Intervention de Barbara Pompili

Réunion du mercredi 16 février 2022 à 14h35
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Barbara Pompili, ministre :

Cela ne m'étonne pas : ce sont des sujets absolument essentiels pour l'avenir, passionnants et très divers.

Merci, madame Silin, pour votre soutien et celui du groupe du groupe LaREM. Je n'ai pas grand-chose à ajouter à votre résumé des avancées enregistrées.

Le fait que la Commission ait repris l'idée d'une taxe carbone aux frontières de l'Union dans son programme de Pacte vert pour l'Europe est une victoire politique de la France, et donc un motif de fierté : c'est un mécanisme que nous défendons depuis une dizaine d'années. Il s'agit d'un dossier stratégique et prioritaire pour la présidence française de l'Union. Le Gouvernement souhaite que les négociations avancent autant que possible. Nous parlons bien d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et non pas d'une taxe carbone. Il est important de le préciser, car l'instauration d'une taxe nécessiterait l'unanimité des États. Le mécanisme proposé est un instrument miroir du marché carbone européen. Il s'applique aux importations. Son objectif est de faire payer aux importations un prix du carbone équivalent à celui payé par les mêmes produits fabriqués dans l'Union européenne. C'est tout simplement un instrument de lutte contre les fuites de carbone, et surtout un outil de politique environnementale. Nous entendons respecter pleinement les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

La proposition de la Commission, publiée le 14 juillet, constitue un bon point de départ. Elle reprend d'ailleurs la plupart des positions historiques de la France sur le sujet. Il apparaît judicieux d'instaurer d'abord cet instrument pour certains secteurs, de manière à évaluer son efficacité, puis de l'étendre progressivement. Les travaux techniques sur le mécanisme se déroulent dans le cadre du conseil ECOFIN. Nous les avons accélérés depuis le début de la présidence française de l'Union. Nous pensons être en mesure de proposer rapidement un compromis sur le texte. Celui-ci sera ensuite discuté par les délégations. Nous espérons, sur cette base, obtenir une convergence rapide autour d'une orientation générale.

Les points les plus difficiles se situent en fait dans d'autres textes en négociation. Il s'agit de la question du rythme de réduction des quotas gratuits dans l'industrie, qui relève de la directive sur le marché carbone, et de l'utilisation des revenus tirés du mécanisme, qui sera débattue dans le cadre de la décision relative aux ressources propres. En effet, se pose la question de savoir ce que l'on fera de l'argent récupéré à travers le mécanisme : doit-il repartir vers les États, et si oui dans quelles proportions, ou bien faut-il l'orienter vers un fonds destiné à soutenir la transition ?

Le conseil des ministres de l'économie du 15 mars sera l'une des étapes de la négociation. Je ne vous cache pas que l'un des points clés sera la position de l'Allemagne. Celle-ci est historiquement réservée sur ce dossier et n'a pas encore complètement officialisé sa position. Nous avons des échanges réguliers avec nos homologues sur la question – la semaine dernière encore, j'ai eu des échanges plutôt positifs à ce propos avec M. Robert Habeck.

Monsieur Sermier, j'ai toujours eu beaucoup de plaisir à travailler avec vous, malgré nos divergences de vues évidentes. Nous partageons les mêmes objectifs, mais choisissons des chemins opposés. Il faut sortir des postures et essayer de faire avancer les choses concrètement. Quand vous avez dit que ce mandat avait été celui de l'affichage, cela m'a fait sourire, car nous avons effectivement réussi à créer… l'affichage environnemental ; c'est une bataille que nous avons menée au début du quinquennat. Les choses avancent doucement et nous poussons l'idée au niveau européen.

