Intervention de Bruno le Maire

Réunion du jeudi 3 septembre 2020 à 15h30
Commission des affaires économiques

Bruno le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance :

Le plan de relance constitue la deuxième phase de la réponse que nous apportons à la crise économique la plus brutale que la France ait connue depuis 1929. Notre économie a été partiellement à l'arrêt pendant plusieurs semaines ; l'impact de cette crise sur la croissance de la France pour l'année 2020 est estimé, même si nous espérons qu'il sera moindre, à moins 11 %. Les conséquences sur l'emploi, les faillites et la situation sociale du pays s'avèrent d'ores et déjà considérables.

Nous avons, le Président de la République, le Premier ministre et moi-même, fait le choix, début mars, d'une intervention immédiate et massive, et nous poursuivrons dans cette voie. Il faut mesurer le changement de doctrine qu'une telle intervention représente par rapport aux trente dernières années : nous sommes passés d'un monde dans lequel le marché devait être totalement libre et l'État réduit à la portion congrue à un monde dans lequel ce dernier assure la protection des salariés et des entreprises face à un marché déstabilisé par le coronavirus. Nous avons fait et continuerons de faire le maximum.

Nous avons déployé quatre instruments immédiats : le prêt garanti par l'État, 120 milliards ayant déjà été décaissés à ce titre, des exonérations et des reports de charges sociales et fiscales, à hauteur de 4 milliards, un fonds de solidarité destiné aux plus petites entreprises, à hauteur de 6 milliards, et le chômage partiel, avec le dispositif le plus généreux d'Europe, qui a mobilisé près de 28 milliards pour la seule année 2020.

Nous avons donc été au rendez-vous des salariés et des entreprises pour répondre à la diversité des situations économiques sur l'ensemble du territoire, de celle du petit indépendant à celle du commerce de proximité, de celle de la très grande entreprise comme Air France à celle des entreprises de taille intermédiaire (ETI) et des petites et moyennes entreprises (PME), de celle des professions libérales à celle des entreprises publiques.

Le plan de relance vise désormais à ouvrir l'horizon pour les Français. Les semaines qui viennent vont être les plus difficiles de la crise : nous allons maintenant toucher du doigt les conséquences de la crise en matière d'emploi et de faillites. Il faut donc, ainsi que nous le faisons s'agissant du chômage partiel pour les secteurs de l'hôtellerie, de la restauration et des cafés, de la culture et de l'événementiel, maintenir les dispositifs existants tout en projetant les Français dans ce que pourra être la France d'après-crise, celle de 2030. Il faut leur dire une chose simple : nous allons y arriver. La France, j'en suis convaincu, sortira plus forte de la crise, avec une économie décarbonée, plus compétitive et plus solidaire.

Ce plan de relance repose sur trois orientations.

La première d'entre elles est l'accélération de la transition écologique, qui, nous en sommes convaincus, permettra d'améliorer l'économie française.

Nous sommes opposés à la décroissance, dont il ne peut rien sortir de bon. Si nous voulons des thérapies ciblées, des médicaments adaptés à la diversité des maladies, des transports plus propres, en particulier des avions volant à l'hydrogène et non plus aux carburants fossiles, il faut favoriser l'innovation, la croissance et les nouvelles technologies. La décroissance conduirait à la paupérisation de notre pays et à sa relégation au rang des nations accessoires. La France est une grande nation qui va montrer qu'elle peut conjuguer croissance et respect de l'environnement.

À cette fin, nous allons consacrer près de 7 milliards à la rénovation énergétique des bâtiments publics – hôpitaux, écoles, collèges, lycées… – et privés, puisque les particuliers pourront bénéficier du dispositif MaPrimRénov', auquel sont alloués 2 milliards, pour engager des travaux de rénovation globale de leur logement et non plus le simple remplacement d'une fenêtre.

Par ailleurs, 1,2 milliard d'euros seront affectés à la décarbonation de l'industrie, notamment à celle des sites industriels émettant le plus de gaz carbonique mais dont les opérateurs ne peuvent pas, parce que cela serait trop coûteux, changer de mode de production.

Nous engagerons également un vaste plan en faveur des mobilités propres : pistes cyclables et transports en commun… Quant au secteur ferroviaire, il bénéficiera d'un soutien de 4,7 milliards qui permettra d'amortir le choc de la covid-19 sur la SNCF, de dégager des moyens pour les petites lignes et de relancer le fret ferroviaire, qui constitue une alternative utile aux camions.

