Intervention de Clément Beaune

Réunion du mardi 8 février 2022 à 17h15
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Clément Beaune, secrétaire d'État :

La Commission européenne devrait présenter prochainement un projet de révision de la directive européenne SUD. La stratégie « De la ferme à la table » fixe comme objectif de réduire de 50 % d'ici à 2030 le recours aux substances les plus nocives qui seront définies dans cette révision. La France avait défendu cette ambition, qu'elle avait d'ailleurs intégrée dans sa propre législation ou réglementation, suivant deux principes : l'extension de ces règles au niveau européen, sinon nos agriculteurs ne comprendraient pas qu'ils soient les seuls à devoir se soumettre à ces contraintes ; la proposition systématique d'une solution ou d'une alternative. C'est pourquoi nous avançons progressivement. C'est en suivant ce cheminement que nous avions proposé, il y a trois ans et demi, d'interdire le glyphosate. Nous débattrons à nouveau de ce sujet indépendamment de la directive SUD puisque des rendez-vous réguliers ont été pris d'ici à l'été 2022 et qu'une nouvelle évaluation est prévue, suivie d'un nouveau vote. Nous continuons à soutenir le projet d'une interdiction progressive des usages, suivant les deux principes que je viens d'exposer.

Pour ce qui est de la lutte contre la déforestation importée, outre l'interdiction par produit – soja, viande bovine, cacao, café –, il convient de définir la notion d'écosystème. Parle-t-on de la forêt au sens strict ou des zones humides, par exemple ? Nous sommes favorables à une conception large de cette directive ainsi que de la définition de la déforestation ou des écosystèmes concernés. La discussion est en cours entre le Parlement européen et le Conseil. Nous soutenons l'approche extensive du Parlement mais, lors de notre présidence, nous devrons trouver le point d'équilibre du côté du Conseil.

Monsieur Leseul, nous soutenons le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Nous partageons également l'objectif d'imposer aux pays qui exportent des produits vers l'Europe les normes environnementales et sociales qui s'imposent sur notre marché. Quant au volet social, nous essayons de le traiter de manière transversale dans d'autres domaines. Par un ou deux textes, la Commission européenne devrait proposer d'imposer aux entreprises européennes un devoir de vigilance, notamment sur les normes extra-financières, sociales ou environnementales, ainsi que l'interdiction du travail forcé. La logique est la même : agir par la définition de normes européennes pour notre marché ou à l'extérieur, à l'échelle de 450 millions de consommateurs et de citoyens plutôt qu'en adoptant des législations nationales qui n'auraient pas la même portée et nous exposeraient sans doute à des mesures de rétorsion commerciale de la part de nos grands partenaires ou concurrents. Cette logique sur laquelle nous définissons nos standards est le nouveau modèle que nous essayons de construire sur le plan social et environnemental. On peut l'appeler la référence ou la préférence européenne.

Concernant les énergies renouvelables, je peux vous expliquer les raisons de notre retard par rapport aux objectifs. Tout d'abord, une large part de notre bouquet électrique est déjà décarbonée, ce qui a pu nous retarder lors des étapes précédentes, en particulier lors du déploiement de l'énergie éolienne en mer. Nous allons accélérer pour nous replacer dans la trajectoire et nous sommes engagés à tenir notre objectif pour 2030. Ce n'est pas une excuse ni une compensation, mais notre mix est le plus décarboné de toutes les grandes économies européennes. Cela ne doit pas, néanmoins, nous dispenser de faire des efforts pour les énergies renouvelables.

S'agissant des zones maritimes protégées, nous avons pris des engagements, en vue du One Ocean Summit qui se tiendra en fin de semaine, pour que 30 % des espaces maritimes et terrestres soient protégés en France d'ici à 2022. Nous ferons le bilan, mais je sais qu'il sera très bon car nous avons consenti tous les efforts nécessaires pour tenir nos objectifs. L'une des ambitions de ce sommet sera d'étendre les engagements aux niveaux européen et international.

Concernant l'extraction minière, le Président de la république n'a pas donné la priorité à l'extraction mais à l'exploration, accompagnée d'objectifs plus vastes, en matière de recherche, de connaissance du vivant, des fonds marins – et pas seulement pour les métaux rares. Il est de notre devoir d'établir une cartographie d'analyse, de recherche, pour l'exploration. Si nous ne le faisons pas, d'autres le feront pour nous.