S'agissant du nucléaire, notre politique est-elle brouillonne ? Je ne le pense pas. Pendant très longtemps, la France n'a pas réussi à mener une politique claire. Il y avait, d'un côté, ceux qui s'agrippaient au nucléaire en prétendant qu'il serait la solution à tous nos problèmes, et, de l'autre, ceux qui considéraient qu'il fallait opter pour le 100 % renouvelable. Ce faisant, nous avons perdu du temps pour le développement des énergies renouvelables, alors même que celles-ci pourraient nous donner une marge de manœuvre dont nous avons besoin compte tenu du fait que nos installations nucléaires sont vieillissantes. Il y a eu des hésitations, les oppositions n'ont pas été bien gérées, la concertation dans les territoires n'a pas été suffisante. La faute est collective : au cours des dix ou vingt dernières années, nous aurions dû avancer beaucoup plus vite s'agissant des énergies renouvelables. Il convient désormais de le faire. C'est pourquoi j'ai mis en place les instruments que j'estimais nécessaires pour faciliter le développement de toutes les formes d'énergies renouvelables pour lesquelles les technologies sont à maturité : le photovoltaïque, l'éolien terrestre et offshore, ainsi que les énergies renouvelables non électriques, tel le biogaz – j'y reviendrai. J'essaie de lever les obstacles les uns après les autres.

Il me paraît légitime que nous réinterrogions notre stratégie au regard tant des nouveaux objectifs – qu'il s'agisse de ceux qui ont été fixés par l'accord de Paris ou des objectifs européens – que de l'augmentation du besoin d'électricité. Nous avons sollicité Réseau de transport d'électricité (RTE) et l'Agence internationale de l'énergie. Des spécialistes ont travaillé à la question pendant deux ans et ont reçu 4 000 contributions. À partir de ces résultats et des scénarios présentés, c'était au pouvoir politique qu'il revenait de faire des choix. Nous disposions ainsi d'une base solide : les décisions n'ont pas été prises au doigt mouillé. Nous avons tenu compte des faits et de l'ensemble des éléments disponibles pour construire notre vision énergétique pour l'horizon de 2050. La stratégie annoncée à Belfort est le résultat de ce processus.

Nous sommes tous d'accord pour dire que nous aurions aimé que la dernière conférence des parties (COP26) produise davantage de résultats. Même si la France a été active, on ne saurait lui attribuer l'entière responsabilité de ce qui s'est passé. La COP26 nous a quand même permis de nous doter d'instruments de suivi de la COP15, relative à la biodiversité. Des engagements très forts ont été pris s'agissant de la fin des subventions au charbon et les émissions de méthane. Hier encore, Mme Valérie Masson-Delmotte a déclaré que c'était une des avancées très importantes de la COP26. Ce n'est ni tout noir ni tout blanc : la COP26 était une étape, elle a permis des avancées, même si celles-ci ne sont pas suffisantes.

Dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, je réunirai le 7 mars les responsables des présidences futures de la COP27 et de la COP28, ainsi que du G7 et du G20, en présence de Mme Patricia Espinosa, secrétaire exécutive de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). La présidence de la COP26 sera elle aussi associée. Il s'agira de poser les jalons de la COP27 et de faire en sorte que les négociations aboutissent sur des sujets aussi importants que le financement, notamment celui de l'adaptation, ou encore les pertes et dommages – c'est une demande très forte de la part des pays qui subissent de plein fouet les effets du changement climatique.

Monsieur Millienne, je suis entièrement d'accord : la transition écologique ne se décrète pas. L'affaire des gilets jaunes doit nous servir de leçon à cet égard. Il faut travailler, mener des concertations, encourager les évolutions, les préparer et les planifier. Tout notre travail a consisté à poser des bases solides, dans tous les domaines, sur lesquelles il sera possible de construire. Les lois que vous nous avez aidés à faire passer forment ce socle. Nous sommes loin d'être au bout. Un trop grand nombre de nos concitoyens sont inquiets des conséquences sur leur vie du changement climatique ainsi que des mesures en faveur de la transition écologique. Cette inquiétude est réelle et il faut l'entendre, surtout dans un contexte marqué par une augmentation massive des prix de l'énergie, d'ailleurs due à notre dépendance à l'égard de certaines formes d'énergie.