Nous prendrons également des mesures en matière d'agriculture biologique et de respect de la biodiversité.

Enfin, nous voulons, s'agissant de l'hydrogène, nous doter d'une stratégie qui permette à la France, dans les années qui viennent, d'être souveraine dans ce domaine : 7 milliards y seront consacrés. Nous souhaitons mettre en œuvre cette stratégie conjointement avec l'Allemagne ; je me rendrai le 11 septembre prochain à Berlin pour en discuter avec mon homologue allemand.

La deuxième orientation a trait à la compétitivité de nos entreprises, qui garantira la création d'emplois, l'ouverture de nouvelles usines et la création de nouvelles entreprises partout sur le territoire.

La France a trop délocalisé : au cours des trente dernières années, elle est l'une des nations industrialisées qui a le plus délocalisé. Elle l'a fait au nom d'idées qui se sont avérées illusoires, comme l'industrie sans usines. Elle l'a fait par manque de courage, refusant de toucher à une fiscalité pénalisante pour l'industrie. Il est bien beau de faire des discours sur la reconquête industrielle : si l'on conserve une telle fiscalité confiscatoire, il n'y a cependant aucune chance de voir se rouvrir une seule usine dans notre pays.

C'est parce que nous assumons, avec la majorité, des choix fiscaux courageux, à savoir la baisse, à hauteur de 10 milliards, des impôts de production – qui sont, en France, sept fois plus élevés qu'en Allemagne et deux fois plus élevés que la moyenne européenne – que nous obtiendrons des résultats en matière de relocalisations industrielles. Nous baisserons ainsi la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) de 7,5 milliards, en compensant intégralement la perte de recettes qui en résulte par l'affectation aux régions d'une part des recettes de TVA, et nous réduirons de moitié les impôts fonciers des établissements industriels de 32 000 entreprises, ce qui représente un effort de 3,25 milliards d'euros.

Nous investirons également dans les technologies d'avenir : la France ne peut se reposer sur ses lauriers et, en matière de commerce extérieur et d'exportation, ne dépendre que des filières du luxe, de l'agroalimentaire, de l'aéronautique ou de la pharmacie. Il faut que nous ouvrions de nouveaux champs industriels dans lesquels l'industrie française pourrait prendre le leadership mondial. Nous investirons donc 11 milliards, à travers le quatrième Programme d'investissements d'avenir (PIA), dans les technologies numériques, la recherche médicale, l'industrie de la santé, les énergies décarbonées, la souveraineté alimentaire, l'enseignement numérique et l'industrie culturelle et créative.

Nous mobiliserons également les moyens nécessaires pour encourager la relocalisation industrielle. Beaucoup d'entreprises souhaitent relocaliser leur activité, mais elles ont besoin pour le faire d'ouvrir une nouvelle ligne de production ou d'acheter des robots et des machines. Or, elles n'ont pas toujours les moyens, au regard de leur chiffre d'affaires, de réaliser de tels investissements. Nous subventionnerons donc, à hauteur de 1 milliard d'euros, les entreprises industrielles concernées afin de les y aider.

Nous renforcerons enfin les fonds propres des TPE, PME et ETI en apportant une garantie d'État de 3 milliards d'euros sur des placements financiers qui auront reçu le label « France Relance », ce qui permettra de débloquer de 10 à 20 milliards d'euros de prêts participatifs, c'est-à-dire de quasi-fonds propres.

La cohésion et la solidarité forment la troisième orientation, qui repose d'abord sur l'investissement majeur de 6 milliards consenti en faveur du secteur médico-social dans le cadre du Ségur de la santé, qui figure dans le plan de relance.

Par ailleurs, nous avons voulu, avec Élisabeth Borne, soutenir massivement l'emploi des jeunes. Nous allons ainsi augmenter, pour un montant de 1,6 milliard, le nombre des formations qualifiantes afin que 223 000 jeunes supplémentaires puissent en bénéficier. En outre, grâce au dispositif d'aide à l'embauche des jeunes, d'ores et déjà disponible, toute entreprise qui embauchera un jeune de moins de 26 ans en contrat à durée indéterminée bénéficiera d'une baisse de charges de 4 000 euros par contrat. Des dispositifs spécifiques seront en outre réservés aux jeunes en situation de handicap.