Pour ce qui est du prix de la tonne de CO2, nous avions défendu l'idée d'un prix plancher européen qui n'a pas prospéré. Nous avons besoin des réformes que j'évoquais dans le marché intérieur pour les consommateurs. Les prix du CO2 sont beaucoup moins volatils, mais plus élevés qu'il y a deux ou trois ans. Nous devrions parvenir à les stabiliser au fur et à mesure de l'extension du mécanisme ETS à d'autres secteurs, mais d'autres questions se poseront pour le transport routier, notamment les véhicules individuels, ou le bâtiment, en particulier les maisons individuelles. Cette mesure est nécessaire en raison de la part du transport routier et du bâtiment dans les émissions de gaz à effet de serre, mais extrêmement sensible du fait de ses conséquences pour le pouvoir d'achat des ménages les plus modestes. Beaucoup d'États membres ont émis des réserves lors des premières discussions menées par la ministre Mme Barbara Pompili. C'est pourquoi nos débats porteront non pas sur les mécanismes de volatilité ou de stabilisation, mais sur le périmètre des mécanismes du prix du carbone. Dans ce cadre, il faudrait une forme de prix externe du carbone. Nous ne pouvons pas imposer un prix élevé et croissant du carbone chez nous mais en dispenser les pays qui exportent vers l'Europe. Ce serait un désastre économique et écologique.

Cela prendra du temps. Nous devons faire preuve de pragmatisme et choisir d'abord des secteurs dans lesquels les filières sont prêtes à expérimenter le mécanisme d'ajustement carbone – c'est le cas du ciment et de la sidérurgie. C'est plus compliqué dans le secteur automobile. Si le prix de l'acier venant de l'extérieur est renchéri à cause du MACF, c'est bon pour la compétitivité de la sidérurgie, moins pour celle des constructeurs automobiles. Il faut prendre en considération les effets par ricochet dans les chaînes de valeur.

Instaurons le mécanisme ; ouvrons une négociation internationale puisque de nombreux pays, dont les États-Unis, envisagent un tel mécanisme ; essayons de créer ce que les Allemands appellent un « club climatique international » pratiquant un prix unique du carbone – ce sera plus compétitif et plus efficace ; fixons des clauses de révision régulière pour étendre ou ajuster le mécanisme selon qu'il donne satisfaction ou non. Le système des quotas gratuits dont de nombreuses industries bénéficient aujourd'hui ne pourra pas coexister avec le mécanisme d'ajustement carbone, au risque de contrevenir aux règles de l'OMC. Il faut procéder par phases : l'instauration du mécanisme d'ajustement carbone ne peut avoir pour effet immédiat de mettre fin aux quotas gratuits. La Commission européenne propose une transition sur dix ans – cela me semble raisonnable ; la discussion sur l'articulation entre les deux dispositifs se tient en ce moment même au Parlement européen et au Conseil.

S'agissant de la RSE et, je crois le deviner dans votre question, du devoir de vigilance, il faut éviter que soient exemptés des obligations que nous imposons aux entreprises françaises et européennes des groupes étrangers qui sont en compétition avec elles. Nous ne pourrons pas appliquer dès à présent le principe d'extraterritorialité en soumettant Gazprom ou d'autres à la RSE à l'européenne, nous ne disposons pas des outils pour le faire. Le texte de la Commission que nous attendons devrait viser les entreprises étrangères ayant une activité économique sur le marché européen. Un constructeur automobile coréen ou un sidérurgiste américain sera soumis aux règles en matière de RSE ; il n'y aura ainsi pas sur le même marché des privilégiés qui seraient dispensés de respecter les règles sociales et environnementales.