Nous travaillons non seulement au niveau national mais aussi au niveau européen, car les mêmes problèmes se retrouvent dans plusieurs pays d'Europe. Les termes qui sont revenus le plus souvent dans mes discussions à Amiens avec mes collègues ministres de l'environnement et de l'énergie, étaient : « transition juste ». L'enjeu est de faire en sorte que personne ne soit laissé sur le bord du chemin. Le côté passionnant de la mission qui nous incombe tient précisément au fait que nous devons aller aussi vite que possible – car ceux qui disent que le climat n'attend pas ont raison –, tout en réussissant à embarquer tout le monde. Je n'ai pas la recette miracle pour y parvenir ; les mesures que j'ai énumérées ne sont qu'une partie des ingrédients nécessaires.

Monsieur Potier, vous avez parlé d'une politique des petits pas. Je déteste cette expression, qui donne d'ailleurs le sentiment que celui qui la prononce saurait, pour sa part, faire des grands pas – mais si c'est votre cas, je suis tout à fait disposée à en discuter, d'autant que vous avez en général de très bonnes idées. Quoi qu'il en soit, nous ne menons pas une politique des petits pas : nous essayons d'aller le plus vite possible et de pousser les curseurs au maximum, sans pour autant faire craquer la société. Ce n'est pas aussi simple qu'il y paraît.

La pollution plastique est une question majeure. Je partage un certain nombre des analyses de M. François-Michel Lambert à cet égard. La lutte ne saurait être organisée uniquement au niveau national, car la pollution des mers et des océans vient de partout : elle trouve en grande partie son origine dans celle des fleuves, mais elle vient aussi de la terre. Il faut une coopération internationale sur le sujet. Cela fait longtemps que l'on en discute et que l'on n'aboutit pas. L'Assemblée des Nations unies pour l'environnement (ANUE) se réunira à Nairobi dans quinze jours. Ce sera l'occasion de lancer enfin des discussions autour d'un traité international sur le plastique. C'est un moment important car, pour la première fois, ce ne sont pas des pays du Nord qui présenteront des textes destinés à lancer la négociation. La France soutiendra ainsi une initiative conjointe du Pérou et du Rwanda. Les choses ne seront pas simples car d'autres propositions seront sur la table, dont une émanant du Japon, qui se limiterait à la fin du cycle – pour l'essentiel, on ne s'occuperait que des plastiques qui sont déjà dans la mer, alors qu'à ce moment-là il est déjà trop tard : c'est l'ensemble du cycle du plastique qu'il faut prendre en compte.

Au niveau international, l'urgence consiste à obtenir un résultat dans cette négociation, mais la Conférence intergouvernementale sur la biodiversité au-delà de la juridiction nationale (BBNJ) est un autre enjeu important. La haute mer est un des principaux impensés de la protection de l'environnement ainsi que du droit international : c'est une zone de non-droit, sous la juridiction de personne. Cela fait sept ans qu'un traité est en préparation. L'un des enjeux du One Ocean Summit a été de créer une coalition pour stimuler les négociateurs. Ces derniers ont beau être formidables, ils passent beaucoup de temps à discuter de la place des virgules ; il est temps que le traité soit signé. L'objectif est que l'on y parvienne d'ici à la fin de l'année. Je mettrai tout en œuvre pour que ce soit le cas.

Monsieur Potier, le rapport du HCC que vous avez mentionné porte sur la période 2015-2018 ; depuis lors, nous avons essayé de faire avancer les choses.

En ce qui concerne la compensation carbone, vous avez raison d'appeler à la vigilance. C'est un outil permettant d'atteindre la neutralité carbone, mais il importe de le maîtriser. Nous sommes en train de développer le label bas-carbone, qui est attribué par le ministère de la transition écologique et qui vise à pratiquer la compensation carbone sur des bases fiables. Ce label évolue. Il est plutôt bien reçu dans les territoires, y compris par des entreprises cherchant à faire de la compensation carbone sans être accusées de greenwashing – pratique qui existe, en effet, personne n'est dupe. Par ailleurs, la loi « climat et résilience » impose des standards de qualité pour la compensation carbone, ainsi qu'une part majoritaire de compensation sur le territoire de l'Union européenne. Nous avons donc avancé sur ce point.

