, la hausse très significative des prix du gaz et de l'électricité, contre laquelle nous avons adopté des mesures nationales « bouclier » souvent plus importantes que celles prises par nos voisins, soulève la question du fonctionnement du marché européen de l'énergie. Il ne faut surtout pas casser ce dernier, qui fait partie des marchés intérieurs que l'on a réussi à construire. Grâce aux interconnexions, plutôt insuffisantes qu'excessives, la France, dont les énergéticiens produisent à un coût inférieur au coût moyen européen, exporte de l'énergie. Nous sommes globalement exportateurs nets d'énergie sur le marché européen, ce qui engendre des revenus de plusieurs milliards d'euros, en année normale, pour EDF. On aurait donc tort de revenir sur l'unification des prix de gros sur le marché européen de l'énergie.
En revanche, on ne peut plus penser, comme cela a pu être la conviction de la Commission européenne, que l'horizon à atteindre est la dérégulation des prix de détail. Ce serait une folie. Dans une période de hausse des prix de l'énergie liée à la situation internationale, avec une croissance très rapide et une demande mondiale très forte – qui s'ajoute à l'évolution tendancielle à la hausse du prix des énergies fossiles –, on doit pouvoir prendre des mesures de type « bouclier tarifaire », comme nous le faisons. Cela suppose que les dispositifs de régulation existants soient préservés ou renforcés, et que l'on considère la possibilité de conclure des contrats de long terme pour certaines énergies, de façon à lisser les prix dans le temps – ce que la Commission européenne nous a parfois incités à ne pas faire.
La question environnementale recouvre également le sujet de la biodiversité. Sous réserve de la date de la deuxième séquence de la quinzième conférence des parties (COP15) à la convention sur la diversité biologique, nous aurons la responsabilité de préparer le mandat de l'Union européenne pour ces négociations. Nous souhaitons que nos partenaires internationaux prennent des engagements sur la restauration des écosystèmes et l'utilisation durable des ressources naturelles sous l'impulsion de l'Union européenne.
Nous avons pris une initiative interne très importante concernant la déforestation importée, ce qui répond à la demande de beaucoup d'organisations non gouvernementales (ONG). La Commission européenne a fait une proposition, il y a quelques semaines, pour faire en sorte que l'on évite ou que l'on sanctionne la déforestation importée. Le texte établit une liste de produits dont l'importation serait interdite si l'on peut démontrer qu'ils contribuent à la déforestation dans leur pays d'origine. Cette liste, qui commence par quelques produits, parmi lesquels le soja, et quelques zones géographiques, est le fruit d'une démarche pragmatique et efficace. Ce serait une grande première qu'un marché de la taille de l'Union européenne ait une législation contre la déforestation importée. C'est d'ailleurs à l'échelle de l'Union que nous pouvons obtenir des résultats à l'égard de grands partenaires, tel le Brésil.
Un mot sur l'alimentation et l'agriculture, domaines dans lesquels le ministre M. Julien Denormandie se montre très actif au cours de cette présidence. Nous aurons la tâche de conduire les travaux sur la révision de la directive relative à l'usage durable des pesticides, dite « SUD ». Nous devrons également promouvoir une initiative ambitieuse sur la réduction de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques. Et puis, il y a le combat, presque idéologique, que M. Julien Denormandie mène au niveau européen, en ce moment même, au sein d'un conseil informel avec ses homologues, à Strasbourg : les clauses miroirs. En vertu de ces clauses, nous ne devrions plus importer des produits qui non seulement ne respectent pas l'interdiction en vigueur sur notre marché de certaines substances – pour ceux-là, c'est déjà le cas –, mais qui, dans leur processus de production, ont recours à des intrants interdits dans l'Union européenne. On ne peut pas accepter que des fruits, des légumes, des marchandises soient traités avec un produit dangereux avant d'être exportés chez nous, sans contrainte. Or cela existe encore.
Ce principe des clauses miroirs, on arrive à l'introduire dans quelques textes européens – par exemple, dans un texte en cours de discussion sur les produits vétérinaires –, mais il n'est pas un élément de logique transversale. Pour cet outil d'équité qui permet de peser sur un certain nombre de partenaires, la bonne échelle, là aussi, est européenne. Plus qu'un débat, c'est un combat qui n'en est qu'à son début. L'acceptation des clauses miroirs a grandi parmi les ministres européens de l'environnement et de l'agriculture. Un cadre de principe sera, je l'espère, adopté pendant la présidence française, mais il faudra encore se battre par la suite. Le travail en trio est important pour assurer cette continuité. Nos partenaires tchèques et suédois, qui assumeront les prochaines présidences, sont engagés pour faire aboutir ce principe au moyen de textes législatifs transversaux. Il s'agit, notamment, d'introduire ces clauses dans nos accords commerciaux, si nous voulons que ce modèle d'accord commercial soit profondément revu.