Nous favoriserons également l'apprentissage en octroyant des primes de 8 000 euros pour toute embauche d'un jeune majeur et de 5 000 euros pour toute embauche d'un jeune âgé de moins de 18 ans. Nous créerons en outre 300 000 parcours d'accompagnement vers l'emploi supplémentaires, ce qui représente 1,3 milliard d'euros.

Nous avons fait le choix, grâce au chômage partiel et à l'activité partielle de longue durée – j'invite tous les entrepreneurs à signer le plus vite possible ces accords –, de maintenir des dispositifs très protecteurs en matière d'emploi. L'ensemble de ces mesures représente un investissement de 16,6 milliards d'euros.

Nous avons voulu prendre également des mesures pour les plus précaires, les plus fragiles, ceux que la crise touchera le plus directement. Nous avons ainsi décidé de majorer l'allocation de rentrée scolaire de 100 euros, pour un montant d'un demi-milliard, et de réduire le prix du repas dans les restaurants universitaires à 1 euro, contre plus de 3 euros actuellement. Enfin, nous apporterons un soutien de 5 milliards aux collectivités locales, dont 1 milliard pour la seule dotation de soutien à l'investissement local.

Deux remarques pour conclure. S'agissant, tout d'abord, de la méthode, tout sera art d'exécution. Si nous voulons que les Français observent l'effet du plan de relance sur leur vie quotidienne, leurs commerces, leur logement, les transports, nous devons dépenser vite et bien. C'est pourquoi le Président de la République et le Premier ministre ont pris la décision d'inscrire les 100 milliards du plan dans une mission budgétaire unique. Placée sous mon autorité, elle comportera des clauses d'extinction, de sorte que je pourrai soumettre régulièrement au Premier ministre une liste de projets dont l'exécution n'est pas suffisamment rapide – si les sommes prévues ne sont pas décaissées, par exemple, ou si les appels d'offres n'ont pas été lancés – et dont les crédits doivent être transférés à d'autres projets, plus mûrs, pouvant être exécutés immédiatement.

Le Premier ministre présidera un Conseil de suivi de la relance, et je dirigerai moi‑même un comité de pilotage qui se réunira de manière hebdomadaire. Je souhaite que les représentants de l'ensemble des fédérations professionnelles soient reçus chaque semaine au ministère de l'économie, des finances et de la relance, pour m'assurer, comme je l'ai fait pendant la crise sanitaire, que les sommes sont réellement débloquées et que les professionnels ne rencontrent pas de difficultés dans l'exécution du plan.

S'il faut modifier les dispositifs, nous les modifierons, comme je n'ai cessé de le faire depuis le 1er mars. Qu'il s'agisse du prêt garanti par l'État, du Fonds de solidarité ou des exonérations de charges, à chaque fois que les fédérations, les entreprises ou les salariés nous ont rapporté des dysfonctionnements, nous avons apporté les corrections nécessaires. Je suis donc ouvert à toute modification susceptible d'améliorer l'efficacité du plan et sa capacité à toucher les territoires.

Nous définirons une batterie d'indicateurs de suivi transparents – je souhaite que les parlementaires, dans leur rôle de contrôle de l'exécutif, nous soumettent leurs propositions en la matière – parmi lesquels peuvent figurer les taux de décaissement, la réduction des émissions de dioxyde de carbone, la rénovation énergétique ou les créations d'emplois.

Enfin, je suis évidemment ouvert à ce que nous demandions des contreparties aux entreprises qui bénéficieront, par exemple, du prêt participatif et du soutien direct de l'État. Elles pourront concerner soit l'environnement, soit leur gouvernance, notamment l'égalité entre les femmes et les hommes, à laquelle je suis profondément attaché, soit la signature d'accords d'intéressement ou de participation : lorsque l'entreprise va mieux grâce au soutien de l'État, les salariés doivent pouvoir en bénéficier directement, sous la forme d'espèces sonnantes et trébuchantes.

Telles sont les grandes orientations que je voulais vous présenter, après l'avoir fait ce matin en conseil des ministres, avec les autres ministres concernés, en particulier Barbara Pompili et Élisabeth Borne. Je veux, en conclusion, vous redire ma conviction profonde : la France sortira plus forte de cette crise.

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