Je ne sais pas s'il est utile, compte tenu de son investissement dans la suite du débat, de répondre à Mme Danièle Obono sur un prétendu cauchemar ou complot. Il ne faut pas éluder le débat sur le nucléaire mais l'aborder de manière rationnelle et sans dogmatisme. Aucune énergie n'a aucun inconvénient. Le nucléaire est une énergie décarbonée, c'est un fait ; il faut le reconnaître sans nier les questions de sécurité, d'investissement, de nouvelles technologies et de stockage des déchets qu'il pose. Quant aux énergies renouvelables, elles ne sont pas dénuées d'inconvénients, au premier rang desquels l'instabilité de la production ; c'est la raison pour laquelle il est nécessaire de les compléter avec d'autres énergies – personne ne sait faire du 100 % renouvelable aujourd'hui, quand bien même on le voudrait. Ces énergies créent aussi des dépendances : tous les éléments d'une pale d'éolienne ne sont pas produits en Europe ; il faut des métaux précieux ou des terres rares dont le bilan carbone peut être lourd ; on ne sait pas comment seront traités les déchets qui en sont issus. Cela ne doit évidemment pas nous dissuader d'investir dans ces énergies, de renforcer la recherche ni de croire dans les progrès technologiques – la capacité de production d'une éolienne a doublé en cinq ans. Les énergies renouvelables représentent l'avenir, aucune stratégie énergétique ne peut en faire l'économie, de même qu'aucune stratégie ne peut reposer sur le tout nucléaire. Pour autant, il n'est pas raisonnable de disqualifier le nucléaire, à moins d'exprimer une position idéologique.

Madame Métadier, s'agissant des POP, la Commission européenne devrait présenter prochainement une proposition visant à durcir les seuils applicables pour empêcher leur réintégration dans le circuit économique.

Madame Silin, il faut tordre le cou à quelques idées sur la nouvelle taxonomie. D'abord, elle n'a pas fait l'objet d'un complot ou d'un marché ; chaque pays a présenté ses propres exigences et, à vingt-sept, il faut accepter des compromis. Nous n'étions pas demandeurs du choix qui a été fait sur le gaz ; nous en comprenons la raison – le recours au gaz est indispensable pour assurer la transition chez nos voisins plus que chez nous. Toutefois, conformément à notre souhait, les nouvelles centrales à gaz qui remplaceront les centrales à charbon devront respecter des seuils d'émission de CO2. Nous sommes le seul pays européen à avoir décidé la fermeture de nos centrales à charbon – trois d'entre elles le seront dès cette année.

Pour le nucléaire, enjeu autrement plus important pour la France, deux dates limites sont fixées pour les permis de construire : 2040 pour la modernisation des réacteurs existants et 2045 pour les nouveaux réacteurs. En outre, des clauses de revoyure sont prévues : de nouveaux projets pourront voir le jour au-delà de ces deux dates, sous réserve que les discussions aboutissent à un accord en ce sens. La filière nucléaire n'est certainement pas pleinement satisfaite, mais elle dispose désormais d'une visibilité pour ses investissements. La taxonomie offre un cadre équilibré et positif pour les besoins énergétiques des pays européens.

Pourquoi la taxonomie est-elle utile ? Elle constitue un référentiel, public et commun à toute l'Europe, sur lequel peuvent s'appuyer les investisseurs privés qui sont de plus en plus soumis à des pressions pour verdir leurs investissements. La visibilité qu'elle donne est un avantage pour obtenir les financements dans les énergies concernées, dont nous aurons grand besoin pour assurer la transition écologique.

Madame Riotton, la France est très en pointe sur l'affichage environnemental depuis la loi AGEC. Nous militons pour que l'Europe se dote d'ambitions comparables parce que ce beau projet aurait plus d'impact s'il était européen. La Commission européenne devrait présenter en mars une proposition sur les produits durables, qui devrait inclure des règles plus exigeantes en matière d'affichage.

Monsieur Pichereau, s'agissant de la taxonomie, de nombreuses questions restent en suspens sur son interprétation et son application. Son application ne repose pas sur une approche sectorielle mais sur l'impact environnemental. Ce n'est pas le secteur automobile dans son ensemble qui est concerné, mais certains véhicules ou produits qui relèvent de la taxonomie afin d'encourager la transition dans chaque secteur.

S'agissant des équipementiers automobiles, qui m'ont d'ailleurs saisi, ils ne bénéficieront pas d'un blanc-seing général ; ils devront faire la preuve de la transformation de leurs processus de production pour entrer dans le champ de la taxonomie.