Il a été beaucoup question de la méthanisation. La réglementation évolue pour tenir compte des erreurs du passé et de certains excès ; des accidents se sont produits, qui ont traumatisé certaines personnes. L'enjeu est aussi d'éviter la concurrence avec les cultures alimentaires. Le plafond relatif à la part d'approvisionnement des méthaniseurs par des cultures alimentaires a été fixé à 15 % il y a déjà un certain temps. Désormais, les cultures intermédiaires font l'objet d'une certification obligatoire. Outre la question de la maîtrise des risques, se pose celle de la substitution de l'azote. Je n'ignore pas les conséquences de la production énergétique – pas seulement celles de la méthanisation, d'ailleurs : le photovoltaïque peut entraîner les mêmes dommages. Certains agriculteurs ayant besoin de compléments de revenu risquent de glisser vers le métier d'énergéticien. Tout l'enjeu est de trouver le juste équilibre. C'est l'ambition de la réglementation que nous avons instaurée, même si elle est certainement perfectible. C'est un travail au long cours.

Merci, madame Petit, d'avoir rappelé cette phrase prononcée lors des débats de 2016. Vous avez évoqué un certain nombre de victoires au bénéfice de la biodiversité. Vous avez également cité des actions que nous avons engagées, notamment la stratégie nationale pour la biodiversité. Je salue, à ce titre, le travail de la secrétaire d'État Mme Bérangère Abba, qui a consacré beaucoup de temps à son élaboration. Nous avançons aussi dans la mise en application de la stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée ; c'est un enjeu important. En parallèle, un travail sur la question est conduit à l'échelon européen. Nous nous fondons d'ailleurs sur ce que nous avons fait en France pour faire avancer les négociations. Des réflexions stimulantes sont également en cours sur la filière bois. Il s'agit là encore d'un sujet important, y compris pour l'Europe. Je salue le travail accompli notamment dans le cadre des assises de la forêt et du bois. Mme Bérangère Abba s'y est beaucoup investie, au côté de M. Julien Denormandie.

En matière de lutte pour la biodiversité, la territorialisation des politiques est un enjeu essentiel. L'État doit travailler en liaison avec les collectivités. Tout en me réjouissant d'avoir signé la création de l'agence régionale de la biodiversité (ARB) de Guyane, je tiens à souligner que toutes les ARB auraient dû voir le jour depuis longtemps. Je pousse beaucoup dans ce sens. Il faut disposer, sur le terrain, de personnes capables de faire le lien entre les différents acteurs, ce qui permettrait de faire comprendre à ces derniers que la biodiversité peut être l'occasion de développer des politiques positives et que les défenseurs de la biodiversité, notamment l'Office français de la biodiversité (OFB), ne sont pas seulement là pour punir : leur rôle est aussi d'accompagner. Je sais que vous servez vous aussi de relais sur le terrain.

Monsieur Lambert, la loi AGEC est une bonne base. De nombreuses personnes contactent mon cabinet pour essayer d'empêcher sa mise en œuvre, ce qui prouve que le texte est utile et efficace : si ce n'était pas le cas, personne ne râlerait.

Certains industriels ont ainsi déposé un recours contre le décret relatif à l'obligation de présentation à la vente des fruits et légumes frais non transformés sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique. Ils ont de l'argent à dépenser à cela – sans commentaire.

Madame Panot, je suis très attentive à la sûreté nucléaire, vous le savez parfaitement et je l'étais bien avant d'être ministre. Dès que j'ai entendu parler de l'affaire, le lanceur d'alerte a évidemment été reçu, non pas par moi mais par les services de mon ministère. L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a été saisie. Quelle que soit notre opinion sur le nucléaire, nous convenons tous de l'indépendance et de la qualité du travail de cette instance. C'est à cause de son sérieux que la France compte tant de réacteurs à l'arrêt aujourd'hui, et tant mieux car nous souhaitons tous que le niveau de sûreté dans notre pays soit maximal. Après avoir enquêté et procédé aux vérifications nécessaires, l'ASN a conclu que les faits dénoncés n'étaient pas étayés.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.