Intervention de Julien Denormandie

Réunion du mercredi 29 juillet 2020 à 17h35
Commission des affaires économiques

Julien Denormandie, ministre :

Si l'agriculture n'a pas bénéficié des mesures prises pendant le confinement puisque l'activité a continué, elle figurera dans le plan de relance. Celui-ci devrait contribuer à financer les quatre axes que j'ai évoqués : le plan protéines et l'adaptation des élevages aux impératifs de la souveraineté alimentaire ; l'acquisition de matériel pour la transition agro-écologique ; des circuits courts, qui nécessitent notamment des investissements en matière de stockage ; et des aides à la transmission en faveur des jeunes agriculteurs.

Dans le cadre de la PAC, les mécanismes de régulation des marchés constituent un outil essentiel pour faire face à la variation des stocks, et nous avons d'ailleurs obtenu il y a dix jours de pouvoir y intégrer des mesures prises pour la gestion des stocks de la filière viticole. Il en va de même de l'Observatoire des marchés, dont j'ai tenu à réaffirmer l'importance à Bruxelles, la semaine dernière, car il permet d'anticiper les événements agricoles, qui ne peuvent s'appréhender que dans le temps long.

Dans la perspective du Green New Deal, nous devons être proactifs sur le plan stratégique national (PSN) bâti autour des orientations de la nouvelle PAC : conditionnalité, farm to fork, ecoscheme. La PAC sera un formidable instrument d'accompagnement de la transition, à la condition qu'elle inclue un volet de convergence, sans quoi certains États membres seront mis en difficulté, car nous ne partons pas tous du même stade. En d'autres termes, nous devons faire en sorte que la traduction dans les programmes nationaux de la stratégie farm to fork, par exemple, qui fixe pour 2030 des objectifs de diminution à l'échelle européenne de la quantité de pesticides, obéisse au fait que les agriculteurs soient soumis à des règles qui ne les pénalisent pas par rapport aux autres agriculteurs européens.

Je serai clair : nous nous opposons à l'accord du Mercosur, le Président de la République l'a fermement réaffirmé devant la Convention citoyenne pour le climat. La France a montré qu'elle savait louvoyer dans les eaux européennes pour défendre ses intérêts, et vous pouvez compter sur nous pour que le résultat soit conforme à notre volonté.

J'en viens à l'irrigation. Le scénario se répète chaque été : des arrêtés sécheresse sont pris dans les départements – cinquante-trois, à l'heure actuelle. L'enjeu est donc d'adapter nos systèmes agricoles au changement climatique. Une première solution est celle des bassines d'eau : on peut, pour les élevages, installer à moindre frais des collecteurs d'eau de pluie, qui n'exigent pas d'autorisation d'urbanisme mais une simple déclaration préalable.

La seconde est celle des retenues d'eau, sachant qu'il faut au moins dix ans pour les réaliser. J'entends donc simplifier les processus, non par la loi, qui prendra trop de temps, mais par la voie réglementaire.

En troisième lieu, il faut miser sur les projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE) et sur une vision holistique de la ressource en eau, qui prenne en compte tous les acteurs et tous les usages de l'eau sur un territoire. Cela évitera les blocages, les conflits comme dernièrement sur le lac de Caussade ou les drames que nous avons tous en tête.

En marge de cette question de l'eau se posent toutes les problématiques assurantielles qu'il faudra aborder pour accompagner les agriculteurs et leur éviter la double peine, lorsque la sécheresse anéantit la récolte de foin et qu'il faut en plus l'acheter.

La ressource en eau passe aussi par la maîtrise du foncier, car l'eau, c'est le sol, du fait notamment du rôle essentiel de ce dernier dans la décarbonation de notre environnement. La richesse du sol est à la croisée des problématiques de biodiversité, d'écologie et de transmission du foncier, ce qui rend parfois les politiques publiques fluctuantes. Nous devons néanmoins fixer des orientations très claires en la matière.

Il faut aussi lutter, d'une part, contre l'artificialisation des sols qui tue des surfaces agricoles – le Premier ministre ne fait pas autre chose lorsqu'il impose un moratoire sur les centres commerciaux –, d'autre part, contre l'éviction systématique des petites exploitations au profit des grandes. Il y a derrière cela des questions techniques – les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER), le fermage la transparence du foncier – sur lesquelles nous devons avancer, par voie législative ou réglementaire, pour structurer une véritable politique foncière de long terme.

Je distingue les nouvelles techniques de sélection végétale (NBT) des organismes génétiquement modifiés. En cohérence avec nos objectifs de santé, je ne suis pas opposé à utiliser de manière parcimonieuse les nouvelles technologies dans la recherche de semences ou la lutte contre des pollutions identifiées.