La taxonomie est un aiguillon, un guide général qui laisse des marges d'interprétation. Elle ne dictera pas chaque décision d'investissement du secteur privé. Une entreprise dont l'activité ne serait pas entièrement couverte par la taxonomie pourra malgré tout trouver les financements pour assurer sa propre transition, à charge pour elle de convaincre les actionnaires et les investisseurs.

Je rappelle que la France s'est fixé un objectif très ambitieux de production de 2 millions de véhicules électriques en 2030.

Monsieur Delpon, pour appliquer, comme vous le souhaitez, le principe de pollueur-payeur, faut-il supprimer les subventions aux énergies fossiles ou taxer ces dernières et redistribuer les recettes aux autres énergies ? La France a choisi de baisser les subventions – elle a commencé à le faire pour les subventions à l'export – et la Cour des comptes européenne nous incite à poursuivre dans cette voie. Cette solution me semble plus lisible politiquement et plus efficace économiquement.

Monsieur Morenas, je pense avoir répondu à votre question sur l'utilisation des pesticides dans l'arboriculture. Le débat a déjà eu lieu sur les néonicotinoïdes et sur le glyphosate et quelle que soit la substance concernée, la logique est la même : il faut un cadre européen ; l'interdiction dans un seul pays ne peut pas fonctionner. Il faut établir une liste des substances – j'ai mentionné à cet égard la directive SUD – et poser le principe selon lequel l'interdiction d'un produit ne peut être prononcée que s'il existe un produit de substitution ou une alternative à celui-ci. Il ne faut laisser personne sans solution. C'est le principe que la France défend pour une sortie progressive des pesticides.

Monsieur Causse, à ma connaissance, il n'y a pas d'initiative législative prévue s'agissant du littoral. Ce sujet sera abordé lors du One Ocean Summit. La directive Natura 2000 peut avoir des effets assez proches de ceux de la loi « littoral » dans certaines zones protégées, mais aucune norme spécifique n'est envisagée à ce stade.

Madame Brulebois, quelques explications sur le fonctionnement du MACF : il s'agit d'un système d'ETS à l'importation. En termes plus clairs, si une entreprise étrangère qui exporte vers l'Union européenne ne paie pas le même prix du carbone dans son processus de production que ses concurrents européens, elle devra s'acquitter de la différence en achetant des ETS. Cela ressemble aux mesures antidumping en matière commerciale : lorsqu'un concurrent étranger vend un produit 50 % moins cher que les fabricants européens, si l'enquête établit qu'il a cassé les prix, il peut se voir imposer une taxe antidumping. C'est le même mécanisme pour le MACF dont le but est de rétablir un équilibre entre les producteurs. Les experts parlent d'un système d'ETS miroir. Selon notre analyse juridique et celle de la Commission, le MACF est compatible avec les règles de l'OMC dès lors qu'il est justifié par la protection de l'environnement.

Monsieur Zulesi, s'agissant de la liaison entre la Corse et le continent, sujet déjà sensible pour la Commission européenne lorsque j'ai eu à m'y intéresser dans une autre vie, nous sommes déterminés à obtenir la reconnaissance de la DSP, la préservation de ses caractéristiques – le choix du port de Marseille, des navires mixtes associant fret et passagers, des obligations de service public liées à la continuité territoriale – ainsi que la possibilité d'un soutien financier public. C'est un modèle que nous défendons, non sans difficulté, dans les discussions avec Bruxelles. Je ne connais pas l'issue des discussions en cours, mais, comme nous l'avons fait à plusieurs reprises par le passé, parfois de manière douloureuse, nous sommes résolus à préserver cette DSP vitale pour les deux extrémités de la liaison.

Monsieur Thiébaut, je n'ai pas encore la réponse à votre question sur l'eurovignette. Vous avez raison, le champ de l'affectation de la taxe est restreint principalement à l'infrastructure. Cela aurait du sens de pouvoir l'étendre aux nouvelles mobilités. Je ne peux pas vous assurer que cette question sera tranchée au cours de la présidence française. En revanche, je m'engage à relayer auprès des ministres chargés des transports et de l'écologie l'intérêt d'une telle évolution.

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