S'agissant du loup, nous devons continuer notre méthode de concertation et d'accompagnement des éleveurs. Le prélèvement est suivi de près, en lien avec la ministre de la transition écologique, le préfet coordinateur de cette politique et les préfets concernés.

Je compte encourager la méthanisation, importante pour diversifier les revenus des agriculteurs et les sources d'énergie renouvelable.

Nous avons bien en tête le sujet des organismes producteurs car, lors des débats sur le premier pilier de la nouvelle PAC, nous avons négocié pour que des aides sectorielles puissent leur être versées.

Je partage l'idée d'une interdépendance entre culture et élevage. Le plan protéines, élément important de la souveraineté alimentaire, sera présenté prochainement. Il comprendra plusieurs axes relatifs à la culture, l'élevage, l'alimentation, la recherche et l'international. Il a fait l'objet d'une grande concertation grâce à mes prédécesseurs, qui ont beaucoup travaillé sur le sujet. Il faudra toutefois prévoir les fonds nécessaires dans le plan de relance.

La loi EGALIM constitue une immense avancée et un important changement de paradigme. Elle n'a toutefois pas atteint ses objectifs, bien qu'une dynamique ait été enclenchée. La déflation continue et s'établit, tous secteurs confondus, à moins 0,1 %, contre moins 0,4 % ou moins 0,6 % l'année précédente. Elle est de moins 0,5 % à plus 0,5 % selon les secteurs, hormis le lait, où elle dépasse 1 %. Nous travaillerons avec une volonté constructive et une exigence renforcée, pour obtenir des résultats.

La loi aborde des sujets très concrets, que la proposition de loi de M. Grégory Besson‑Moreau traite aussi, par exemple les pénalités logistiques qui encadrent l'activité des grandes et moyennes surfaces ou les marques de distributeurs, question plus complexe car elles ne relèvent ni d'une relation contractuelle, ni d'une relation de fourniture. Nous rédigeons des recommandations sur ce point.

Je crains que la répartition des aides européennes selon des critères de main-d'œuvre n'entraîne pas que des gagnants. Depuis vingt-cinq ans, deux approches, par l'exploitation ou par les actifs, s'opposent. Dans notre vision politique, l'activité de l'éleveur doit être reconnue par son apport à l'aménagement du territoire. Il faut considérer les conséquences qu'ont actifs et non actifs sur les financements pour nos agriculteurs et nos industries. Par ailleurs, les différents pays de l'Union européenne ne définissent pas les actifs de la même manière. Une réflexion par étapes est donc nécessaire.

S'agissant des contreparties, la France soutient politiquement les transformations permises par la PAC. En échange, elle doit obtenir des seuils que les autres pays respectent. Une convergence agroécologique ou phytosanitaire est nécessaire, vers laquelle nous devons accompagner nos homologues, avec ambition.

La volatilité, y compris des cours des matières premières, peut modifier drastiquement les conditions des contrats pluriannuels. C'est pourquoi l'engagement pluriannuel pourrait avoir les défauts de ses avantages.

Outre les aides au stockage ou à la distillation, nous travaillons à des mesures supplémentaires pour la viticulture. Les actions de la France et de l'Union européenne représentent déjà un plan de 150 millions d'euros. Nous avions par ailleurs prévu de sortir 2 millions d'hectolitres du marché, volume qu'il faudra vraisemblablement augmenter.

À court terme, je me bats pour que la filière française de la betterave ne disparaisse pas. La jaunisse de la betterave, due à un puceron et à des températures hivernales clémentes, risque en effet de priver les champs de bulbes sucriers, de diminuer les rendements et de conduire les agriculteurs à ne pas replanter des betteraves, ce qui entraînerait la fermeture des sucreries.

Je ne laisserai pas importer du sucre belge et mettre à mal la filière française. Si des dérogations ne sont pas possibles, nous devons établir des plans de soutien et d'accompagnement permettant aux agriculteurs d'inclure les betteraves dans leur assolement. Il faut agir vite, mais, de l'avis des juristes, nous n'y parviendrons pas sans modifier la loi. Or sa temporalité est incompatible avec l'assolement, qui se déroule cet été. Nous travaillons donc avec ardeur à définir un plan de soutien.

En agronomie, seul le temps compte. C'est pourquoi je souhaite repositionner mon ministère vers une temporalité agricole. Une culture ne peut être dépendante du temps législatif national ou du temps institutionnel européen, chaque action de soutien devant être notifiée à Bruxelles. Il faut réfléchir aux temporalités à dix ans, comme aux crises prévisibles à deux ou trois ans. Nous devons en donner une vision claire, et bien dire à nos concitoyens de manger français, car c'est la meilleure alimentation pour eux.

Enfin, il faut trouver les moyens de soutenir la filière de la canne à sucre, essentielle à La Réunion. La Commission européenne a validé notre demande de prolongation de l'enveloppe de soutien pour un an. Je reviendrai vers vous pour des précisions.

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